Intervention de Éric Bocquet

Réunion du 18 avril 2018 à 21h30
Projet de programme de stabilité pour les années 2018 à 2022 — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Éric BocquetÉric Bocquet :

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, à ceux de nos concitoyens qui se demandent à quoi servent les parlementaires, je répondrai qu’il faut une sacrée dose d’optimisme pour vivre une journée comme celle d’aujourd’hui et entendre le même discours anxiogène à neuf heures en commission des finances et à vingt-deux heures trente-cinq en séance publique : la France est au bord du cataclysme, du gouffre, c’est la fin du monde !

Doit-on se féliciter que notre pays se retrouve, au terme de l’année 2017, sur les rails du traité budgétaire européen ? À en croire les déclarations du Gouvernement et certains communiqués enthousiastes, cela ne fait guère de doute : nous serions sur la bonne voie et, grâce au train des réformes, qui traduisent autant d’engagements de campagne, le pays devrait bientôt goûter aux félicités de l’équilibre budgétaire.

Vous avez dit « réduction du déficit budgétaire », « réduction des déficits en format européen » ? Soit, mais la réduction du déficit provient autant de la maîtrise des dépenses que de la progression des recettes. J’ai encore souvenir, mais cela n’a évidemment pas été rappelé, que nous avons voté cet automne un collectif budgétaire prévoyant, « brut de décoffrage », 5 milliards d’euros de recettes nouvelles au titre de l’impôt sur les sociétés acquitté par nos plus grands groupes industriels et commerciaux. La chose a certes fait couiner quelques grands groupes économiques, mais on ne saurait oublier que l’année boursière 2017 s’est achevée sur l’annonce de 94 milliards d’euros de bénéfices cumulés pour les entreprises du CAC 40 : on le voit, du capital, il y en a !

Les salariés des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, les surveillants de prison, les magistrats, les élus locaux, les retraités, les infirmières, bien d’autres encore attendent avec une impatience non dissimulée, ces temps-ci, les effets tant espérés du « ruissellement ».

À la vérité, la stabilité ne s’applique guère aux dividendes et aux profits. Malgré la croissance, qui serait retrouvée, et le retour de l’inflation, qui risque de faire sentir ses effets sur les taux longs, et sans parler de la guerre économique et fiscale relancée ces derniers temps par M. Trump à Washington, comme est fragile le résultat obtenu !

Les signes ne trompent pas et ils devraient interpeller. Nous conservons un déficit primaire important. En clair, cela signifie qu’une fois payés les dépenses de fonctionnement et les intérêts de la dette, nous sommes encore en déficit et que nous n’avons plus d’argent pour investir dans l’avenir du pays.

L’investissement public ayant atteint des niveaux de faiblesse inégalés, la croissance potentielle se trouve de plus en plus fortement obérée, et n’allons pas espérer que l’investissement privé prenne le relais. Ainsi, une députée de la majorité rappelait, ingénument peut-être puisqu’il s’agissait de survendre les initiatives du Gouvernement en la matière, que la France se situait désormais au vingt-quatrième rang européen, sur vingt-huit États, pour la qualité du réseau de téléphonie mobile. Notre réseau est pourtant largement ouvert à la concurrence, laquelle, comme nul ne l’ignore, fait baisser les prix et stimule l’innovation…

L’amélioration du solde budgétaire est donc trompeuse. Elle masque fort mal les restrictions de crédits, comme d’ailleurs les cadeaux fiscaux qui continuent d’être prodigués à ceux qui n’en ont pas besoin et alimentent le robinet du « ruissellement ».

La dépense publique, qui finance l’éducation, les dépenses de santé, la formation, la recherche, contribue elle aussi, qu’on le veuille ou non, à la croissance et au progrès économique. Elle n’est pas nuisible par nature, elle est aussi un levier.

Je pourrais également évoquer la situation des comptes des collectivités locales, eux aussi en excédent en raison d’un ralentissement significatif des investissements locaux, mais il est temps, mes chers collègues, que nous parlions enfin d’autre chose.

Contrairement à d’autres, qui font mine aujourd’hui d’en découvrir les travers et les conséquences sur la vie quotidienne des Français, nous n’avions pas approuvé la ratification du traité budgétaire européen. Nous ne siégeons pas au Parlement pour discuter tous les ans de l’amertume de la purge que les marchés financiers imposent aux populations, des attentes et des aspirations de ceux-ci en vue de garantir au mieux la rentabilité du capital. Il y a des objectifs politiques plus audacieux, mes chers collègues. Il est temps de mettre un terme aux logiques d’arriération des politiques budgétaires actuelles. La question qui se pose avec une acuité forte aujourd’hui, c’est celle de l’indispensable modification de la répartition de la richesse produite dans ce pays.

Enfin, le béotien que je suis s’interroge régulièrement sur la dette. « La dette, la dette, la dette », répète-t-on à l’envi aujourd’hui, comme un docteur Diafoirus, ou comme Toinette à son malade imaginaire : « Le poumon, le poumon, le poumon »… Si vous réduisez trop la dette, ne risquez-vous pas d’inquiéter les marchés financiers qui nous financent depuis des décennies ?

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