Intervention de Catherine de Kersauson

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 18 avril 2018 à 10h35
Soutien aux énergies renouvelables — Audition pour suite à donner à l'enquête de la cour des comptes

Catherine de Kersauson, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes :

Je suis heureuse de vous présenter aujourd'hui le résultat d'une enquête de la deuxième chambre de la Cour des comptes sur le soutien aux énergies renouvelables, effectuée à la demande de votre commission.

Je suis accompagnée des quatre rapporteurs du contrôle, Xavier Lafon, Lucie Roesch, Isabelle Vincent, Elsa Demangeon, de Sylvie Lemmet, conseillère-maitre, qui a assuré le contre-rapport, et d'Éric Allain, conseiller-maitre, président de la 4e section en charge de l'énergie.

Avant de vous présenter les principaux constats de ce rapport, je voudrais vous faire part de deux remarques liminaires.

La première porte sur le périmètre des travaux de l'enquête. Il a été défini en accord avec le sénateur Jean-François Husson. Il a été convenu que la Cour élabore un bilan des politiques publiques de soutien au développement des énergies renouvelables (EnR), en se focalisant sur cinq enjeux : les objectifs de développement fixés aux EnR, les résultats atteints par rapport à la trajectoire visée, les politiques menées en termes de soutien individuel, le coût public passé et à venir des mesures de soutien déployées et le pilotage des dispositifs.

Ces sujets n'épuisent pas la question de l'intégration des EnR dans le mix énergétique français. Nous n'avons pas traité ici la gestion de la variabilité de la production, les potentialités de stockage, les enjeux d'adaptation des réseaux ou des mécanismes de capacité, les EnR dans le secteur des transports.

Le rapport ne présente pas non plus une analyse micro-économique de chacune des filières et de leurs mécanismes de soutien car le prisme retenu était celui du pilotage global de la politique de soutien aux EnR dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte et de la première programmation pluriannuelle de l'énergie.

Ma deuxième remarque a trait à la méthode. Le rapport que vous avez devant vous constitue la synthèse de trois rapports préliminaires portant respectivement sur les politiques de soutien aux énergies renouvelables électriques, aux filières industrielles des énergies renouvelables électriques et aux énergies renouvelables de récupération pour la production de chaleur.

Les investigations ont été menées sur pièces et sur place. Elles ont conduit les rapporteurs à rencontrer l'ensemble des administrations concernées par la conception, la mise en oeuvre et l'évaluation des dispositifs de soutien aux énergies renouvelables. L'annexe n° 3 en fournit la liste en page 96. Je me dois de saluer ici la qualité de ces échanges.

Les rapporteurs ont également rencontré des professionnels du secteur des énergies renouvelables pour mieux appréhender les difficultés, les besoins et les réussites de ce secteur très hétérogène. Ils se sont aussi appuyés sur un certain nombre de comparaisons internationales, établies à la demande de la Cour par la direction générale du Trésor.

L'instruction s'est déroulée de janvier à décembre 2017. Les observations définitives des trois contrôles préliminaires ont été adoptées après examen des rapports les 23 et 30 novembre 2017. La synthèse a donné lieu à un rapport d'observations provisoires adressé aux administrations, à la CRE et à l'ADEME. Ce projet de communication a été élaboré après prise en compte des réponses écrites du Premier ministre et l'audition des administrations, du président de la CRE et du représentant du président de l'ADEME. Il a enfin été examiné et approuvé par le comité du rapport public et des programmes le 13 mars 2018.

Ce rapport fait suite au rapport public thématique de juillet 2013 consacré à la politique de développement des énergies renouvelables. La Cour avait alors identifié des zones de risque pesant sur la trajectoire budgétaire des dispositifs de soutien aux énergies renouvelables électriques et avait proposé des pistes d'amélioration de ces derniers.

Une actualisation de ces travaux s'imposait, au regard des nombreux changements législatifs et règlementaires intervenus et des nouvelles ambitions formulées par la loi de transition énergétique pour la croissance verte en 2015 et déclinées en 2016 dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). La réforme de la contribution au service public de l'énergie (CSPE) et la création du compte d'affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique » ont également bouleversé les conditions financières de soutien aux énergies renouvelables électriques, de même que l'évolution technique des outils de production et de leurs coûts de déploiement.

J'en viens maintenant aux principaux messages du rapport qui sont au nombre de trois : clarifier les ambitions, maitriser les coûts et renforcer le pilotage.

Clarifier les ambitions, c'est le message développé dans la première partie du rapport. Comme vous le savez, la France s'est fixé des objectifs très ambitieux en matière d'énergies renouvelables, qui reposent sur la mobilisation massive de toutes ses filières de production. La France vise ainsi à porter la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d'énergie à 23 % d'ici 2020 et 32 % d'ici 2030.

La stratégie énergétique telle que formulée dans la loi de transition énergétique en 2015 et déclinée dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) repose en réalité sur un double objectif climatique et énergétique. La France a l'ambition en effet de développer massivement la part des énergies renouvelables dans sa production et, dans le même temps, de réduire la part du nucléaire à 50 % de son mix électrique d'ici 2025. La Cour souligne que ce dernier objectif n'est pas compatible avec l'augmentation prévue d'ici 2025 des capacités d'énergies renouvelables électriques, ce que le ministre en charge de l'énergie a d'ailleurs annoncé en novembre dernier.

Malgré les efforts entrepris, la Cour constate, comme elle l'avait fait en 2013, le retard de la France par rapport aux objectifs fixés. La Cour note également que, faute d'une stratégie claire et de dispositifs stables et cohérents, le tissu industriel français a peu profité du développement des énergies renouvelables. La France ne dispose d'aucun ensemblier sur l'éolien. La filière industrielle du solaire photovoltaïque est quasiment inexistante et en mauvaise santé. Dans l'éolien et le solaire, les industries françaises couvrent moins de la moitié de la valeur ajoutée des investissements et moins de 25 % de la fabrication. Quelques industriels se maintiennent sur les marchés des EnR thermiques mais pour des volumes modestes. Il reste cependant des domaines technologiques à conquérir, qui offrent des perspectives à nos industriels.

Les entreprises françaises sont tout de même présentes sur certains segments amont et aval de la chaine de valeur, avec des retombées économiques réelles : le chiffre d'affaires des activités liées aux énergies renouvelables (incluant les soutiens) a plus que doublé depuis 2006, passant de 10,4 à 21,3 milliards d'euros en 2016. Le nombre d'emplois directs s'élevait quant à lui à 79 000 en 2016, en hausse de 30 % par rapport à l'année 2006. Seuls 15 % environ des emplois, relevant de la fabrication d'équipements et de l'assemblage, peuvent être considérés comme des emplois industriels.

Ce bilan industriel modeste doit être mis au regard des moyens considérables consacrés aux énergies renouvelables, et presque en totalité aux énergies renouvelables électriques.

Maîtriser les coûts, c'est le message de la deuxième partie du rapport. La somme des dépenses publiques de soutien aux énergies renouvelables atteignait 5,3 milliards d'euros en 2016, supportés très majoritairement par l'État.

Ce volume connaît une progression dynamique, en particulier pour les énergies renouvelables électriques. En tenant compte du rythme prévisible de développement des nouvelles installations d'énergies renouvelables électriques et d'injection de biogaz, les dépenses afférentes pourraient atteindre 7,8 milliards d'euros en 2023.

Surtout, les décisions du passé pèsent fortement sur le budget de l'État. En effet, comme certains de nos voisins européens, l'État français a mis en place des tarifs d'achat en faveur des producteurs l'engageant financièrement sur plusieurs décennies.

Ainsi, les décisions de soutien prises avant 2011 représentent aujourd'hui près des deux tiers des dépenses publiques annuelles de soutien aux énergies renouvelables. De plus, 94 % des charges prévisionnelles à décaisser au cours des cinq prochaines années dans le domaine des énergies renouvelables relèveront d'engagements antérieurs à 2018. Pour la seule année 2023, ce ratio s'élèvera encore à 84 % (6,5 milliards d'euros sur 7,8 milliards d'euros).

Pour certains segments de production, les charges acquittées par l'État apparaissent disproportionnées au regard des volumes de production réalisés.

Le soutien au photovoltaïque coûtera par exemple aux finances publiques, selon les dernières estimations de la CRE, 38,4 milliards d'euros sur 20 ans pour un volume de production représentant 0,7 % du mix électrique. Sur l'éolien offshore, la pleine réalisation des appels d'offres lancés en 2011 et 2013 pèserait à hauteur de 2 milliards d'euros par an sur 20 ans (environ 40,7 milliards d'euros cumulés) pour un volume de production représentant à terme 2 % du mix électrique.

Ces évaluations, qui tiennent notamment à la tendance baissière observée sur les marchés de l'électricité depuis quelques années, sont évidemment sensibles aux hypothèses utilisées pour les projections de prix de marché de l'électricité.

Les énergies renouvelables thermiques relèvent quant à elles d'une toute autre logique budgétaire. Elles sont financées par des mécanismes classiques de crédits budgétaires - via le fonds chaleur - et de dépenses fiscales via le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE). La Cour relève que les dépenses qui leur sont consacrées n'atteignent aujourd'hui environ qu'un dixième du montant de celles accordées aux énergies renouvelables électriques, et ceci alors même que les énergies renouvelables thermiques représentent 60 % de la production d'énergie renouvelable (hors transports).

Les énergies renouvelables thermiques souffrent également d'un déficit de compétitivité structurel en regard des solutions conventionnelles. Il tient notamment à l'orientation à la baisse des marchés des énergies fossiles. La composante carbone des taxes intérieures de consommation permettra progressivement de combler ce déficit, qui obère durablement le développement des énergies renouvelables thermiques. Toutefois, en attendant que l'augmentation de la composante carbone envoie un signal-prix suffisamment fort pour réorienter massivement des investissements vers les énergies renouvelables thermiques, les moyens du fonds chaleur doivent être accrus. Un recentrage des équipements éligibles au crédit d'impôt pour la transition énergétique sur ceux fonctionnant à partir de sources renouvelables participerait également à l'atteinte de ces objectifs.

De nombreux ajustements positifs sont intervenus dans l'architecture des dispositifs de soutien aux énergies renouvelables ces dernières années, permettant de réduire les rentabilités indues et de favoriser la concurrence. Au regard de l'ampleur du volume prévisionnel de charges financières dédiées au soutien au développement des énergies renouvelables électriques, ces efforts doivent être poursuivis.

Il apparaît d'abord indispensable d'améliorer l'estimation ex-ante de ces charges, et d'en faire une base d'élaboration de la programmation pluriannuelle de l'énergie. La Cour a fait cet exercice et a approché le prix moyen de la production électrique issue des nouvelles installations associées au « mix EnR » résultant des objectifs fixés par la PPE 2016, hors coûts de réseaux ; je vous renvoie au tableau n° 3 page 53 du rapport.

L'estimation de ce prix moyen, dont le calcul vous est restitué dans le rapport, est de 95 euros/MWh. Ce chiffre peut permettre d'approcher - malgré les incertitudes associées à un tel calcul -, les volumes de soutien nécessaires à la mise en oeuvre de ces décisions de programmation. Cet exercice est également nécessaire pour réaliser des arbitrages entre filières et permet par exemple de comparer le prix des nouvelles installations EnR à celui des nouveaux projets nucléaires. Il permet également de mesurer le poids financier de certaines filières : le prix du mix baisse ainsi jusqu'à 72 euros/MWh si on retire l'impact des appels d'offre éolien en mer de 2011 et 2013.

Renforcer le pilotage, voilà le sens de la troisième et dernière partie du rapport.

D'une part, ce pilotage apparaît inadapté aux sommes en jeu. La mise en place du compte d'affectation spéciale transition énergétique a certes constitué un progrès mais il est insuffisant car cet outil, qui offre une visibilité annuelle, ne permet pas de faire apparaître l'intégralité des coûts que devront supporter à long-terme les finances publiques au titre des engagements contractés. L'architecture actuelle ne permet donc pas au Parlement de se prononcer sur le volume des nouveaux engagements, et d'apprécier la dynamique consolidée d'évolution des charges du fait d'engagements passés ou nouveaux.

La Cour en induit que le Parlement gagnerait à être mieux associé à la définition des objectifs de développement des énergies renouvelables et des volumes de soutien financier qui en résultent, au-delà de la simple participation de parlementaires aux instances de gouvernance de la politique énergétique qui existent actuellement.

D'autre part, le rapport met en évidence une faible coordination interministérielle sur un sujet qui s'y prête pourtant par nature. Il s'interroge également sur la capacité du système de gouvernance à éclairer les choix gouvernementaux réalisés dans un secteur aussi technique que sensible et associant de nombreuses parties prenantes, publiques et privées, nationales et territoriales.

Ces principaux messages ont conduit la Cour à proposer deux orientations et six recommandations. Elles ont pour but de renforcer la cohérence, l'efficience et la transparence des politiques de soutien aux énergies renouvelables.

S'agissant des orientations, la Cour propose d'abord de saisir l'occasion de l'actualisation de la programmation pluriannuelle de l'énergie pour définir une stratégie énergétique cohérente entre les objectifs de production d'énergies renouvelables et ceux de réduction de la part de l'énergie nucléaire dans le mix. Cette actualisation doit également être l'occasion de clarifier les ambitions industrielles françaises en matière d'énergies renouvelables et les moyens associés.

Ainsi que je l'ai précédemment indiqué, la Cour estime également que le Parlement doit être davantage associé à la définition des objectifs et des charges budgétaires relatives au développement des énergies renouvelables. Sans préjuger des moyens pour y parvenir, ceci suppose que le Parlement puisse se prononcer sur les engagements pesant sur les finances publiques s'agissant de la mise en oeuvre de cette politique publique.

Les six recommandations formulées ensuite sont plus précises.

La Cour recommande d'abord de rétablir une vérité des prix s'agissant du soutien aux énergies renouvelables : le calcul des coûts de production et des prix actuels et prévisionnels de l'ensemble du mix énergétique programmé dans la programmation pluriannuelle de l'énergie doit permettre de contenir le volume de soutiens publics associés au développement des énergies renouvelables. L'efficience des dispositifs actuels de soutien aux énergies renouvelables électriques doit - dans le même temps - être renforcée, sur la base notamment des bonnes pratiques observées chez nos voisins européens. Le rapport propose à ce titre plusieurs pistes concrètes.

S'agissant des énergies renouvelables thermiques, véritable parent pauvre des politiques de soutien aux énergies renouvelables, la Cour recommande un accroissement des moyens du fonds chaleur. Elle appelle également au respect de la trajectoire d'évolution de la taxe carbone fixée en loi de finances initiale pour 2018 jusqu'en 2022.

Enfin, pour favoriser le pilotage de cette politique publique, la Cour recommande la création d'une instance chargée d'éclairer les choix gouvernementaux relatifs à la politique de l'énergie. Sur le modèle du conseil d'orientation des retraites, ce comité aurait vocation à se substituer à certaines des nombreuses structures de gouvernance appelées à se prononcer sur la programmation énergétique. Une instance de pilotage interministériel placée auprès du Premier ministre permettrait, enfin, de faciliter le pilotage administratif de cette politique.

Dans sa réponse aux observations provisoires de la Cour, le Premier ministre a d'ailleurs indiqué, je cite, que « le Gouvernement envisage de créer, en remplacement d'autres instances, un comité qui rassemblerait les différentes expertises de la sphère publique (...) ainsi que les compétences de la sphère privée ». Il indique également avoir choisi - je cite à nouveau - « de stimuler par le haut le renforcement du dialogue interministériel, en réunissant plusieurs fois par an les ministres concernés lors d'un comité interministériel de politique énergétique ».

Conformément aux procédures en vigueur, tous ces messages et ces recommandations ont été naturellement contredits avec les administrations concernées, dont certains de leurs représentants sont présents aujourd'hui. Je salue une nouvelle fois la qualité des échanges que nous avons noués ensemble. Pour beaucoup, les constats que j'ai formulés devant vous ont été partagés avec tous nos interlocuteurs. Les pistes de solutions que je viens d'esquisser l'ont été également.

À ce stade, la Cour constate qu'un certain nombre d'avancées ont été réalisées. Je citerai trois exemples.

D'abord, la reconnaissance par le ministre chargé de l'énergie de l'impossibilité d'atteindre la cible de 50 % d'énergie nucléaire dans le mix de production d'ici 2025 est un premier pas vers une mise en cohérence bienvenue et attendue de la stratégie énergétique nationale.

Ensuite, sur le plan budgétaire, l'intégration des comptes d'affectation spéciale et notamment du CAS « Transition énergétique » dans le périmètre des dépenses couvertes par l'objectif d'évolution de la dépense publique (« norme de dépenses ») à l'occasion de la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques 2018-2022 est une première évolution satisfaisante de l'architecture budgétaire du soutien aux énergies renouvelables. Elle n'est toutefois pas suffisante.

Enfin, sur le plan administratif, la contradiction conduite par la Cour avec les services ministériels chargés des politiques de soutien aux énergies renouvelables a donné lieu à la rédaction d'une réponse commune aux observations provisoires des rapporteurs, sous la plume du Premier ministre. Il y décrit les initiatives envisagées à ce stade par l'exécutif pour renforcer la coordination interministérielle dans ce secteur.

La Cour sera d'autant plus attentive aux suites concrètes que les administrations donneront à ses observations et recommandations que l'actualisation de la PPE interviendra cette année. Elle constitue l'outil privilégié de mise en oeuvre de certaines des recommandations formulées ; nous ne pouvons que souhaiter que les administrations concernées se saisissent de cette occasion.

Je me tiens à présent, avec les magistrats et rapporteurs qui m'accompagnent, à votre disposition pour répondre à vos questions.

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