Monsieur le président, messieurs les ministres, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le projet de programme de stabilité pour 2018-2022, qui doit être transmis à la Commission européenne avant le 30 avril, est un document important, qui s’accompagne d’un programme national de réformes.
Compte tenu de l’importance que revêt ce document, notamment au regard du processus européen de surveillance et de coordination des politiques économiques et budgétaires, je ne peux que me féliciter qu’il fasse l’objet d’un débat en séance publique ce soir. Même si ce débat ne sera pas suivi d’un vote au Sénat, sa tenue répond à un souhait de la commission des finances.
En ce qui concerne tout d’abord le scénario macroéconomique retenu par le Gouvernement, on peut le qualifier de raisonnable. Il est porté par une reprise plus vigoureuse qu’escompté depuis le printemps 2017, avec une croissance de 2, 0 % du PIB.
Dans ce contexte porteur, le présent projet de programme de stabilité est marqué par une révision à la hausse de la prévision de croissance. Cela concerne 2018, avec un niveau légèrement inférieur à la moyenne des estimations, mais aussi 2019, l’hypothèse retenue s’établissant ainsi dans la fourchette haute des estimations disponibles. Enfin, sur la période 2020-2022, il est fait l’hypothèse d’une croissance stable. On peut donc considérer que le Gouvernement retient un scénario intermédiaire entre celui du FMI et celui du consensus des économistes.
L’hypothèse d’élasticité des prélèvements obligatoires par rapport au PIB est également essentielle, puisque le déficit public y est davantage sensible qu’à la croissance. Tandis que le Gouvernement avait fait preuve de prudence dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018, en retenant une hypothèse d’élasticité unitaire, le présent projet de programme de stabilité est construit selon une élasticité révisée à la hausse, à hauteur de 0, 1 point.
Si cette prévision est plausible, l’élasticité resterait toutefois supérieure à l’unité pendant trois exercices consécutifs, ce qui ne s’est produit qu’à une seule reprise au cours des vingt-cinq dernières années, entre 1999 et 2001. Il s’agit donc là d’un pari.
Messieurs les ministres, vous avez évoqué la question du rythme de remontée des taux d’intérêt, également tout à fait décisive pour les finances publiques. Je constate que, en la matière, le Gouvernement fait preuve d’une grande prudence –peut-être excessive –, puisqu’il retient l’hypothèse d’une remontée des taux d’intérêt deux fois plus rapide que celle qu’ont anticipée les différents organismes de conjoncture ou la majorité de nos partenaires européens. Si l’on retenait le scénario de remontée des taux inspiré du Consensus Forecasts, la charge des intérêts pour l’État serait inférieure de 8 milliards d’euros en 2022. N’y a-t-il pas là une forme de « réserve de précaution », qui devrait vous permettre, si finalement les taux d’intérêt remontaient comme l’anticipent les autres pays, d’absorber d’éventuels dérapages constatés sur les dépenses pilotables ?
S’il apparaît donc raisonnable, le cadrage macroéconomique retenu par le Gouvernement sur la période 2018-2022 reste soumis à des aléas importants. M. Le Maire en a évoqué un certain nombre.
À l’échelon international, tout d’abord, les orientations de la politique commerciale américaine sont susceptibles de peser sur la croissance mondiale en déclenchant une spirale protectionniste. Les risques financiers liés à une correction sur les marchés d’actions – j’espère que cela n’ira pas jusqu’à un krach boursier – et à une remontée non contrôlée des taux d’intérêt sont également préoccupants.
À l’échelon européen, ensuite, outre les incertitudes sur la position des économies de la zone euro dans le cycle et le rythme de croissance, des risques politiques existent, liés en particulier au Brexit ou à la situation politique en Italie.
À l’échelon national, enfin, des événements exceptionnels pourraient peser sur la croissance. Il faut aussi considérer l’hypothèse que l’appareil productif français ne parvienne pas à répondre à la hausse de la demande. En outre, l’inquiétude grandit en ce qui concerne la dynamique du crédit aux entreprises non financières et aux ménages.
Les simulations issues des deux scénarios macroéconomiques construits par la commission des finances, alternatifs à celui du Gouvernement – l’un est plus optimiste, l’autre plus pessimiste –, confirment le caractère central des hypothèses macroéconomiques sous-jacentes au présent projet de programme de stabilité.
J’en viens à l’analyse de l’exécution budgétaire. Cela a été souligné et nous pouvons nous en réjouir, il paraît désormais acquis que la France sortira du volet correctif du pacte de stabilité dès cette année, le doute concernant l’exercice 2019 étant en grande partie levé grâce à l’amélioration de la conjoncture.
Plus globalement, l’amélioration du contexte macroéconomique devrait permettre un redressement accéléré de la situation des finances publiques au cours du quinquennat.
Il convient cependant de s’interroger sur la pérennité de ce redressement, dès lors que le retour à un déficit nominal inférieur à 3 % tient à la reprise économique et au dynamisme des prélèvements obligatoires, davantage qu’à un effort structurel en dépense. En l’absence de « bonne nouvelle » en recettes, ce déficit se serait établi à 3, 4 % du PIB en 2017, les différentes mesures de redressement décidées par le Gouvernement étant insuffisantes pour le contenir.
Bien que l’effet des mesures nouvelles en prélèvements obligatoires, hors mesures exceptionnelles, soit neutre en 2017, la part des prélèvements obligatoires dans la richesse nationale progresse encore de 0, 8 point sous l’effet du dynamisme des recettes, pour atteindre 45, 4 % du PIB. J’ai bien entendu, cela étant, les remarques du Gouvernement concernant la redevance audiovisuelle et un certain nombre de retraitements.
Le présent projet de programme de stabilité maintient toutefois l’objectif initial du Gouvernement de baisse de 1 point de la part des prélèvements obligatoires dans la richesse nationale d’ici à 2022. Avec un taux de prélèvements obligatoires de 44, 3 % en 2022, cela resterait malheureusement insuffisant pour revenir sur la hausse observée au cours du précédent quinquennat ; je me tourne, à cet instant, vers le côté gauche de l’hémicycle…
Autre constat, il apparaît que l’amélioration du déficit structurel, qui s’est réduit de 0, 5 point l’an dernier, a été essentiellement due aux effets d’élasticités.
J’ignore quelle a été la teneur du débat à l’Assemblée nationale, mais cela ne sera pas sans poser au Gouvernement une difficulté politique au regard de la règle de la « cagnotte » qui a été introduite dans le cadre de la loi de programmation des finances publiques et que la Haute Assemblée n’avait pas validée. Cette règle permet en effet de dépenser jusqu’à la moitié des « bons résultats » constatés en exécution sur le solde structurel. À l’époque, nous avions émis les plus grandes réserves à ce sujet, considérant que, s’il devait y avoir de meilleurs résultats en exécution sur le solde structurel, cela devait se traduire soit par des baisses de prélèvements obligatoires, soit par une réduction du déficit, mais en aucun cas par des dépenses supplémentaires. Je crains, monsieur le ministre, que vous ne vous trouviez piégé par cette règle de la cagnotte.
Parallèlement, l’effort structurel en dépense se révèle négatif, pour la première fois depuis 2012. En outre, l’année 2018 est marquée par un objectif de maîtrise de la dépense moins ambitieux. En effet, lors du débat d’orientation des finances publiques pour 2018, M. Le Maire avait affirmé que les dépenses de l’État ne progresseraient pas du tout en volume. Aujourd’hui, il évoque une croissance de la dépense publique de 0, 7 %. Le Gouvernement est donc quelque peu revenu sur son objectif initial d’une stabilité totale de la dépense publique.
Les économies à réaliser en 2018 s’élèvent à seulement 11 milliards d’euros, soit près de deux fois moins que prévu dans le scénario du débat d’orientation des finances publiques. Il semble donc que le Gouvernement profite de l’indéniable reprise économique en Europe, en particulier en France, pour renoncer à une partie de ses efforts de maîtrise de la dépense. Peut-être le débat nous éclairera-t-il sur ce point.
La nouvelle trajectoire 2018-2022 proposée au travers du présent projet de programme de stabilité doit s’inscrire dans le respect de nos engagements européens, alors que, même si les choses vont mieux, la France se trouve dans une situation atypique par rapport à ses partenaires européens, notamment au regard de son niveau de déficit et de dette publics.
La réduction annuelle du déficit structurel prévue par le Gouvernement est très inférieure aux prescriptions du pacte de stabilité. Elle pourrait même déboucher, à l’horizon 2019, sur l’ouverture d’une procédure pour « déviation significative ». Messieurs les ministres, la France devra-t-elle donc encore espérer une interprétation suffisamment « constructive » des règles européennes pour y échapper ?
Au-delà, nous attendons un effort de redressement. Le Gouvernement évoque la mise en œuvre d’un programme d’économies d’une ampleur inédite. Nous aurions aimé, à cet égard, pouvoir disposer des premières conclusions du comité « Action publique 2022 ». Cela aurait permis de mieux documenter les efforts d’économies envisagés. En tout cas, il faut une stratégie crédible de maîtrise de la dépense. À ce sujet, nous ne pourrons pas faire l’économie d’un débat sur la masse salariale de la fonction publique et les dépenses de retraite, ces deux postes représentant à eux seuls près de la moitié de la dépense publique en France.
J’achèverai mon propos en relevant que le projet de programme de stabilité – c’est la principale surprise qu’il comporte – ne tient en aucune manière compte de deux annonces récentes du Président de la République, confirmées dimanche soir par celui-ci à la télévision, pourtant susceptibles de bouleverser la trajectoire budgétaire, dans la mesure où elles représentent à elles deux un coût de près de 60 milliards d’euros.