Nous allons procéder à une audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, réalisée à la demande de la commission des finances en application de l'article 58 paragraphe 2 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), sur le soutien aux énergies renouvelables.
Depuis 2005, le développement des énergies renouvelables est devenu un axe majeur de la politique énergétique de notre pays, afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre provoquées par les énergies fossiles et de remplacer une partie de l'énergie électrique d'origine nucléaire.
Notre pays s'est fixé des objectifs ambitieux dans ce domaine dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte adoptée en 2015 : atteindre 23 % d'énergies renouvelables dans la consommation finale brute d'énergie en 2020 et 32 % en 2030.
La plupart des sources d'énergies renouvelables doivent bénéficier d'un soutien public car elles ne sont pas encore rentables. Le coût de ce soutien, qui fait partie des « charges du service public de l'énergie » que nous votons dans le cadre du projet de loi de finances, va croissant.
C'est pourquoi notre commission des finances a souhaité demander à la Cour des comptes de réaliser un bilan des politiques publiques de soutien au développement des énergies renouvelables.
Nous recevons Catherine de Kersauson, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes, qui nous présentera les principales conclusions des travaux menés. Pour nous éclairer sur le sujet, sont également présents aujourd'hui Laurent Michel, directeur général de l'énergie et du climat, Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), Fabrice Boissier, directeur général délégué de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER).
Après avoir entendu la présidente Catherine de Kersauson, Jean-François Husson, rapporteur spécial, présentera les principaux enseignements qu'il tire de cette enquête. Il posera également ses premières questions aux différentes personnes entendues ce matin.
À l'issue de nos débats, je demanderai aux membres de la commission des finances leur accord pour publier l'enquête remise par la Cour des comptes.
Sans plus attendre, je laisse la parole à Mme de Kersauson, pour qu'elle nous présente les principales conclusions de l'enquête réalisée par la Cour des comptes.
Je suis heureuse de vous présenter aujourd'hui le résultat d'une enquête de la deuxième chambre de la Cour des comptes sur le soutien aux énergies renouvelables, effectuée à la demande de votre commission.
Je suis accompagnée des quatre rapporteurs du contrôle, Xavier Lafon, Lucie Roesch, Isabelle Vincent, Elsa Demangeon, de Sylvie Lemmet, conseillère-maitre, qui a assuré le contre-rapport, et d'Éric Allain, conseiller-maitre, président de la 4e section en charge de l'énergie.
Avant de vous présenter les principaux constats de ce rapport, je voudrais vous faire part de deux remarques liminaires.
La première porte sur le périmètre des travaux de l'enquête. Il a été défini en accord avec le sénateur Jean-François Husson. Il a été convenu que la Cour élabore un bilan des politiques publiques de soutien au développement des énergies renouvelables (EnR), en se focalisant sur cinq enjeux : les objectifs de développement fixés aux EnR, les résultats atteints par rapport à la trajectoire visée, les politiques menées en termes de soutien individuel, le coût public passé et à venir des mesures de soutien déployées et le pilotage des dispositifs.
Ces sujets n'épuisent pas la question de l'intégration des EnR dans le mix énergétique français. Nous n'avons pas traité ici la gestion de la variabilité de la production, les potentialités de stockage, les enjeux d'adaptation des réseaux ou des mécanismes de capacité, les EnR dans le secteur des transports.
Le rapport ne présente pas non plus une analyse micro-économique de chacune des filières et de leurs mécanismes de soutien car le prisme retenu était celui du pilotage global de la politique de soutien aux EnR dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte et de la première programmation pluriannuelle de l'énergie.
Ma deuxième remarque a trait à la méthode. Le rapport que vous avez devant vous constitue la synthèse de trois rapports préliminaires portant respectivement sur les politiques de soutien aux énergies renouvelables électriques, aux filières industrielles des énergies renouvelables électriques et aux énergies renouvelables de récupération pour la production de chaleur.
Les investigations ont été menées sur pièces et sur place. Elles ont conduit les rapporteurs à rencontrer l'ensemble des administrations concernées par la conception, la mise en oeuvre et l'évaluation des dispositifs de soutien aux énergies renouvelables. L'annexe n° 3 en fournit la liste en page 96. Je me dois de saluer ici la qualité de ces échanges.
Les rapporteurs ont également rencontré des professionnels du secteur des énergies renouvelables pour mieux appréhender les difficultés, les besoins et les réussites de ce secteur très hétérogène. Ils se sont aussi appuyés sur un certain nombre de comparaisons internationales, établies à la demande de la Cour par la direction générale du Trésor.
L'instruction s'est déroulée de janvier à décembre 2017. Les observations définitives des trois contrôles préliminaires ont été adoptées après examen des rapports les 23 et 30 novembre 2017. La synthèse a donné lieu à un rapport d'observations provisoires adressé aux administrations, à la CRE et à l'ADEME. Ce projet de communication a été élaboré après prise en compte des réponses écrites du Premier ministre et l'audition des administrations, du président de la CRE et du représentant du président de l'ADEME. Il a enfin été examiné et approuvé par le comité du rapport public et des programmes le 13 mars 2018.
Ce rapport fait suite au rapport public thématique de juillet 2013 consacré à la politique de développement des énergies renouvelables. La Cour avait alors identifié des zones de risque pesant sur la trajectoire budgétaire des dispositifs de soutien aux énergies renouvelables électriques et avait proposé des pistes d'amélioration de ces derniers.
Une actualisation de ces travaux s'imposait, au regard des nombreux changements législatifs et règlementaires intervenus et des nouvelles ambitions formulées par la loi de transition énergétique pour la croissance verte en 2015 et déclinées en 2016 dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). La réforme de la contribution au service public de l'énergie (CSPE) et la création du compte d'affectation spéciale (CAS) « Transition énergétique » ont également bouleversé les conditions financières de soutien aux énergies renouvelables électriques, de même que l'évolution technique des outils de production et de leurs coûts de déploiement.
J'en viens maintenant aux principaux messages du rapport qui sont au nombre de trois : clarifier les ambitions, maitriser les coûts et renforcer le pilotage.
Clarifier les ambitions, c'est le message développé dans la première partie du rapport. Comme vous le savez, la France s'est fixé des objectifs très ambitieux en matière d'énergies renouvelables, qui reposent sur la mobilisation massive de toutes ses filières de production. La France vise ainsi à porter la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d'énergie à 23 % d'ici 2020 et 32 % d'ici 2030.
La stratégie énergétique telle que formulée dans la loi de transition énergétique en 2015 et déclinée dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) repose en réalité sur un double objectif climatique et énergétique. La France a l'ambition en effet de développer massivement la part des énergies renouvelables dans sa production et, dans le même temps, de réduire la part du nucléaire à 50 % de son mix électrique d'ici 2025. La Cour souligne que ce dernier objectif n'est pas compatible avec l'augmentation prévue d'ici 2025 des capacités d'énergies renouvelables électriques, ce que le ministre en charge de l'énergie a d'ailleurs annoncé en novembre dernier.
Malgré les efforts entrepris, la Cour constate, comme elle l'avait fait en 2013, le retard de la France par rapport aux objectifs fixés. La Cour note également que, faute d'une stratégie claire et de dispositifs stables et cohérents, le tissu industriel français a peu profité du développement des énergies renouvelables. La France ne dispose d'aucun ensemblier sur l'éolien. La filière industrielle du solaire photovoltaïque est quasiment inexistante et en mauvaise santé. Dans l'éolien et le solaire, les industries françaises couvrent moins de la moitié de la valeur ajoutée des investissements et moins de 25 % de la fabrication. Quelques industriels se maintiennent sur les marchés des EnR thermiques mais pour des volumes modestes. Il reste cependant des domaines technologiques à conquérir, qui offrent des perspectives à nos industriels.
Les entreprises françaises sont tout de même présentes sur certains segments amont et aval de la chaine de valeur, avec des retombées économiques réelles : le chiffre d'affaires des activités liées aux énergies renouvelables (incluant les soutiens) a plus que doublé depuis 2006, passant de 10,4 à 21,3 milliards d'euros en 2016. Le nombre d'emplois directs s'élevait quant à lui à 79 000 en 2016, en hausse de 30 % par rapport à l'année 2006. Seuls 15 % environ des emplois, relevant de la fabrication d'équipements et de l'assemblage, peuvent être considérés comme des emplois industriels.
Ce bilan industriel modeste doit être mis au regard des moyens considérables consacrés aux énergies renouvelables, et presque en totalité aux énergies renouvelables électriques.
Maîtriser les coûts, c'est le message de la deuxième partie du rapport. La somme des dépenses publiques de soutien aux énergies renouvelables atteignait 5,3 milliards d'euros en 2016, supportés très majoritairement par l'État.
Ce volume connaît une progression dynamique, en particulier pour les énergies renouvelables électriques. En tenant compte du rythme prévisible de développement des nouvelles installations d'énergies renouvelables électriques et d'injection de biogaz, les dépenses afférentes pourraient atteindre 7,8 milliards d'euros en 2023.
Surtout, les décisions du passé pèsent fortement sur le budget de l'État. En effet, comme certains de nos voisins européens, l'État français a mis en place des tarifs d'achat en faveur des producteurs l'engageant financièrement sur plusieurs décennies.
Ainsi, les décisions de soutien prises avant 2011 représentent aujourd'hui près des deux tiers des dépenses publiques annuelles de soutien aux énergies renouvelables. De plus, 94 % des charges prévisionnelles à décaisser au cours des cinq prochaines années dans le domaine des énergies renouvelables relèveront d'engagements antérieurs à 2018. Pour la seule année 2023, ce ratio s'élèvera encore à 84 % (6,5 milliards d'euros sur 7,8 milliards d'euros).
Pour certains segments de production, les charges acquittées par l'État apparaissent disproportionnées au regard des volumes de production réalisés.
Le soutien au photovoltaïque coûtera par exemple aux finances publiques, selon les dernières estimations de la CRE, 38,4 milliards d'euros sur 20 ans pour un volume de production représentant 0,7 % du mix électrique. Sur l'éolien offshore, la pleine réalisation des appels d'offres lancés en 2011 et 2013 pèserait à hauteur de 2 milliards d'euros par an sur 20 ans (environ 40,7 milliards d'euros cumulés) pour un volume de production représentant à terme 2 % du mix électrique.
Ces évaluations, qui tiennent notamment à la tendance baissière observée sur les marchés de l'électricité depuis quelques années, sont évidemment sensibles aux hypothèses utilisées pour les projections de prix de marché de l'électricité.
Les énergies renouvelables thermiques relèvent quant à elles d'une toute autre logique budgétaire. Elles sont financées par des mécanismes classiques de crédits budgétaires - via le fonds chaleur - et de dépenses fiscales via le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE). La Cour relève que les dépenses qui leur sont consacrées n'atteignent aujourd'hui environ qu'un dixième du montant de celles accordées aux énergies renouvelables électriques, et ceci alors même que les énergies renouvelables thermiques représentent 60 % de la production d'énergie renouvelable (hors transports).
Les énergies renouvelables thermiques souffrent également d'un déficit de compétitivité structurel en regard des solutions conventionnelles. Il tient notamment à l'orientation à la baisse des marchés des énergies fossiles. La composante carbone des taxes intérieures de consommation permettra progressivement de combler ce déficit, qui obère durablement le développement des énergies renouvelables thermiques. Toutefois, en attendant que l'augmentation de la composante carbone envoie un signal-prix suffisamment fort pour réorienter massivement des investissements vers les énergies renouvelables thermiques, les moyens du fonds chaleur doivent être accrus. Un recentrage des équipements éligibles au crédit d'impôt pour la transition énergétique sur ceux fonctionnant à partir de sources renouvelables participerait également à l'atteinte de ces objectifs.
De nombreux ajustements positifs sont intervenus dans l'architecture des dispositifs de soutien aux énergies renouvelables ces dernières années, permettant de réduire les rentabilités indues et de favoriser la concurrence. Au regard de l'ampleur du volume prévisionnel de charges financières dédiées au soutien au développement des énergies renouvelables électriques, ces efforts doivent être poursuivis.
Il apparaît d'abord indispensable d'améliorer l'estimation ex-ante de ces charges, et d'en faire une base d'élaboration de la programmation pluriannuelle de l'énergie. La Cour a fait cet exercice et a approché le prix moyen de la production électrique issue des nouvelles installations associées au « mix EnR » résultant des objectifs fixés par la PPE 2016, hors coûts de réseaux ; je vous renvoie au tableau n° 3 page 53 du rapport.
L'estimation de ce prix moyen, dont le calcul vous est restitué dans le rapport, est de 95 euros/MWh. Ce chiffre peut permettre d'approcher - malgré les incertitudes associées à un tel calcul -, les volumes de soutien nécessaires à la mise en oeuvre de ces décisions de programmation. Cet exercice est également nécessaire pour réaliser des arbitrages entre filières et permet par exemple de comparer le prix des nouvelles installations EnR à celui des nouveaux projets nucléaires. Il permet également de mesurer le poids financier de certaines filières : le prix du mix baisse ainsi jusqu'à 72 euros/MWh si on retire l'impact des appels d'offre éolien en mer de 2011 et 2013.
Renforcer le pilotage, voilà le sens de la troisième et dernière partie du rapport.
D'une part, ce pilotage apparaît inadapté aux sommes en jeu. La mise en place du compte d'affectation spéciale transition énergétique a certes constitué un progrès mais il est insuffisant car cet outil, qui offre une visibilité annuelle, ne permet pas de faire apparaître l'intégralité des coûts que devront supporter à long-terme les finances publiques au titre des engagements contractés. L'architecture actuelle ne permet donc pas au Parlement de se prononcer sur le volume des nouveaux engagements, et d'apprécier la dynamique consolidée d'évolution des charges du fait d'engagements passés ou nouveaux.
La Cour en induit que le Parlement gagnerait à être mieux associé à la définition des objectifs de développement des énergies renouvelables et des volumes de soutien financier qui en résultent, au-delà de la simple participation de parlementaires aux instances de gouvernance de la politique énergétique qui existent actuellement.
D'autre part, le rapport met en évidence une faible coordination interministérielle sur un sujet qui s'y prête pourtant par nature. Il s'interroge également sur la capacité du système de gouvernance à éclairer les choix gouvernementaux réalisés dans un secteur aussi technique que sensible et associant de nombreuses parties prenantes, publiques et privées, nationales et territoriales.
Ces principaux messages ont conduit la Cour à proposer deux orientations et six recommandations. Elles ont pour but de renforcer la cohérence, l'efficience et la transparence des politiques de soutien aux énergies renouvelables.
S'agissant des orientations, la Cour propose d'abord de saisir l'occasion de l'actualisation de la programmation pluriannuelle de l'énergie pour définir une stratégie énergétique cohérente entre les objectifs de production d'énergies renouvelables et ceux de réduction de la part de l'énergie nucléaire dans le mix. Cette actualisation doit également être l'occasion de clarifier les ambitions industrielles françaises en matière d'énergies renouvelables et les moyens associés.
Ainsi que je l'ai précédemment indiqué, la Cour estime également que le Parlement doit être davantage associé à la définition des objectifs et des charges budgétaires relatives au développement des énergies renouvelables. Sans préjuger des moyens pour y parvenir, ceci suppose que le Parlement puisse se prononcer sur les engagements pesant sur les finances publiques s'agissant de la mise en oeuvre de cette politique publique.
Les six recommandations formulées ensuite sont plus précises.
La Cour recommande d'abord de rétablir une vérité des prix s'agissant du soutien aux énergies renouvelables : le calcul des coûts de production et des prix actuels et prévisionnels de l'ensemble du mix énergétique programmé dans la programmation pluriannuelle de l'énergie doit permettre de contenir le volume de soutiens publics associés au développement des énergies renouvelables. L'efficience des dispositifs actuels de soutien aux énergies renouvelables électriques doit - dans le même temps - être renforcée, sur la base notamment des bonnes pratiques observées chez nos voisins européens. Le rapport propose à ce titre plusieurs pistes concrètes.
S'agissant des énergies renouvelables thermiques, véritable parent pauvre des politiques de soutien aux énergies renouvelables, la Cour recommande un accroissement des moyens du fonds chaleur. Elle appelle également au respect de la trajectoire d'évolution de la taxe carbone fixée en loi de finances initiale pour 2018 jusqu'en 2022.
Enfin, pour favoriser le pilotage de cette politique publique, la Cour recommande la création d'une instance chargée d'éclairer les choix gouvernementaux relatifs à la politique de l'énergie. Sur le modèle du conseil d'orientation des retraites, ce comité aurait vocation à se substituer à certaines des nombreuses structures de gouvernance appelées à se prononcer sur la programmation énergétique. Une instance de pilotage interministériel placée auprès du Premier ministre permettrait, enfin, de faciliter le pilotage administratif de cette politique.
Dans sa réponse aux observations provisoires de la Cour, le Premier ministre a d'ailleurs indiqué, je cite, que « le Gouvernement envisage de créer, en remplacement d'autres instances, un comité qui rassemblerait les différentes expertises de la sphère publique (...) ainsi que les compétences de la sphère privée ». Il indique également avoir choisi - je cite à nouveau - « de stimuler par le haut le renforcement du dialogue interministériel, en réunissant plusieurs fois par an les ministres concernés lors d'un comité interministériel de politique énergétique ».
Conformément aux procédures en vigueur, tous ces messages et ces recommandations ont été naturellement contredits avec les administrations concernées, dont certains de leurs représentants sont présents aujourd'hui. Je salue une nouvelle fois la qualité des échanges que nous avons noués ensemble. Pour beaucoup, les constats que j'ai formulés devant vous ont été partagés avec tous nos interlocuteurs. Les pistes de solutions que je viens d'esquisser l'ont été également.
À ce stade, la Cour constate qu'un certain nombre d'avancées ont été réalisées. Je citerai trois exemples.
D'abord, la reconnaissance par le ministre chargé de l'énergie de l'impossibilité d'atteindre la cible de 50 % d'énergie nucléaire dans le mix de production d'ici 2025 est un premier pas vers une mise en cohérence bienvenue et attendue de la stratégie énergétique nationale.
Ensuite, sur le plan budgétaire, l'intégration des comptes d'affectation spéciale et notamment du CAS « Transition énergétique » dans le périmètre des dépenses couvertes par l'objectif d'évolution de la dépense publique (« norme de dépenses ») à l'occasion de la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques 2018-2022 est une première évolution satisfaisante de l'architecture budgétaire du soutien aux énergies renouvelables. Elle n'est toutefois pas suffisante.
Enfin, sur le plan administratif, la contradiction conduite par la Cour avec les services ministériels chargés des politiques de soutien aux énergies renouvelables a donné lieu à la rédaction d'une réponse commune aux observations provisoires des rapporteurs, sous la plume du Premier ministre. Il y décrit les initiatives envisagées à ce stade par l'exécutif pour renforcer la coordination interministérielle dans ce secteur.
La Cour sera d'autant plus attentive aux suites concrètes que les administrations donneront à ses observations et recommandations que l'actualisation de la PPE interviendra cette année. Elle constitue l'outil privilégié de mise en oeuvre de certaines des recommandations formulées ; nous ne pouvons que souhaiter que les administrations concernées se saisissent de cette occasion.
Je me tiens à présent, avec les magistrats et rapporteurs qui m'accompagnent, à votre disposition pour répondre à vos questions.
Je veux commencer par remercier la Cour des comptes pour sa présentation et, plus généralement, pour son enquête qui apporte un éclairage intéressant et des analyses précises sur le soutien public aux énergies renouvelables.
Le développement des énergies renouvelables constitue un enjeu environnemental, industriel et, de plus en plus, budgétaire, de première importance pour notre pays, avec un soutien public de 5,3 milliards d'euros en 2016.
Pourtant, sur ce sujet, le Parlement n'a jusqu'ici pratiquement pas eu voix au chapitre. Jusqu'à très récemment, les charges du service public de l'énergie, qui financent les dispositifs de soutien aux énergies renouvelables, relevaient d'une contribution au service public de l'énergie (CSPE) extrabudgétaire qui ne faisait l'objet d'aucun vote.
Depuis deux ans, nous pouvons enfin nous prononcer sur ces charges. Pour autant, le problème reste presque entier car le Parlement demeure exclu des grands choix qui engagent les finances du pays en matière de soutien aux énergies renouvelables : nous ne sommes toujours pas associés à la définition des objectifs de développement des énergies renouvelables qui sont décidés dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).
Compte tenu des montants financiers en jeu, je considère qu'il s'agit d'une véritable anomalie démocratique. Si la Cour des comptes partage ce constat, il faut désormais que le Gouvernement prenne pleinement conscience de cet enjeu et cesse de faire de ce domaine stratégique une prérogative exclusive de l'exécutif.
J'en viens à présent à une série de remarques et de questions que m'inspire ce rapport.
La Cour des comptes a tout d'abord examiné les résultats atteints en matière de développement des énergies renouvelables par rapport aux objectifs initialement fixés. Je rappelle que notre pays vise un objectif de 23 % d'énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie en 2020 et 32 % en 2030. Or, nous sommes aujourd'hui loin du compte, et les objectifs pour 2020 seront très difficiles à atteindre en l'absence de mesures supplémentaires, puisque nous en sommes à 16 % en 2016.
Si nous voulons vraiment accroître la place des énergies renouvelables dans notre mix énergétique, il nous faudra dans un premier temps revoir en profondeur nos procédures de recours contre un certain nombre d'installations victimes d'une opposition systématique. Je songe ici tout particulièrement à la filière éolienne, qu'elle soit terrestre ou en mer.
Il n'est pas normal qu'il faille plus de sept ans entre la conception d'un projet et sa mise en service en France, là où il en faut à peine trois en Allemagne ou aux Pays-Bas ! Cette situation dégrade notre attractivité et nous conduit à soutenir financièrement des technologies obsolètes, puisque dépassées lorsqu'elles sont enfin autorisées à produire de l'énergie. Les premières solutions qui ont émergées des groupes de travail animées par le secrétaire d'État Sébastien Lecornu sur ce point me paraissent aller dans le bon sens.
La deuxième raison qui explique le trop lent déploiement des énergies renouvelables dans le mix français tient au manque de réalisme de la précédente programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). La France s'est en effet fixé des objectifs plus ambitieux que ceux imposés par l'Union européenne, alors même que les sources d'énergies non carbonées occupent une place relativement importante dans son mix énergétique.
J'espère que la programmation pluriannuelle de l'énergie qui est actuellement en cours d'élaboration précisera de façon très claire comment le Gouvernement entend permettre à la France d'accélérer la montée en puissance des énergies renouvelables tout en réduisant la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 %. Si le ministre de la transition écologique et solidaire a officiellement renoncé à l'automne dernier à la date de 2025 sur ce point, sa stratégie dans ce domaine se fait toujours attendre.
S'agissant de la politique menée en matière de soutien industriel, je partage le constat selon lequel le bilan industriel du secteur des énergies renouvelables demeure insuffisant à ce stade, compte tenu de la difficulté des entreprises françaises à fournir des matériels et équipements aux filières de production des énergies renouvelables. Ce sont quatre grands groupes étrangers qui fournissent aujourd'hui 80 % des turbines installées en France tandis que le marché mondial des modules photovoltaïques est détenu à 90 % par des industriels asiatiques.
Il est donc essentiel, tant qu'il en est encore temps, de soutenir nos industriels qui parviennent à se développer dans les énergies renouvelables et de les aider à se positionner sur des technologies innovantes, comme les technologies de stockage ou les réseaux intelligents.
En ce qui concerne le coût des mesures de soutien aux énergies renouvelables, j'estime moi aussi qu'il faut davantage soutenir les énergies renouvelables thermiques : je préconise depuis plusieurs années de doubler le fonds chaleur de l'ADEME.
Je suis en revanche, contrairement à la Cour des comptes, beaucoup plus réservé sur la trajectoire de la composante carbone des taxes énergétiques qui a été adoptée dans le cadre de la loi de finances pour 2018. Bien que passionnante, la table-ronde que nous avons organisée sur ce sujet la semaine dernière ne m'a pas fait changer d'avis.
Je suis surtout très réservé sur la méthode qu'a utilisée le Gouvernement : une accélération brutale sur cinq ans qui est malheureusement passée pratiquement inaperçue et n'a fait l'objet d'aucune concertation préalable.
En outre, je n'ai pas l'impression que l'objectif soit vraiment d'accélérer la transition énergétique : je crois plutôt que le Gouvernement perçoit la composante carbone comme un impôt de rendement destiné à maximiser ses recettes.
Enfin, les contreparties censées accompagner la montée en puissance de cette fiscalité environnementale se font toujours attendre...
À ce sujet, l'ADEME peut-elle nous présenter ses estimations de l'impact de la révision à la hausse de la trajectoire carbone sur la compétitivité des projets de chaleur renouvelable, à court et à moyen termes ?
La Cour note à juste titre que les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables tels que les obligations d'achat ou les compléments de rémunération engagent nos finances publiques pour de longues périodes, pouvant aller jusqu'à 20 ans. C'est ce qui explique que 84 % du montant des charges du service public de l'énergie qui seront financées par le budget de l'État en 2023 correspondront à des dépenses engagées avant 2017 !
Il est donc capital que nous disposions d'outils extrêmement précis pour mesurer l'impact financier de long terme de ces mécanismes de soutien grâce à une meilleure connaissance des coûts de production et des prix des différentes filières, dans une démarche prospective. La Commission de régulation de l'énergie est-t-elle d'ores-et-déjà en mesure d'effectuer ce travail ?
Enfin, ainsi que je l'ai rappelé en préambule, je souscris à 100 % à la proposition de la Cour des comptes de mieux associer le Parlement à la définition des objectifs de développement des énergies renouvelables et des volumes financiers de soutien aux énergies renouvelables.
J'irais même plus loin. À mon sens, la programmation pluriannuelle de l'énergie devrait faire l'objet d'une loi de programmation, qui lui confèrerait une autorité bien plus grande que celle d'un simple décret, et, surtout, permettrait une validation démocratique de la stratégie énergétique de notre pays.
Je suis un peu plus réservé sur les deux propositions de la Cour des comptes concernant la gouvernance de la politique énergétique car j'ai le sentiment qu'elles reviendraient à créer de nouvelles instances de pilotage alors qu'il serait suffisant, selon moi, de renforcer celles qui existent déjà.
J'aurais deux questions sur ce point précis. La DGEC s'estime-t-elle dotée de moyens suffisants pour assurer quasiment à elle seule la mise en oeuvre de la politique de soutien aux énergies renouvelables ? La Commission de régulation de l'énergie (CRE) considère-t-elle que le Gouvernement utilise suffisamment son expertise en matière d'énergies ?
Je voudrais d'abord rappeler que les enjeux évoqués précédemment sont à la fois de cours, de moyen et de long termes. Nos enjeux pour 2020 à 2030 - baisse de la consommation d'énergie, développement des énergies renouvelables et baisse des émissions de gaz à effet de serre -, découlent à la fois des objectifs de la loi de transition énergétique pour la croissance verte et du cadre européen.
La « neutralité carbone » en 2050 exige une production et une consommation d'énergie totalement décarbonées, dans tous les secteurs. Certaines émissions ne pourront jamais être totalement évitées : le transport aérien ou l'agriculture, par exemple, ne pourront être compensés que par le puits de carbone que représente la forêt.
Deux leviers permettent d'atteindre ces objectifs : l'efficacité énergétique et la décarbonation des énergies grâce, notamment, au développement des énergies renouvelables. Ces objectifs nécessitent en outre une réglementation cohérente, par exemple pour les bâtiments ou les véhicules, une fiscalité équilibrée, mais aussi un volet incitatif qui implique de revoir certaines dépenses fiscales.
Un effort important doit être consacré à l'innovation, ce qui nécessite de fixer un cadre réglementaire, par exemple pour l'auto-consommation, de clarifier et d'adapter certaines procédures. S'agissant de l'éolien, le secrétaire d'État Sébastien Lecornu a présidé un important travail, qui a abouti à un projet de loi en cours d'examen par le Conseil d'État, proposant de supprimer un niveau de juridiction en cas de recours sur les permis éoliens terrestres et contenant diverses mesures relatives à la méthanisation.
L'investissement reste nécessaire dans certaines filières. En matière d'innovation, un milliard d'euros est consacré aux EnR dans le PIA 3, pour de nombreux projets qui devraient nous permettre, y compris sur le photovoltaïque, de reconquérir des parts de marché. Un plan de formation et d'accompagnement sera mis en place sur la méthanisation et le ministre de la transition écologique et solidaire devrait prochainement rendre public un rapport sur le développement d'une filière d'énergie à base d'hydrogène décarboné, pour les utilisations stationnaires et les transports.
Concernant l'efficience des soutiens, nous partageons totalement ce qui a été dit par la présidente Catherine de Kersauson et le rapporteur spécial Jean-François Husson, même si beaucoup a été fait pour maîtriser structurellement et conjoncturellement les soutiens publics aux énergies renouvelables.
Les appels d'offres pour les projets de moyenne importance concernant les énergies, en particulier électriques, ont été généralisés, avec des prix plafond et des prix plancher. Ceux-ci sont régulièrement contrôlés par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), qui mène des analyses approfondies sur les coûts des projets et leur rentabilité. Le prix moyen pour les appels d'offres photovoltaïques au sol est de 55 euros du mégawattheure. Pour le dernier appel d'offres « installations sur bâtiment » qui sera rendu public prochainement, le prix moyen s'établit à 75 euros le mégawattheure, pour des durées de soutien de 15 à 20 ans. S'agissant de l'éolien, le prix moyen pour le dernier appel d'offres s'établit à 64 euros le mégawattheure. Pour l'éolien en mer, les appels d'offres ont été refondus : nous visons un prix plancher de 60 euros par mégawattheure.
Concernant la chaleur renouvelable, la hausse de la « contribution climat énergie » permet de diminuer les prix pour certains projets.
Le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) sera à nouveau refondu en 2019, mais la chaleur renouvelable y gardera une place extrêmement importante pour les particuliers. Le Gouvernement étudie les moyens d'augmenter le fonds chaleur de l'ADEME en 2019, par les marges dégagées sur d'autres soutiens qui se révèlent plus efficients.
Par ailleurs, avec la refonte du mécanisme de permis d'émission négociables (ETS - Emission Trading Scheme) au niveau européen, on constate une légère hausse du prix de l'électricité. Nous allons renégocier les appels d'offres relatifs aux projets de parcs éoliens en mer pour capitaliser sur les progrès faits depuis leur lancement. Nous travaillons actuellement au remplacement des installations des parcs éoliens terrestres par des installations plus puissantes (repowering). Il sera intéressant de faciliter les procédures administratives car ces machines sont déjà insérées dans leur environnement.
La budgétisation des crédits de soutien aux EnR dans le compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » et l'inscription en loi de programmation des finances publiques des budgets nécessaires pour les énergies renouvelables permettent de piloter à la fois les trajectoires d'évolution du mix énergétique et des dépenses publiques. Ces sujets font l'objet d'échanges interministériels. Nous envisageons un mécanisme qui permettrait de présenter, dans le budget voté chaque année, non seulement les crédits nécessaires pour les engagements de l'année à venir, mais aussi une trajectoire pluriannuelle.
Comme l'a écrit le Premier ministre en réponse à la Cour des comptes, la création d'un comité d'orientation et de prospective est envisagée.
Concernant enfin les moyens de la DGEC, il n'appartient pas à un directeur d'administration centrale de critiquer les moyens dont il dispose. Nous nous efforçons de ne pas travailler seuls et de nous appuyer sur l'ADEME qui nous éclaire sur l'évolution des technologies, grâce au travail qu'elle réalise avec les filières. Au niveau interministériel, l'ADEME est l'opérateur compétent en matière d'EnR s'agissant du PIA3. Un comité interministériel, que je préside, associe les ministères de la recherche, de l'économie et le commissariat général au développement durable de notre ministère, afin d'étudier l'impact de la politique de l'énergie. Nous avons enfin des échanges avec la CRE dont les travaux prospectifs sont toujours enrichissants. Les énergies renouvelables sont un des secteurs vers lequel je redéploie, lorsque cela est possible, les moyens de la direction générale.
Nous assistons à une électrification de notre vie sociale, à laquelle nous devons répondre en consommant moins d'énergie et en réduisant notre empreinte écologique.
Nous avons la chance de vivre dans un pays dans lequel le mal absolu est d'avoir trois heures de coupure d'électricité par an pour un usager, alors les usagers d'autres pays sont satisfaits quand il y a trois heures d'électricité par jour.
Le prix de l'électricité domestique en France est deux fois moins cher qu'en Allemagne, pour une électricité six fois moins carbonée.
L'Europe de l'énergie, dont nous n'avons pas parlé, est un sujet important. Nous ne sommes pas indépendants énergétiquement. Nous n'avons pas non plus parlé de péréquation, sujet majeur, tant pour le prix du réseau que pour la vie du citoyen, ni des incertitudes quant à notre avenir énergétique, ni encore de l'outre-mer et des zones non interconnectées.
La vitesse d'évolution des technologies est impensable et nous peinons à l'appréhender.
Nos principaux objectifs sont d'oeuvrer à la décarbonation, de diminuer l'empreinte écologique et de construire l'Europe de l'énergie. La CRE consacre ainsi 20 ETP aux affaires européennes.
Nous devons également accompagner l'innovation en matière industrielle. Photowatt, par exemple, est le seul fournisseur de Wafer en Europe et en France : il s'agit d'accompagner ces entreprises. En matière d'éolien, je salue l'arrivée du groupe Poma sur le marché, qui fabrique également des turbines. Pour le développement des technologies d'avenir, nous ne devons pas manquer ce qui relève du réseau intelligent ou « smart grid » ainsi que les véhicules électriques.
Par ailleurs, il est toujours délicat de dire à une assemblée démocratique qu'elle ne devrait pas contrôler outre-mesure l'utilisation d'une dépense estimée à près de 168 milliards d'euros, ce qui représente l'ensemble des charges engagées ou en cours d'engagement sur la période 2018-2022. Il est également compliqué de priver le Parlement d'un droit de regard sur la déclinaison par filière des objectifs, réalisée dans la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Pour autant, je crois qu'établir ces dispositions par voie législative donnerait lieu à un nombre démesuré de contentieux, alors que la CRE est déjà saisie de plus de 60 000 recours. Dans un environnement judiciarisé à l'extrême, il ne me paraît pas opportun de fixer les objectifs par filière par voie législative. La situation doit pouvoir rester évolutive et ouverte à l'appréciation.
S'agissant du coût des EnR, les montants sont considérables, je l'ai rappelé au ministre en charge du budget, Gérald Darmanin. Même si la maîtrise de la dépense publique ne s'est pas encore traduite par une réduction des moyens, il me semble que, bientôt, ce sera le cas. Ne serait-il pas mieux d'y consacrer une enveloppe, fixée par le Parlement ? Elle déterminerait tous les 5 ans ce que l'on souhaite dépenser en matière d'énergies renouvelables pour les 20 prochaines années. Cette enveloppe pourrait ne pas être intégrée au budget de l'État afin de ne pas être comptabilisée dans les objectifs de maîtrise de la dépense publique. Nous sommes en retard sur nos objectifs, je vous invite ainsi à réfléchir sur la provenance de ces ressources : faut-il continuer de les prendre en charge sur le budget de l'État, au risque de brider le développement de ces énergies, au titre de règles comptables et budgétaires ?
Enfin, je partage le constat selon lequel la CRE n'est pas assez sollicitée. La CRE est une autorité indépendante, au service du Parlement, qui travaille en étroite collaboration avec la Cour des comptes, mais qui reste une autorité indépendante, à la disposition de l'ensemble des acteurs de la nation en matière de politique énergétique. Nous pouvons aller plus loin : par exemple, certains avis de la CRE constituent des avis simples, alors qu'ils pourraient devenir des avis conformes.
Je passe maintenant la parole à Fabrice Boissier, directeur général délégué de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME).
Je salue l'approche de la politique énergétique retenue dans le rapport de la Cour des comptes. Cela permet d'avoir une vision globale du secteur, en évitant de se concentrer uniquement sur l'électricité ou la chaleur.
Premièrement, nous assistons à une révolution du système énergétique et il est important d'imaginer les évolutions possibles du secteur à long-terme. Laurent Michel a évoqué l'horizon de 2050, et il me semble que c'est effectivement l'échéance à retenir dans l'élaboration des politiques publiques, pour aboutir à un système énergétique qui soit soutenable et efficace. Le premier élément de ce système énergétique à venir est la maîtrise de la demande d'énergie. Nous allons avoir une énergie plus chère que par le passé, et d'autant plus qu'on en consommera : les énergies fossiles, contrairement aux énergies renouvelables, deviennent plus chères à mesure que leur consommation augmente car il faut aller chercher de nouveaux gisements, l'offre se raréfie. Il existe donc un double dividende à la maîtrise de la demande d'énergie : on baisse la facture énergétique ainsi que le coût unitaire du kW/h. Par conséquent, je crois qu'on ne peut pas regarder la politique de soutien aux énergies renouvelables sans la mettre en perspective de la politique du soutien à la maîtrise de la demande énergétique.
Deuxièmement, l'incertitude constitue l'autre paramètre de cette révolution énergétique, comme l'a souligné Jean-François Carenco. Dans un contexte incertain, il me semble important de se projeter vers l'avenir en anticipant les coûts, de manière prudente. Il est nécessaire de prendre en compte plusieurs scénarios. Les stratégies déployées par nos voisins européens d'ici quelques années auront un effet déterminant sur notre système énergétique. Le coût de la politique de soutien aux EnR pour la puissance publique ne peut être le seul déterminant à long-terme : les bénéfices socio-économiques et environnementaux des énergies renouvelables doivent être objectivés par des indicateurs, afin de guider la prise de décision.
Deux exemples l'illustrent : en termes de bénéfices socio-économiques, le rapport de la Cour des comptes souligne que le développement des énergies renouvelables est créateur d'emplois et favorable à l'équilibre de la balance commerciale. Il apparaît essentiel que, dans les décisions de politique publique, l'impact positif de ce développement soit pris en compte. En matière d'externalités environnementales, l'ADEME a procédé à une évaluation de la filière éolienne au regard du soutien public qui lui a été accordé sur une période allant de 2002 à 2013. Nous avons constaté que les coûts du soutien apporté s'élèvent à 3 milliards d'euros sur cette période. Toutefois, les bénéfices environnementaux, en termes d'émissions de CO2 évitées et de qualité de l'air, s'élèvent à plus de 5 milliards d'euros, même s'il existe une incertitude sur cette évaluation. Par conséquent, il est nécessaire d'objectiver les bénéfices sociaux-environnementaux.
Troisièmement, il faut souligner que le développement de nouvelles énergies renouvelables nous amène à changer notre vision du système énergétique. Nous ne nous sommes plus dans un système énergétique centralisé, mais décentralisé, caractérisé par des enjeux territoriaux forts. C'est pourquoi les politiques menées par les collectivités territoriales doivent s'articuler avec la politique nationale. L'ADEME s'attache à mener ses actions dans le cadre de partenariats avec les collectivités territoriales.
Nous aurons également besoin d'une mixité de technologies car une seule technologie ne peut pas répondre à l'ensemble des composantes de la demande. Ainsi, il ne faut pas s'attacher uniquement à investir dans la technologie la moins chère, mais il faut plutôt se tourner vers les technologies qui garantiront la sécurité de l'approvisionnement, la compétitivité pour nos entreprises, et qui permettront aussi de répondre aux besoins en carburant.
S'agissant du fonds chaleur, l'ADEME est très favorable à la conclusion du rapport de la Cour des comptes qui préconise d'augmenter le soutien apporté au fonds. Nous constatons également que le soutien alloué actuellement au fonds chaleur ne permet pas d'atteindre les objectifs de la PPE. La trajectoire de la taxe carbone est un paramètre essentiel et positif pour déterminer les projets d'investissement en matière d'énergies renouvelables. Toutefois, la trajectoire prévue sur le quinquennat permet uniquement de compenser la baisse du prix du gaz observée entre 2012 et 2016. Ainsi, en 2022 nous allons retrouver un niveau de compétitivité qui est celui de 2012, alors que la chaleur n'était pas encore compétitive. En revanche, nous avons estimé qu'à l'horizon 2020, une augmentation de la trajectoire carbone, dans un ordre de grandeur qui se situe entre 300 et 350 millions d'euros, pourrait sans doute nous approcher des objectifs de la PPE. Je voudrais souligner aussi que la taxe carbone ne couvre pas l'ensemble des émissions de CO2 en France car une partie de ces émissions est soumise au système ETS européen qui est défaillant. Souvent, la production de chaleur se retrouve en concurrence avec des installations soumises au système ETS. Dans ces situations, l'évolution de la taxe carbone ne permet pas de compenser ce déficit de compétitivité, ce qui invite à faire évoluer le système ETS.
Enfin, je voudrais souligner l'importance de l'innovation pour soutenir les filières industrielles françaises. Les programmes d'investissement d'avenir (PIA), dont l'ADEME est opérateur pour un certain nombre d'actions, apportent des solutions, mais pas suffisamment. Il me paraît important d'accompagner le déploiement de technologies, par le biais des démonstrateurs, que l'ADEME soutient par le PIA. Malgré tout, il reste à trouver des soutiens pour pénétrer le marché sur lequel les acheteurs préfèrent investir dans des technologies déjà éprouvées. Un des outils du PIA que nous allons mettre en oeuvre consiste à intervenir au capital d'entreprises développant des technologies innovantes et bientôt commercialisées. Un travail collectif sur ce point doit toutefois être engagé.
Outre les enjeux liés à la chaleur et à l'électricité, il ne faut pas non plus oublier le gaz renouvelable. En effet, le gaz est une composante forte du mix énergétique et peut constituer une solution d'avenir, notamment en termes de mobilité. Le développement de la méthanisation vise à décarboner le gaz. Ce procédé engendre des bénéfices sociaux-économiques, notamment pour les exploitants agricoles.
Je passe maintenant la parole à Jean-Louis Bal, qui va nous donner le point de vue du secteur industriel.
Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). - Le rapport de la Cour des comptes est d'une très grande qualité, même si nous avons quelques réserves sur certains points.
Je partage ce qui a été dit par les orateurs précédents : il faut se projeter dans le futur et le faire avec prudence. Le développement des énergies renouvelables - et non celui du gaz de schiste ! - constitue une véritable révolution au niveau mondial, qui progresse à une vitesse que nous mesurons mal en France. Les progrès ne portent pas seulement sur les technologies de production, mais aussi sur la digitalisation des réseaux et le stockage de l'énergie.
Le premier constat des magistrats porte sur la place de la chaleur renouvelable. Nous estimons, depuis plusieurs années, que la chaleur renouvelable joue un rôle essentiel dans la transition énergétique. Nous nous réjouissons évidemment d'être rejoints par la Cour des comptes sur ce point. La chaleur renouvelable produit à peu près 20 % de nos besoins en matière de chaleur. Au sein de ces 20 %, la géothermie et la biomasse sont prépondérantes. La part de la chaleur renouvelable dans le total de la production de chaleur est appelée à augmenter encore davantage le verdissement des réseaux de chaleur, qui découle de grandes installations de biomasse ainsi que d'un recours accru à la géothermie et à la valorisation énergétique des déchets.
Par conséquence, nous soutenons fortement la recommandation de la Cour d'accroître les moyens du fonds chaleur. Il ne s'agit pas seulement de renforcer les moyens financiers du fonds, mais aussi ses moyens humains.
Nous remercions la Cour pour son effort de pédagogie sur la composante carbone des taxes énergétiques. Le syndicat soutient cette taxe carbone. Nous avons beaucoup apprécié - je ne partage pas tout à fait, à cet égard, la position du sénateur Jean-François Husson - l'accélération, dans la loi de finances, de la trajectoire de cette composante carbone. Je rappelle aussi, comme l'a fait Fabrice Boissier, que toutes les émissions de carbone ne sont pas couvertes aujourd'hui par cette contribution climat énergie. Il faut réfléchir à un prix plancher du carbone.
Concernant l'électricité renouvelable, je voudrais rappeler que, malheureusement, 94 % des charges prévisionnelles en matière d'énergies renouvelables électriques sont déjà engagées, principalement en raison des dépenses liées au soutien à l'électricité photovoltaïque. Il convient néanmoins de noter que le pic des dépenses apparaîtra en 2025, date à partir de laquelle le poids des engagements pris dans le passé commencera à diminuer.
Aujourd'hui, comme cela a été souligné par plusieurs orateurs, des progrès très importants sont réalisés sur les principales technologies de production d'électricité renouvelable, tant pour l'éolien terrestre, avec un coût de 65 euros par mégawattheure que pour le solaire au sol, avec un coût de 55 euros par mégawattheure. La mise en oeuvre de de mécanismes compétitifs d'appels d'offres paraît donc porter ses fruits.
Nous continuons de travailler activement avec les services de l'État afin de réduire les coûts non technologiques. Il s'agit notamment de la question des appels d'offres en matière d'éolien en mer, du partage des risques optimisé entre le privé et le public sur la nouvelle procédure de dialogue. Nous participerons cet après-midi au groupe de travail de Sébastien Lecornu sur le solaire afin de simplifier encore les procédures et de faciliter l'accès au foncier.
Concernant l'évolution des mécanismes de soutien, il y a un point de l'analyse de la Cour que nous ne partageons pas : nous pensons, comme Laurent Michel, qu'il est important de maintenir des appels d'offres avec une approche spécifique par technologie, ne serait-ce que pour des questions d'équilibre du système électrique et de répartition géographique. Nous venons d'avoir un bel exemple des effets contre-productifs des appels d'offre globalisés, avec les résultats de l'appel d'offres multi-technologies en Allemagne : les projets retenus relèvent presque tous du photovoltaïque, ce qui implique évidemment une concentration dans une zone géographique bien déterminée.
Concernant l'éolien, nous suggérons, contrairement à ce qui est préconisé par la Cour des comptes, de maintenir la procédure dite de « guichet ouvert », en complément des appels d'offres. Nous pensons en effet que l'arrêté tarifaire de 2017 sur l'éolien terrestre est presque aussi vertueux que les résultats issus des procédures d'appel d'offres, du fait du mécanisme de plafonnement du nombre d'heures pendant lesquelles le mégawattheure éolien est rémunéré à 72 euros.
La Cour considère enfin que les critères qualitatifs dans les appels d'offres ne doivent pas jouer un rôle prépondérant pour le choix des projets. Sur ce point, je partage à 100 % l'avis de Jean-François Carenco : nous devrions au contraire maintenir des critères de performance environnementale dans les appels d'offres photovoltaïques. Ces critères devraient être renforcés et fiabilisés, afin de protéger notre industrie. Notre politique industrielle doit permettre à la France de bénéficier pleinement de la transition énergétique. Je partage aussi l'avis de Fabrice Boissier sur les indicateurs à mettre en place : les questions de l'efficacité énergétique ou du bilan carbone ne sont pas les seules qui méritent d'être posées. Les indicateurs socio-économiques doivent absolument être pris en compte : notre bilan en la matière peut sembler relativement faible aujourd'hui en raison principalement du caractère inconstant des politiques de soutien aux énergies renouvelables, qui n'incite pas les industriels à investir sur le long terme.
L'exemple de l'éolien en mer est tout à fait parlant. Dans le cadre des deux appels d'offres de 2011 et 2013, les propositions des candidats ont été notées suivant notamment le critère de qualité du projet industriel et social. Nous souhaitons aujourd'hui que ces plans industriels puissent aller à leur terme afin qu'une véritable filière de l'éolien en mer puisse se structurer sur le territoire français. Même quand les actionnaires de l'entreprise ne sont pas français, les salariés le sont ! Nous partageons donc évidemment l'objectif d'attirer un turbinier étranger sur le sol français. Nous avons toujours considéré qu'il y avait une carte à jouer dans le secteur de la sous-traitance des composants. Nous avons d'ailleurs, dans le cadre d'un programme aidé par l'État, qui s'appelait Windustry, accompagné plus de 70 PME pour qu'elles soient en mesure de se positionner sur la chaîne de valeur de l'éolien.
Sur le photovoltaïque, la France dispose aujourd'hui encore de centres de recherche de premier plan au niveau mondial, et de plusieurs entreprises très performantes. Je voudrais saluer la décision récente du groupe EDF de multiplier par 10 les capacités de production de lingots de silicium. Pour ce faire, EDF mobilise sa filiale Photowatt, mais s'associe aussi avec un équipementier chinois et un équipementier local qui est une PME, sur la base d'une technologie soutenue par l'ADEME.
Dans d'autres filières, comme la chaleur domestique et industrielle, ou encore l'hydrolien, on peut compter sur des acteurs français très bien positionnés. Ils ont besoin de visibilité sur le développement futur du marché afin de survivre à la « vallée de la mort », c'est-à-dire de passer de l'innovation au développement industriel. Nous rappelons donc l'importance des politiques d'innovation.
Enfin, le gaz renouvelable est actuellement en fort développement sur le territoire français grâce au développement de la méthanisation. De nouvelles opportunités de structuration d'une filière française, en lien avec la politique agricole, en découlent. La refonte d'un comité stratégique de filière, dans le cadre du Conseil national de l'énergie, pourrait être l'occasion de structurer une réflexion sur ce sujet.
La Cour propose aussi de mieux associer le Parlement à la définition des objectifs de développement des énergies renouvelables et des volumes financiers nécessaires à ce soutien : je voudrais rappeler que, en ce qui concerne la chaleur, les instruments sont d'ores et déjà entièrement à la disposition du Parlement - tant le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), sur lequel nous partageons d'ailleurs entièrement les conclusions de la Cour, qui recommande de recentrer le CITE uniquement sur les énergies renouvelables, que le fonds chaleur, de même que la contribution climat énergie peuvent être contrôlés par le Parlement. Dans le domaine de l'électricité, la question du droit de regard du Parlement se pose. Mais je rappelle que 80 % des futures nouvelles capacités d'énergies renouvelables électriques soutenues dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) le seront au travers de procédures d'appels d'offres, qui garantissent une répartition optimale des fonds publics.
Sur les autres évolutions de gouvernance proposées par la Cour, il nous semble important de souligner que la DGEC est identifiée comme un acteur essentiel de la définition de la politique énergétique. Elle doit voir ses moyens, principalement humains, grandement renforcés tout comme l'ADEME. Or il semble que l'heure soit plutôt à la réduction des emplois...
Enfin, si la création d'un comité, qui se substituerait aux nombreuses structures de gouvernance dans le secteur de l'énergie, était retenue, elle devrait s'inscrire dans un réel exercice de simplification et non se superposer à tous les organismes qui existent déjà. Il faudrait également qu'une telle instance soit ouverte à l'ensemble des parties prenantes à la stratégie énergétique, en particulier le syndicat des énergies renouvelables.
Je me réjouis de cet échange et je partage ce qu'a dit notre collègue Jean-François Husson. Nous parlons de milliards d'euros de soutien public. À ce titre, je ne comprends pas que le Parlement ne fixe pas au moins une enveloppe, puisque la taxe carbone est une imposition de toute nature.
Plusieurs autres sujets mériteraient d'être évoqués : l'interdiction du bitcoin, par exemple, pourrait permettre de substantielles économies d'énergie.
Existe-t-il des analyses précises sur la disponibilité réelle de l'énergie par type d'énergie renouvelable ? Nous disposons d'information sur les puissances installées, mais dans certaines filières, comme la biomasse ou la géothermie, nous ne connaissons pas l'écart entre la puissance installée et la puissance réellement disponible. Se pose alors la question du stockage de ces énergies. Des progrès devraient être faits dans ce domaine.
Je remercie la Cour des comptes pour la qualité de son rapport, qui rappelle la nécessité d'éclairer le Parlement sur ce sujet. La CRE est-elle en mesure à ce jour d'apporter cet éclairage ? La programmation pluriannuelle ne saurait entrer dans le détail ni être susceptible de recours, mais il importe que le Parlement puisse se saisir pleinement de la question de la déclinaison par filière des objectifs de développement des EnR. Il en va de même en matière de fiscalité écologique, principale fiscalité en augmentation ces prochaines années, alors que le Gouvernement communique beaucoup sur la baisse des prélèvements obligatoires.
J'ai été surpris, à la lecture de ce rapport, par le fonctionnement en silo de la DGEC. Il me semble en effet important qu'il puisse y avoir une approche interministérielle de la politique de l'énergie, au regard de l'enjeu que représente le développement d'une filière industrielle.
Avec la délégation sénatoriale aux entreprises, nous avons visité en Saône-et-Loire une entreprise qui fabrique des mats pour les éoliennes, et une usine de fabrication de générateurs à Chambéry. Une attention particulière doit être portée à l'ambition maritime française et notamment à la production d'hydroliennes. Nous avons là aussi un certain nombre d'acteurs ; je ne voudrais pas que nous nous arrêtions à l'échec de DCNS et d'EDF. D'autres acteurs agissent dans ce domaine, je pense à Sabella en Bretagne, et nous devons prendre en compte la dimension énergétique de notre ambition maritime nationale.
Je voudrais remercier la Cour des comptes pour ce travail approfondi. L'énergie revêt une forte dimension européenne. Je rappelle d'ailleurs qu'en matière de négociations climatiques, la compétence a été transférée à l'Union européenne. Ainsi, depuis la COP 21, l'enjeu d'exemplarité pour la France est prégnant puisque nous nous présentons comme pionniers en matière de protection de l'environnement.
Ensuite, je souhaiterais attirer votre attention sur la situation particulière de la géothermie. Le droit minier est applicable en la matière. Contrairement à l'éolien, les règles régissant l'installation des infrastructures dans ce domaine sont peu ouvertes aux populations, qui s'inquiètent de ces projets alors que les procédures habituelles, comme les enquêtes publiques, ne sont pas conduites, ce qui alimente des résistances fortes à cette nouvelle source énergie.
Enfin, je voudrais soutenir l'idée du rapporteur spécial Jean-François Husson ; un projet ou une proposition de loi de programmation peut être amendé. La définition de règles générales et la tenue d'un débat sur ces sujets me semble pertinents. Je voudrais témoigner de l'importance des débats sur l'énergie en Allemagne et en Suisse. C'est moins le cas en France, ce qui est sans doute lié à l'organisation historique de la production, extrêmement centralisée. L'idée d'avoir un temps démocratique fort en la matière me semble particulièrement intéressante.
L'objectif de production d'énergie renouvelable est louable, mais il n'est pas certain qu'il soit atteignable dans les délais. Faut-il, dans ce cas, redéfinir ces objectifs ?
S'agissant de l'acceptation sociétale d'un certain nombre d'énergies renouvelables, notamment de l'éolien terrestre, que je ne remets pas en cause dans son principe, le délai de réalisation d'un parc fixé à 7 ans me paraît excessif. Les réponses doivent être apportées beaucoup plus rapidement.
S'agissant du faible impact sur l'emploi industriel, je constate par exemple que la quasi-totalité des méthaniseurs utilisés par les exploitants agricoles sont allemands. Les industriels allemands proposent, en outre, un meilleur service après-vente. Ces exemples invitent à la réflexion puisque cela devrait représenter 15 000 emplois.
Enfin, s'agissant de la faible coordination ministérielle, j'ai pu faire le même constat en matière d'exportations agroalimentaires, qui concerne cinq ministères, ou s'agissant de la filière forêts-bois, qui en concerne trois. Dans les deux cas, la coordination est insuffisante. Existe-t-il un mal français de ce point de vue ?
Les chiffres relatifs à l'énergie photovoltaïque m'ont surpris, puisqu'ils représentent 0,7 % de la production d'EnR, pour un montant sur 20 ans dépassant les 38 milliards d'euros. Les équipements sont produits en grande partie en Asie et je m'interroge sur l'absence de volonté publique suffisante en la matière.
On constate un nombre élevé d'instances de concertation en matière de politique énergétique. Ne peut-on pas simplifier les choses ?
Les commissions du développement durable de l'Assemblée nationale et du Sénat peuvent aussi jouer aussi un rôle très important.
Enfin, pourquoi y a-t-il autant de recours et qui en sont les auteurs ?
Je partage les préoccupations de notre rapporteur spécial et de notre rapporteur général sur la question du retour sur investissement.
À la page 35 du rapport de la Cour des comptes, il est indiqué que le développement des énergies renouvelables induit des effets positifs sur le solde commercial de la France dans la mesure où il permet de limiter le recours aux importations d'énergie. Toutefois, les effets deviennent négatifs si le développement des capacités de production d'énergies renouvelables nécessite d'importer massivement des équipements produits à l'étranger. Nous sommes plusieurs ici à considérer qu'apporter un soutien public à notre filière industrielle française constitue une véritable priorité, compte tenu de sa vulnérabilité vis-à-vis de ses concurrents étrangers.
Par ailleurs, j'aurais apprécié que la Cour compare, notamment sur le plan des coûts et de la rentabilité, les projets de développement des énergies renouvelables avec ceux qui sont en cours en matière de fusion nucléaire, comme par exemple le projet ITER.
Je voudrais vous remercier d'avoir organisé cette audition, et remercier Catherine de Kersauson pour la qualité du travail qui nous a été présenté et qui a l'immense mérite de présenter un éclairage différent sur ces sujets.
Je voudrais également remercier ceux qui sont venus au nom de l'ADEME ainsi que le président de la CRE et le président du Syndicat des énergies renouvelables. Leur présence aujourd'hui montre que ce débat concerne des professionnels, notamment des hauts fonctionnaires, très compétents et passionnés, une CRE qui s'oriente de plus en plus vers le marché européen et nous, parlementaires, qui avons à rendre compte à nos compatriotes de l'usage des diverses taxes pour lesquelles ils sont sollicités. Je souhaiterais soulever trois questions qui n'ont pas reçu à ce stade de véritable réponse.
En premier lieu, celle des besoins énergétiques futurs : les connaissons-nous vraiment ? Vous avez évoqué l'hydrogène : si son utilisation constitue une solution en termes de transport individuel, sa production tend à accroître la consommation d'énergie électrique. Se pose également la question de l'intelligence artificielle, qui repose sur l'utilisation de centres de gestion et de stockage de données dont la consommation en énergie est importante. Notre rapporteur général nous a d'ailleurs rappelé que la suppression du bitcoin permettrait d'engendrer des gains énergétiques considérables. Nous devons enfin résoudre la question persistante de l'intermittence des énergies renouvelables.
Deuxièmement, la détermination du prix de l'énergie dépend de l'analyse économique. En effet, l'énergie ne se stocke pas et se transporte mal. Ce qui importe c'est le prix payé par le consommateur final, beaucoup plus que le prix en mégawattheure sur le long terme. Par exemple, nous connaissons tous les effets conjoncturels et déstabilisants que peut avoir la production énergétique allemande sur le marché européen. Je regrette que nous manquions aujourd'hui d'informations en matière de prévision des fluctuations du prix de l'énergie, qui nous permettrait pourtant de mieux évaluer l'utilisation des 5 milliards d'euros aujourd'hui consacrés aux énergies renouvelables.
Troisièmement, le choix de limiter à 50 % la part du nucléaire dans le mix énergétique relève d'un pur choix politique, d'un arbitrage entre ceux qui privilégient le nucléaire et les autres. Je souhaiterais que ce choix quasiment philosophique puisse de nouveau faire l'objet d'un débat au Parlement. C'est la raison pour laquelle la détermination du mix énergétique français doit relever de la loi, point sur lequel mon point de vue s'éloigne de celui de Jean-François Carenco. À mon sens, cette question relève davantage de la politique que de la technique.
Je soutiens pleinement la recommandation, formulée par la Cour des comptes, d'accroître les moyens du fonds chaleur. Lorsque j'étais président d'un syndicat d'énergie, nous avions souhaité installer des bornes de rechargement électrique. Il existe plusieurs types de bornes de rechargement - ordinaires dont le chargement est plus long, celles qui permettent un chargement accéléré, ou les très rapides. Or, il s'avère que l'ADEME a préféré privilégier les bornes permettant un rechargement accéléré plutôt que très rapide, ce qui ne me semble pas être l'option la plus pertinente, et j'aimerais en connaître la raison.
Dans le mix électrique français déterminé en 2016, le nucléaire représente 72 % de l'électricité produite, l'hydraulique 12 %, et l'éolien 3,9 %. Ce dernier est en forte croissance et devrait représenter à peu près 5 % du mix énergétique cette année. Concernant les intermittences, elles demeurent mais tendent à être réduites par l'amélioration des technologies. Sur l'éolien, avec les techniques actuelles, une éolienne fonctionne désormais plus longtemps qu'il y a 15 ans car elle capte mieux le vent, peut tourner à des vents plus faibles, etc.
L'Agence internationale de l'énergie (AIE) a publié récemment une étude montrant qu'aux États-Unis, les parcs éoliens fonctionnent en moyenne 40 % du temps contre 20 à 25 % il y a 5 ans. De la même façon, pour l'éolien en mer, de nombreux progrès ont été réalisés : les parcs actuels fonctionnent de 3 500 à 4 500 heures par an, et à Dunkerque, on atteindra de meilleures performances.
Au-delà de l'intermittence de la production, il faut garder en tête qu'une autre intermittence est inévitable : celle de la demande, qui fluctue dans l'année, dans la journée, dans la semaine... Prenons l'exemple du mois de mars : selon qu'il est froid ou chaud, la consommation d'énergie ne sera pas la même.
Nous possédons un réseau très développé : c'est un atout important. Il nous faudra un jour repenser l'alliance entre le réseau de distribution et le réseau de production. Il y a des adaptations à réaliser, avec des sites de production peut-être plus décentralisés, mais la marge de progrès à réseau constant est déjà considérable. On sait que, en mobilisant les outils de pilotage intelligent qui existent déjà, sans besoin massif de capacité de stockage ni d'investissements de grande ampleur, nous pouvons accepter en France 25 à 30 % d'énergies renouvelables dans le mix énergétique. On en est loin aujourd'hui !
Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas se poser la question du stockage - ce qui rejoint la question de Gérard Longuet. Par exemple, l'hydrogène pourrait jouer un rôle de pont entre l'électricité et le gaz, être utilisé dans les transports et les bâtiments. Mais ce sont des possibilités, des projections sur lesquelles il faut se garder de porter dès maintenant des jugements définitifs.
On peut aussi imaginer, par exemple, que la consommation d'électricité pourrait baisser dans les dix ou quinze ans à venir grâce à des économies d'énergie et remonter ensuite, avec une part très importante d'électricité renouvelable dans le mix énergétique.
Ces sujets nécessitent donc à la fois des moyens poussés d'exploration scientifique et technique, une politique résolue de soutien à l'innovation et aussi une certaine souplesse : l'avenir est difficile à anticiper, il ne faut pas fermer certaines options par dogmatisme.
Concernant la question de Fabienne Keller sur la géothermie, effectivement selon le type de technique mise en oeuvre, les phases de permis, puis les phases de travaux ou les procédures ne sont pas tout à fait les mêmes. Des réformes sont en cours, concernant entre autres la géothermie de moyenne importance, avec les mesures prévues dans la loi pour une société de confiance. Je pense qu'il est nécessaire, en la matière, que les porteurs de projet aillent vers les acteurs de terrain, vers les élus, vers les habitants pour expliquer leur démarche et les enjeux qu'elle implique.
Pour finir, je voudrais redire ma conviction que, si nous avons effectivement des filières industrielles à faire monter en puissance, nous devons aussi raisonner de façon plus globale : il n'y a pas que la production d'équipements, mais aussi un travail considérable à mener sur le pilotage de la production.
Par exemple, en France, des start-ups mettent au point des logiciels très astucieux qui pilotent mieux les éoliennes, en les arrêtant uniquement quand les oiseaux arrivent au lieu de les arrêter de façon mécanique, dans la période où ils sont supposés arriver.
Il faut être attentif aux questions d'ingénierie : ce que l'on voit aujourd'hui sur les appels d'offres concernant le solaire innovant, c'est que nous semblons incapables de faire, en France, du solaire flottant mais qu'en revanche des sociétés françaises peuvent vendre ce genre de produits à l'étranger. Tout un tissu économique construit des savoir-faire qui sont parfois peut-être moins visibles mais qui permettent d'aller à l'export - et pas seulement pour de très grandes entreprises comme EDF ou Engie.
Dernier point : sur les bornes électriques, je suis convaincu que la recharge accélérée ou même lente se développant, à proximité des lieux de travail et des logements, le besoin de recharge ultra-rapide ne sera pas si important que l'on a pu le penser par le passé - ce qui est souhaitable, car trop de bornes ultra-rapides pourraient créer des tensions sur le réseau.
N'oublions pas non plus l'augmentation de l'autonomie des batteries, qui est peut-être progressive mais bien réelle et qui devrait aussi permettre d'apaiser les craintes légitimes sur la question de la recharge. A contrario, le véhicule pourrait devenir un lieu de stockage de l'énergie !
Je crois qu'il est important de rappeler que le prix des énergies renouvelables est lié à la composition globale du bouquet énergétique français.
Ce qu'on appelle la conception du marché ou market design demeure pour moi sources d'interrogations. Le fonctionnement des bourses peut être erratique : quand le prix de l'électricité est négatif pendant plusieurs jours, par exemple parce que l'Allemagne produit massivement de l'électricité subventionnée, les choses peuvent être compliquées à gérer. La réflexion sur le market design doit être étroitement liée aux grands choix politiques en matière de mix énergétique. Mais il est vrai qu'il s'agit d'un sujet sur lequel il n'existe pas aujourd'hui de véritable consensus.
S'agissant des recours, la plupart des requérants sont mécontents des décisions de la CRE, parce qu'ils souhaitent payer moins ou gagner plus, ce qui entraine un nombre élevé de recours, devant le juge judiciaire ou administratif.
Au final, l'ensemble des dossiers aboutit devant les juridictions européennes ou le Conseil constitutionnel. Sur un dossier comme celui du commissionnement, toutes les juridictions, françaises et européennes, sont saisies, à un stade ou un autre. Je pense, en réalité, que le domaine de l'énergie est l'un des plus rentables pour les avocats français.
Le deuxième type de recours est celui des contentieux de masse. Nous avons un recours relatif à l'analyse que nous faisons des certificats d'origine verte et le contentieux relatif à la contribution au service public de l'électricité dit « CSPE », qui a entrainé plus de 50 000 recours, au motif que cette contribution serait contraire à la Constitution et constituerait une aide d'État incompatible avec la directive européenne relative aux droits d'accises.
Si nous perdions dans ce litige, cela entrainerait un surcoût de 30 milliards d'euros pour notre pays. Ces recours sont introduits de manière groupée par les grandes surfaces.
La décision de la Cour justice de l'Union européenne est attendue avant la fin de l'année, puis le Conseil d'État se prononcera. Je prends l'engagement devant vous que la CRE utilisera tous les recours à sa disposition pour défendre la France dans ce dossier.
Sur l'hydrogène, l'Allemagne avait développé des petits modules de production mais ils n'ont pas trouvé leur modèle économique. La France développe à Fos-Cavaou des prototypes de production d'hydrogène dits Jupiter, que la CRE a accepté de payer sur les réseaux. Ce projet semble relativement porteur et nous allons étudier son évolution.
Sur les bornes électriques, nous plaidons pour que toutes les bornes de recharge soient intelligentes. C'est simple à faire et nous allons essayer de l'imposer outre-mer. Il faut parfois convaincre les élus locaux, mais je pense qu'il y a des initiatives à prendre.
Concernant le stockage du gaz, nous avons dépassé le filet de sécurité. La réforme a donc fonctionné. Nous avons démontré, relativement rapidement, que nous savions fournir une réponse à des problèmes de sécurité d'approvisionnement sans mécontenter les producteurs ou les fournisseurs, puisque nous n'avons pas reçus de recours sur cette question.
Je renvoie à une étude faite par l'ADEME sur les énergies renouvelables électriques et la chaleur. Une chaudière biomasse fonctionne environ 3 000 heures par an, à peu près autant d'heures qu'une éolienne.
Pour compléter sur les infrastructures de recharge pour véhicules électriques (IRVE), nos appels à projets comportaient une part possible de recharge rapide, inférieure à 10 %.
Les énergies intermittentes représentent actuellement 6 % du mix énergétique. À ce niveau de pénétration, il n'y a pas de réel problème de livraison. En revanche, et le rapport le souligne, l'intégration d'une part plus importante d'énergies renouvelables va entraîner des coûts supplémentaires pour la gestion du réseau et cet impact devra faire l'objet d'un chiffrage.
Concernant les filières industrielles, on peut mentionner la méthanisation qui, sans constituer encore une filière industrielle à proprement parler, représente un marché en cours de structuration.
De la même façon, pour le photovoltaïque, nous avons désormais une bonne visibilité grâce à la programmation des appels d'offres, et le critère environnemental peut permettre le développement de filières françaises.
Laurent Michel a rappelé que nos entreprises sont également exportatrices, davantage en matière d'ingénierie que d'équipements. Nous avons mis au point avec l'ADEME un site internet qui répertorie les entreprises et projets français qui s'exportent : aujourd'hui nous avons listé une centaine d'installations qui sont en fonctionnement et qui ont généré près de 3 000 emplois, répartis dans le monde entier.
En ce qui concerne le chiffre de 38 milliards d'euros pour le soutien au photovoltaïque, je souhaiterais souligner qu'il s'agit d'un montant associé à des technologies du passé. À l'avenir, les nouvelles technologies soutenues seront moins coûteuses.
Catherine de Kersauson, présidente de la deuxième chambre de la Cour des comptes. - Je voudrais d'abord vous remercier pour l'accueil que votre commission a réservé à notre rapport et me réjouir que ces constats, ces orientations et recommandations suscitent, dans leur ensemble, l'adhésion des acteurs. Je pense que cela résulte notamment de la procédure contradictoire que nous avons menée avec chacun d'entre eux et qui nous a permis de prendre en compte leur point de vue.
De notre point de vue, l'actualisation prochaine de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) doit être l'outil privilégié de mise en oeuvre de certaines des recommandations de la Cour. Il faut définir, à l'occasion de sa révision de 2018, une stratégie énergétique cohérente entre les objectifs de production d'énergie renouvelables électriques et l'objectif de réduction de la part de l'énergie nucléaire dans le mix énergétique français. C'est une préoccupation que plusieurs d'entre vous ont exprimée et c'est la première de nos orientations.
Il convient de clarifier les objectifs industriels français associés au développement futur des ENR : j'ai cru comprendre que c'était, là aussi, une préoccupation de nombre d'entre vous.
Comme je l'ai déjà dit, le Premier ministre a répondu favorablement à notre proposition de créer une instance de pilotage de la politique énergétique, dans la mesure où il s'agirait d'un comité qui viendrait en remplacement d'instances existantes. Il serait chargé d'éclairer les choix gouvernementaux relatifs à l'avenir de la politique de l'énergie. Placé auprès du Premier ministre, il pourrait rassembler les agences publiques comme les instances privées, les industriels mais aussi les collectivités territoriales qui, comme vous l'avez indiqué, sont parties prenantes dans le développement des énergies renouvelables.
Une des questions posées était celle du prix de l'électricité : il s'agit en effet, pour l'heure, d'une grande inconnue. Le sujet implique, pour être traité, une expertise partagée et il pourrait être abordé dans le cadre de cette instance de concertation dont nous appelons de nos voeux la création.
Je terminerai sur la deuxième orientation qui a beaucoup intéressé, ainsi que je l'ai constaté, votre commission des finances : il faut mieux associer le Parlement à la définition des objectifs de développement des ENR et des volumes financiers de soutien à ces énergies.
Nous avons bien noté la proposition qui a été présentée par le directeur général de l'énergie et du climat. Elle va dans le bon sens.
Sur ce point, notre vision des choses devrait être précisée dans le cadre de la note d'exécution budgétaire 2017 relative au compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » : nous définirons les modalités de mise en oeuvre d'un mécanisme d'autorisation d'engagement adapté au soutien aux énergies électriques afin que le Parlement puisse approuver tous les ans le volume d'engagement de soutien aux nouvelles installations de production d'électricité renouvelable.
La mise en oeuvre de cette recommandation nécessitera un travail d'instruction préalable, mais la Cour considère que le mécanisme des autorisations d'engagement affectées non engagées pourrait être une réponse à cette problématique.
La commission autorise la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte rendu de la présente réunion en annexe à un rapport d'information de M. Jean-François Husson.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 12 h 55.