Intervention de Jean-François Rapin

Réunion du 18 avril 2018 à 21h30
Projet de programme de stabilité pour les années 2018 à 2022 — Déclaration du gouvernement suivie d'un débat

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin :

En fait, vous verrez, monsieur le ministre, que nous faisons les mêmes constats et concentrons nos inquiétudes sur les mêmes sujets.

Depuis 2011, les programmes de stabilité budgétaire sont transmis à la Commission européenne non en décembre, c’est-à-dire après la discussion budgétaire, mais au plus tard à la fin du mois d’avril.

L’article 14 de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, introduit sur l’initiative du Sénat, dispose que, « à compter de 2011, le Gouvernement adresse au Parlement, au moins deux semaines avant sa transmission à la Commission européenne […], le projet de programme de stabilité. Le Parlement débat de ce projet et se prononce par un vote ».

Malgré cet article, un débat n’a pas toujours eu lieu chaque année au Parlement : en 2012 et en 2017, en raison de la suspension des travaux parlementaires pendant les campagnes présidentielles, mais aussi en avril 2015, François Hollande craignant le vote des députés frondeurs. Pour rappel, l’article 49.3 de la Constitution sera utilisé deux mois plus tard, en juin 2015, sur le projet de loi d’Emmanuel Macron pour la croissance et l’activité. On l’avait oublié !

En 2018, le débat aura bien lieu au Parlement, dans les deux chambres. Le groupe Les Républicains s’en félicite. Cependant, comme par le passé, aucun vote n’aura lieu au Sénat, contrairement à l’Assemblée nationale, ce que notre groupe dénonce à chaque débat. Résolument, monsieur le ministre, le nouveau monde ne semble guère différent de l’ancien…

Pour en venir au fond, ce nouveau programme de stabilité vise notamment à reprogrammer l’objectif de déficit public de la France pour les années 2018 à 2022, afin de tenir compte des résultats de l’année 2017, actant un retour de la croissance, trois mois seulement après la publication de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 du 22 janvier dernier.

L’amélioration du déficit public en 2017, dont se prévaut le Gouvernement, est essentiellement due à des facteurs exogènes : le retour de la croissance en Europe et des taux d’intérêt bas. Malgré une reprise économique plutôt solide en 2017 – quelque 2 % –, la croissance française demeure encore en deçà de la moyenne européenne : 2, 3 % en moyenne prévue en 2017 dans la zone euro et 2, 4 % dans l’Union européenne.

Le programme de stabilité prévoit une plus forte croissance en 2018 et en 2019 que ce qui était prévu dans la loi de programmation : 2 % et 1, 9 % au lieu de 1, 7 %. Nous ne contestons pas ces hypothèses, que le Haut Conseil des finances publiques juge d’ailleurs réalistes. Les prévisions sont en effet dans la moyenne de celles des économistes.

Pour 2018, alors que le Gouvernement table sur 2 %, l’OCDE prévoit 2, 2 %, le FMI 2, 1 %, la Commission européenne 2 % et la Banque de France 1, 9 %. Le Haut Conseil des finances publiques émet toutefois des réserves sur les hypothèses de long terme du Gouvernement, qui estime que la croissance effective sera continûment supérieure à la croissance potentielle, atteinte lorsqu’un pays utilise au maximum ses capacités de production.

Selon le Haut Conseil, ce scénario est « optimiste ». Je le cite : « le contexte macro-économique comporte plusieurs facteurs […] d’incertitude pouvant affecter l’activité mondiale et européenne. » En outre, « la poursuite de la hausse des cours du pétrole et de l’appréciation de l’euro pourrait affecter la croissance de la zone euro. Celle-ci pourrait également pâtir des incertitudes qui caractérisent la situation politique de certains pays et les conditions du Brexit. »

Le déficit public, qui s’établit à 2, 6 % en 2017, retrouve son niveau d’avant la crise, qui était de 2, 5 % en 2007. Néanmoins, ce recul significatif de 0, 8 point par rapport à 2016 repose exclusivement sur une conjoncture favorable : les prévisions de croissance et d’élasticité des recettes ont été révisées, sans quoi le déficit aurait été de 3, 3 % en 2017, bien au-dessus des 3 %. Les recettes ont cru plus vite, de 4 %, que les dépenses, de 2, 5 %.

Rappelons que 2 % de croissance et 1 % d’inflation en 2017, ce sont 40 milliards d’euros de recettes fiscales et sociales de plus dans les caisses de l’État ! Souvenons-nous, cher Claude Raynal, que le président Nicolas Sarkozy avait, pour sa part, connu un effondrement des recettes publiques de 42 milliards d’euros en 2008 et en 2009. Le contexte économique n’a donc rien à voir et il est aujourd’hui extrêmement favorable.

Toutefois, cette amélioration ne doit pas cacher le fait que la France demeure en queue de peloton européen. En Allemagne, les comptes sont en excédent budgétaire depuis 2014. La moyenne du déficit public se situera entre 0, 9 % et 1, 1 %, soit autour de 1 % seulement, dans la zone euro en 2017. Avec 2, 6 %, nous en sommes encore très loin !

Je rappelle en outre que la France est, avec le Portugal, le pays européen qui a passé depuis 2002 le plus d’années en procédure de déficit excessif, même si vous n’y pouvez rien. Gardons-nous par conséquent de tout satisfecit qui serait exagéré, voire déplacé…

La Cour des comptes a de surcroît rappelé en janvier 2018 que « même avec un déficit ramené sous la barre des 3 %, la France continue de présenter une situation financière plus dégradée que celle de la quasi-totalité de ses partenaires de la zone euro. » Aussi, « les conditions à réunir pour atteindre les objectifs » de réduction du déficit fixées par le Gouvernement pour les prochaines années « sont nombreuses et loin d’être acquises ».

Pourtant, à la suite des résultats de l’année 2017, le Gouvernement a fortement révisé ses prévisions de déficit, avec de nouveaux pronostics beaucoup plus optimistes, un déficit inférieur à celui prévu en janvier de 0, 3 point en 2018 puis 0, 6 point les autres années, aboutissant même à un excédent en 2022, ce qui serait du jamais vu depuis 1974.

Monsieur le ministre, vous prévoyez par ailleurs un déficit public structurel inférieur de 0, 2 point chaque année, alors même que l’effort structurel serait désormais deux fois inférieur en 2018 à ce qui était prévu en janvier : de 0, 1 % seulement après 0 % en 2017 – autrement dit, aucune amélioration –, alors que cet effort structurel est reporté essentiellement en fin de quinquennat, nous l’avions déjà souligné lors du débat budgétaire. La conjoncture très favorable devrait au contraire vous inciter à engager l’effort structurel dès à présent, sans plus attendre.

Les nouvelles prévisions du programme de stabilité confirment par ailleurs que la réduction du déficit durant le quinquennat reposerait essentiellement sur l’excédent budgétaire des collectivités territoriales et de la sécurité sociale.

L’État et les administrations centrales resteraient en déficit, de 3, 1 % en 2018 à 1, 2 % en 2022, alors que les administrations publiques locales seraient excédentaires de 0, 1 % en 2018 à 0, 7 % en 2022 et les administrations de sécurité sociale de 0, 7 % en 2018 à 0, 8 % en 2022.

Un autre point nous inquiète dans ce projet de programme de stabilité : les nouvelles prévisions de taux de dépenses publiques et de prélèvements obligatoires sont bien supérieures à ce qui était prévu en janvier dans la loi de programmation. Ainsi, pour 2018, le taux de dépenses publiques est révisé, en l’espace de trois mois seulement, de 53, 9 % à 54, 4 %, soit 0, 5 point de plus ! Vous vous en êtes expliqué.

Encore ce dérapage n’inclut-il pas le coût de la suppression totale de la taxe d’habitation et de la reprise d’une partie de la dette de la SNCF, deux mesures annoncées par le Président de la République… Cela a été relevé par tous les groupes politiques. Or ces mesures vont peser très lourdement sur nos dépenses et creuser un peu plus le déficit et la dette, puisque leur coût se situe dans une fourchette, excusez du peu, estimée entre 20 milliards d’euros et 60 milliards d’euros !

Quant au niveau des prélèvements obligatoires en 2018, il est quant à lui révisé à la hausse, de 44, 3 % à 45 %, soit 0, 7 point de plus. C’est contraire à ce que vous nous disiez tout à l’heure, monsieur le ministre. En 2022, il est relevé de 43, 6 % à 44, 3 %, soit un niveau en fin de quinquennat quasi équivalent à celui de la fin de quinquennat de François Hollande : 44, 6 % en 2016. Il convient en effet de rappeler que la hausse de la fiscalité énergétique va représenter 14, 2 milliards d’euros d’alourdissement de la fiscalité sur les ménages et la hausse de la CSG 22, 5 milliards d’euros.

Je souhaite la réalité des chiffres plutôt que celle des mots ! Quand Emmanuel Macron se prévaut auprès des Français de baisser les impôts, la réalité est implacable : nous aurons à la fin de son quinquennat le même niveau de fiscalité qu’en 2016 sous François Hollande, soit le plus haut niveau d’Europe.

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