Intervention de Jean-Marc Gabouty

Réunion du 18 avril 2018 à 14h30
Protection des savoir-faire et des informations commerciales — Discussion générale

Photo de Jean-Marc GaboutyJean-Marc Gabouty :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, après l’Assemblée nationale voilà moins d’un mois, le Sénat examine à son tour la proposition de loi visant à transposer la directive sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués, plus communément appelée directive sur le « secret des affaires ». Cette expression fait en elle-même l’objet de nombreux débats, interrogations, voire fantasmes…

Le droit français ne définit pas la notion de secret des affaires ; cette transposition représente, à n’en pas douter, une nouveauté juridique. Le code de commerce, même s’il mentionne le secret des affaires dans les articles concernant la communication de certaines pièces, ne précise pas quelles informations doivent être protégées, selon quels critères, comment identifier le détenteur légitime et encore moins les exceptions au secret des affaires ni les procédures judiciaires pouvant être initiées à la suite d’une violation de ce même secret.

Il est intéressant de noter également que la directive, dans sa version française, parle de « secret d’affaires » et non de « secret des affaires », comme le précise dans son très documenté rapport d’information notre collègue Philippe Bonnecarrère, remis au nom de la commission des affaires européennes. On constate souvent ce type de nuance dans la terminologie entre les instances européennes ou internationales et l’usage national. Je pense ainsi à la différence entre les droits humains et les droits de l’homme, dont il n’est pas toujours aisé d’évaluer les conséquences juridiques et pratiques.

En outre, on associe souvent le secret des affaires à la culture et au droit anglo-saxons. Pourtant, on parle en anglais davantage de « trade secrets », ce qui semble se rapprocher de la notion, bien française, de « secret commercial », voire de « secret industriel », à moins qu’il ne s’agisse ici encore d’un faux ami… Ces terminologies mériteraient au moins d’être précisées, expliquées et explicitées.

Il n’en reste pas moins que la présente proposition de loi vient combler un vide juridique, alors que sévit aujourd’hui une véritable guerre économique à l’échelle internationale entre les entreprises européennes, nord-américaines, chinoises, japonaises, sud-coréennes, indiennes ou encore russes ou brésiliennes…

Des cas d’espionnage économique sont restés célèbres. Je pense, par exemple, au Tupolev 144, dans les années soixante, semblable, au moins dans sa conception, au Concorde, ou encore à l’affaire Volkswagen-General Motors, dans les années quatre-vingt-dix.

Il y a une vingtaine d’années déjà, des agents de la CIA – ils ne s’en cachaient pas, au moins a posteriori – pirataient des ordinateurs des institutions européennes afin de conforter les positions américaines lors des négociations du GATT.

Plus récemment, une affaire de téléchargement illégal de données de l’équipementier automobile Valeo par une étudiante chinoise a défrayé la chronique.

Toutefois, les affaires également récentes concernant certaines pratiques abusives, voire illégales, au sein d’entreprises ont vu l’émergence de nouveaux acteurs, comme les lanceurs d’alerte, aux côtés de la presse d’investigation traditionnelle. Depuis 2016 et la loi Sapin II, les lanceurs d’alerte bénéficient d’un statut juridique et d’une protection.

Par ailleurs, la question de la responsabilité, notamment sociale et environnementale, des entreprises a été abordée lors du vote de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères.

Enfin, le Parlement européen a connu de vifs débats, il y a deux ans, lors de l’examen de la directive sur la conciliation des notions de liberté et de protection.

Tout l’enjeu est donc d’assurer un bon équilibre entre la liberté d’information au service de l’intérêt général et la nécessaire protection des connaissances à objet économique ou commercial, dans un monde qui nous interdit toute forme de naïveté. Je salue ainsi les garanties prévues pour la protection des journalistes, des syndicats ou des associations, dans le cadre des exceptions à la protection du secret des affaires.

De même, la protection apportée au secret des affaires par la présente proposition de loi me semble essentielle, en particulier pour les PME, les TPE ou les start-up qui n’ont pas les moyens de lutter contre la captation de leurs secrets d’affaires.

L’information protégée au titre du secret des affaires répondra ainsi à trois critères : son caractère non accessible de par sa nature ou sa conception, sa valeur économique effective ou potentielle et enfin le fait de faire l’objet de mesures de protection raisonnables de la part de son détenteur légitime.

Le texte précise également les éléments d’appréciation à prendre en compte par le juge, notamment s’il y a lieu ou non de limiter la communication de certaines informations, la formation de jugement et les modalités de publication de la décision.

La directive permet de rapprocher le cadre d’exercice de cette protection au niveau européen, mais demeure peut-être insuffisante, pour son application concrète, en ce qui concerne la coopération entre les États membres. Ainsi, des initiatives nationales qu’elle permet, allant jusqu’à la saisie de biens importés – s’ils sont issus d’un détournement de brevet ou d’un plagiat de modèle – à des fins de protection du secret des affaires, ne peuvent conduire à en dénaturer l’esprit.

Je serai davantage réservé sur la sanction pénale introduite à l’article 1er quater. L’amende civile, telle que proposée dans la version initiale, me semble préférable, les procédures civiles étant généralement beaucoup plus rapides que les procédures pénales. C’est la raison pour laquelle notre groupe a déposé un amendement allant dans le sens de la solution retenue par la majorité présidentielle.

Je tiens enfin à souligner que le recours à une proposition de loi se justifie par le délai de transposition.

Nous suivrons avec intérêt l’examen des articles et des amendements en séance. À cette heure, une large majorité des membres du RDSE est favorable au texte, avec les réserves déjà exprimées, tandis que quelques-uns s’y opposeront, faute de prise en compte de leurs amendements.

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