Intervention de Jacky Deromedi

Réunion du 18 avril 2018 à 14h30
Protection des savoir-faire et des informations commerciales — Discussion générale

Photo de Jacky DeromediJacky Deromedi :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre d’une proposition de loi visant à transposer la directive européenne du 8 juin 2016 relative au secret des affaires, dont le délai de transposition court jusqu’au 9 juin prochain. L’objectif de cette directive est, selon son exposé des motifs, de « mettre en place, au niveau de l’Union, des règles pour rapprocher les droits des États membres de façon à garantir qu’il y ait des possibilités de réparation au civil suffisantes et cohérentes dans le marché intérieur en cas d’obtention, d’utilisation ou de divulgation illicite d’un secret d’affaires ».

Il s’agit là d’un pas dans la bonne direction. Si les brevets et le savoir-faire technique brevetable sont depuis longtemps connus et reconnus comme des enjeux majeurs de la compétitivité de nos entreprises, les savoir-faire et informations commerciales n’en sont pas moins importants, en particulier au moment où les services constituent une part croissante de l’économie française.

Les savoir-faire techniques et commerciaux représentent ensemble un capital intellectuel essentiel à une économie qui se veut une économie du savoir. Ne pas protéger ce capital, c’est laisser la porte ouverte à la concurrence déloyale et à l’effritement des atouts de nos entreprises. Or l’Europe a déjà pris du retard sur ses partenaires, notamment les États-Unis, qui ont adopté, dès 1979, une loi sur la protection des secrets commerciaux.

C’est à ce titre que l’Union européenne s’est donné comme objectif, dans sa stratégie UE 2020, d’assurer une protection unifiée de la propriété intellectuelle, notamment de certains de ses aspects complémentaires, dont le secret des affaires. Cette protection passe par une harmonisation, à l’échelle de l’Europe, de la définition des secrets des affaires et la garantie qu’existe, dans chaque État membre, au moins une procédure au civil permettant de protéger ces informations sensibles.

En France, le retard est tout particulièrement marqué : la notion même de « secret des affaires » ne dispose pas de définition unifiée dans notre droit. La loi dite « de blocage » du 26 juillet 1968 punissait, par exemple, les atteintes à la souveraineté, à la sécurité et aux intérêts économiques essentiels de la France. Or le droit de la régulation et de la concurrence, mais aussi les réalités économiques ont beaucoup évolué depuis lors. Il est donc devenu essentiel de moderniser l’outil juridique français et européen. Des initiatives prises par le passé dans ce sens, en particulier celle de notre collègue député Bernard Carayon en 2011, n’ont jusqu’ici pas abouti.

Durant l’élaboration et la discussion de la directive et de la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui, une autre question a surgi, celle de la conciliation entre le secret des affaires et les activités d’information du public et de protection de l’intérêt général. Cette question ne concerne pas seulement les journalistes, mais aussi les lanceurs d’alerte. Il n’est pas possible d’ignorer leur contribution à l’intérêt général, comme l’ont illustré les « Panama papers ». Aussi le législateur européen s’est-il efforcé d’atteindre un équilibre satisfaisant entre la protection des secrets des affaires et la sauvegarde des libertés journalistiques et de l’intérêt général.

Pour atteindre ces objectifs ambitieux, cette proposition de loi transpose la directive au sein d’un nouveau titre du livre premier du code de commerce consacré au secret des affaires.

La proposition de loi commence par reprendre la définition du secret des affaires déterminée en 1994 dans le cadre des accords de l’OMC sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, les ADPIC. Il s’agit de l’information qui, sans être généralement connue ou aisément accessible, revêt une valeur économique effective ou potentielle du fait même de son caractère secret et fait l’objet par son détenteur légitime de mesures de protection « raisonnables ».

Puis, ce texte distingue les détenteurs légitimes, les personnes obtenant connaissance du secret des affaires de manière licite et les obtentions et divulgations illicites. Ces dernières feraient l’objet d’un certain nombre d’exceptions destinées à garantir la capacité d’action des autorités de contrôle et de régulation, mais aussi à protéger l’activité des journalistes, des représentants des salariés et des lanceurs d’alerte. Le secret des affaires n’est alors pas opposable. À cet égard, le texte procède à une articulation bienvenue du secret des affaires avec la loi du 9 décembre 2016 relative à la protection des lanceurs d’alerte.

La proposition de loi comprend également un certain nombre de dispositions permettant au juge civil de prévenir, faire cesser et réparer les atteintes au secret des affaires. Le juge et d’autres personnes pourront alors avoir accès au secret, mais demeureront tenus à la confidentialité.

Enfin, le dernier article de la proposition de loi harmonise la terminologie utilisée par les textes français en matière de secret des affaires.

Ce texte aura donc le mérite d’offrir de bonnes bases à la protection des secrets commerciaux et du savoir-faire commercial dans notre pays. La commission des lois et son rapporteur, mon éminent collègue Christophe-André Frassa, ont mené un travail d’amélioration que je tiens à saluer. Ils ont rendu la transposition plus fidèle à la directive et ont renforcé son impact sur notre compétitivité. Ainsi, le détenteur légitime d’un secret et ceux qui seront appelés à en prendre connaissance de manière licite seront désormais mieux distingués.

Par ailleurs, le nouveau délit pénal d’espionnage économique, instauré à l’article 1er quater, permettra de sanctionner spécifiquement les atteintes les plus déloyales à nos intérêts économiques et à ceux de nos entreprises.

Malgré les apports indéniables à notre compétitivité que fournira cette proposition de loi, je tenais à regretter la méthode utilisée pour faire aboutir ce texte. La majorité de l’Assemblée nationale a fait le choix – visiblement en accord avec l’exécutif – de présenter cette transposition sous forme d’une proposition de loi en lieu et place d’un projet de loi. De l’aveu même des députés l’ayant portée, la proposition de loi initiale a été largement rédigée par la Chancellerie. Cette situation a privé le Parlement du bénéfice d’une étude d’impact approfondie, qui aurait pourtant été très utile dans ce domaine crucial pour la compétitivité de la France.

Indépendamment de cette réticence sur la méthode, le groupe Les Républicains votera en faveur de ce texte.

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