Intervention de Jacques Bigot

Réunion du 18 avril 2018 à 14h30
Protection des savoir-faire et des informations commerciales — Demande de renvoi à la commission.

Photo de Jacques BigotJacques Bigot :

Même si je ne partage pas complètement votre vision, monsieur le rapporteur, je veux vous féliciter d’avoir réussi à procéder, dans des délais extrêmement contraints, à des auditions, pour essayer de mettre au point un texte. Il est vrai que vous aviez déjà travaillé sur ces questions voilà quelque temps.

J’en viens à l’objet de la motion tendant au renvoi à la commission.

La définition du secret des affaires mérite d’être pleinement étudiée. Aux termes de la directive, on entend par « secret d’affaires » des informations qui répondent à trois conditions – pour vous, monsieur le rapporteur, ce sont trois critères, mais je ne suis pas sûr que ce soit un « plus ».

Première condition : des informations sont « secrètes en ce sens que, dans leur globalité ou dans la configuration de l’assemblage exacts de leurs éléments, elles ne sont pas généralement connues des personnes appartenant aux milieux qui s’occupent normalement du genre d’informations en question, ou ne leur sont pas aisément accessibles ». Or le texte de la commission renvoie aux « personnes familières de ce type d’informations en raison de leur secteur d’activité ». Une telle imprécision peut se révéler extrêmement dangereuse dans les procédures dont les tribunaux risquent d’être saisis.

Deuxième condition : des informations « ont une valeur commerciale parce qu’elles sont secrètes ». La proposition de loi va plus loin en mentionnant une valeur économique, effective ou potentielle. Monsieur le rapporteur, les termes « valeur économique », comme je l’ai dit précédemment, ont une portée plus large. Cela mérite donc un débat. Pourquoi écrire « valeur économique, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret » et pas « valeur commerciale », comme dans la directive ? Ce n’est pas tout à fait la même chose !

Le deuxième point de l’article 2 de la directive définit qui est protégé et dans quel cadre. La protection a pour but de protéger contre la concurrence : elle ne doit pas nuire à la nécessaire transparence, notamment lorsque l’intérêt général est en jeu. C’est cet équilibre extrêmement difficile qui mérite d’être recherché.

Le Conseil d’État et le Défenseur des droits l’ont rappelé, des dispositifs de protection des lanceurs d’alerte existent dans notre droit positif, mais il faut les harmoniser. Vous-même, madame la garde des sceaux, avez dit que vous n’étiez pas favorable, sur ce point, à la proposition de M. le rapporteur, ce qui montre bien la nécessité d’un débat sur ce sujet aussi.

Par ailleurs, aux termes de l’article 1er de la directive, « rien dans la présente directive ne peut être interprété comme permettant de restreindre la mobilité des travailleurs. En particulier, en ce qui concerne l’exercice de cette mobilité, la présente directive ne permet aucunement […] ». Or rien n’est prévu dans le texte qui nous est soumis pour protéger les travailleurs.

De la même manière, le texte n’apporte aucune précision concernant les travailleurs ayant des missions de représentation dans l’entreprise, qui doivent échanger avec leur syndicat. Or leur protection est possible en vertu de l’article 1er de la directive par nos droits nationaux.

Quant à la question de la liberté d’expression, elle reste tout aussi importante. Je l’ai dit précédemment, nous craignons fortement que les journalistes et les lanceurs d’alerte ne puissent plus divulguer d’informations. Songeons à ce médecin qui a fort heureusement alerté les Français sur le scandale du Mediator. Aurait-elle pu le faire si cette directive avait été applicable ? Ne pensez-vous pas que l’entreprise concernée, dont je ne prononcerai pas le nom, ne se serait pas précipitée pour saisir un juge d’instruction, un tribunal de commerce ou le tribunal de grande instance ?

À cet égard, vous avez évoqué, madame la garde des sceaux, la juridiction compétente pour défendre les libertés. Or, à ma connaissance, les tribunaux de commerce ont vocation à régler des conflits entre commerçants et non pas à défendre les libertés. Dans la mesure où les organes de presse sont en général organisés en société commerciale, les débats auront donc lieu devant les tribunaux de commerce. C’est aussi une crainte des journalistes : leur juge naturel, le juge d’instance, celui qui garantit les libertés, comme vous le disiez, risque de ne pas être saisi.

Au demeurant, la protection est utile et le débat nécessaire, y compris pour les commerçants. Lorsqu’une entreprise attaquera une entreprise concurrente, considérant que cette dernière a violé son secret d’affaires, elle devra, dans le cadre du procès, fournir des documents susceptibles de dévoiler encore plus d’informations que le secret protégé. Comment donc s’assurer que le juge dispose bien des informations nécessaires, tout en préservant une nécessaire confidentialité ?

Madame la garde des sceaux, vous êtes en train de travailler à des réformes importantes de la justice. Ces questions de procédure civile pourraient y être intégrées.

J’évoquerai enfin le recours à la voie pénale. Le Conseil d’État lui-même dit : faites très attention à la voie pénale. La notion de secret des affaires est tellement floue que l’on ne sait pas comment elle peut être interprétée par des juges. Or on se précipite, monsieur le rapporteur, pour ajouter dans le texte de la commission une infraction pénale.

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