Intervention de Jean-François Husson

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 18 avril 2018 à 10h35
Soutien aux énergies renouvelables — Audition pour suite à donner à l'enquête de la cour des comptes

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson, rapporteur spécial :

Je veux commencer par remercier la Cour des comptes pour sa présentation et, plus généralement, pour son enquête qui apporte un éclairage intéressant et des analyses précises sur le soutien public aux énergies renouvelables.

Le développement des énergies renouvelables constitue un enjeu environnemental, industriel et, de plus en plus, budgétaire, de première importance pour notre pays, avec un soutien public de 5,3 milliards d'euros en 2016.

Pourtant, sur ce sujet, le Parlement n'a jusqu'ici pratiquement pas eu voix au chapitre. Jusqu'à très récemment, les charges du service public de l'énergie, qui financent les dispositifs de soutien aux énergies renouvelables, relevaient d'une contribution au service public de l'énergie (CSPE) extrabudgétaire qui ne faisait l'objet d'aucun vote.

Depuis deux ans, nous pouvons enfin nous prononcer sur ces charges. Pour autant, le problème reste presque entier car le Parlement demeure exclu des grands choix qui engagent les finances du pays en matière de soutien aux énergies renouvelables : nous ne sommes toujours pas associés à la définition des objectifs de développement des énergies renouvelables qui sont décidés dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).

Compte tenu des montants financiers en jeu, je considère qu'il s'agit d'une véritable anomalie démocratique. Si la Cour des comptes partage ce constat, il faut désormais que le Gouvernement prenne pleinement conscience de cet enjeu et cesse de faire de ce domaine stratégique une prérogative exclusive de l'exécutif.

J'en viens à présent à une série de remarques et de questions que m'inspire ce rapport.

La Cour des comptes a tout d'abord examiné les résultats atteints en matière de développement des énergies renouvelables par rapport aux objectifs initialement fixés. Je rappelle que notre pays vise un objectif de 23 % d'énergies renouvelables dans la consommation finale d'énergie en 2020 et 32 % en 2030. Or, nous sommes aujourd'hui loin du compte, et les objectifs pour 2020 seront très difficiles à atteindre en l'absence de mesures supplémentaires, puisque nous en sommes à 16 % en 2016.

Si nous voulons vraiment accroître la place des énergies renouvelables dans notre mix énergétique, il nous faudra dans un premier temps revoir en profondeur nos procédures de recours contre un certain nombre d'installations victimes d'une opposition systématique. Je songe ici tout particulièrement à la filière éolienne, qu'elle soit terrestre ou en mer.

Il n'est pas normal qu'il faille plus de sept ans entre la conception d'un projet et sa mise en service en France, là où il en faut à peine trois en Allemagne ou aux Pays-Bas ! Cette situation dégrade notre attractivité et nous conduit à soutenir financièrement des technologies obsolètes, puisque dépassées lorsqu'elles sont enfin autorisées à produire de l'énergie. Les premières solutions qui ont émergées des groupes de travail animées par le secrétaire d'État Sébastien Lecornu sur ce point me paraissent aller dans le bon sens.

La deuxième raison qui explique le trop lent déploiement des énergies renouvelables dans le mix français tient au manque de réalisme de la précédente programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). La France s'est en effet fixé des objectifs plus ambitieux que ceux imposés par l'Union européenne, alors même que les sources d'énergies non carbonées occupent une place relativement importante dans son mix énergétique.

J'espère que la programmation pluriannuelle de l'énergie qui est actuellement en cours d'élaboration précisera de façon très claire comment le Gouvernement entend permettre à la France d'accélérer la montée en puissance des énergies renouvelables tout en réduisant la part du nucléaire dans la production d'électricité à 50 %. Si le ministre de la transition écologique et solidaire a officiellement renoncé à l'automne dernier à la date de 2025 sur ce point, sa stratégie dans ce domaine se fait toujours attendre.

S'agissant de la politique menée en matière de soutien industriel, je partage le constat selon lequel le bilan industriel du secteur des énergies renouvelables demeure insuffisant à ce stade, compte tenu de la difficulté des entreprises françaises à fournir des matériels et équipements aux filières de production des énergies renouvelables. Ce sont quatre grands groupes étrangers qui fournissent aujourd'hui 80 % des turbines installées en France tandis que le marché mondial des modules photovoltaïques est détenu à 90 % par des industriels asiatiques.

Il est donc essentiel, tant qu'il en est encore temps, de soutenir nos industriels qui parviennent à se développer dans les énergies renouvelables et de les aider à se positionner sur des technologies innovantes, comme les technologies de stockage ou les réseaux intelligents.

En ce qui concerne le coût des mesures de soutien aux énergies renouvelables, j'estime moi aussi qu'il faut davantage soutenir les énergies renouvelables thermiques : je préconise depuis plusieurs années de doubler le fonds chaleur de l'ADEME.

Je suis en revanche, contrairement à la Cour des comptes, beaucoup plus réservé sur la trajectoire de la composante carbone des taxes énergétiques qui a été adoptée dans le cadre de la loi de finances pour 2018. Bien que passionnante, la table-ronde que nous avons organisée sur ce sujet la semaine dernière ne m'a pas fait changer d'avis.

Je suis surtout très réservé sur la méthode qu'a utilisée le Gouvernement : une accélération brutale sur cinq ans qui est malheureusement passée pratiquement inaperçue et n'a fait l'objet d'aucune concertation préalable.

En outre, je n'ai pas l'impression que l'objectif soit vraiment d'accélérer la transition énergétique : je crois plutôt que le Gouvernement perçoit la composante carbone comme un impôt de rendement destiné à maximiser ses recettes.

Enfin, les contreparties censées accompagner la montée en puissance de cette fiscalité environnementale se font toujours attendre...

À ce sujet, l'ADEME peut-elle nous présenter ses estimations de l'impact de la révision à la hausse de la trajectoire carbone sur la compétitivité des projets de chaleur renouvelable, à court et à moyen termes ?

La Cour note à juste titre que les mécanismes de soutien aux énergies renouvelables tels que les obligations d'achat ou les compléments de rémunération engagent nos finances publiques pour de longues périodes, pouvant aller jusqu'à 20 ans. C'est ce qui explique que 84 % du montant des charges du service public de l'énergie qui seront financées par le budget de l'État en 2023 correspondront à des dépenses engagées avant 2017 !

Il est donc capital que nous disposions d'outils extrêmement précis pour mesurer l'impact financier de long terme de ces mécanismes de soutien grâce à une meilleure connaissance des coûts de production et des prix des différentes filières, dans une démarche prospective. La Commission de régulation de l'énergie est-t-elle d'ores-et-déjà en mesure d'effectuer ce travail ?

Enfin, ainsi que je l'ai rappelé en préambule, je souscris à 100 % à la proposition de la Cour des comptes de mieux associer le Parlement à la définition des objectifs de développement des énergies renouvelables et des volumes financiers de soutien aux énergies renouvelables.

J'irais même plus loin. À mon sens, la programmation pluriannuelle de l'énergie devrait faire l'objet d'une loi de programmation, qui lui confèrerait une autorité bien plus grande que celle d'un simple décret, et, surtout, permettrait une validation démocratique de la stratégie énergétique de notre pays.

Je suis un peu plus réservé sur les deux propositions de la Cour des comptes concernant la gouvernance de la politique énergétique car j'ai le sentiment qu'elles reviendraient à créer de nouvelles instances de pilotage alors qu'il serait suffisant, selon moi, de renforcer celles qui existent déjà.

J'aurais deux questions sur ce point précis. La DGEC s'estime-t-elle dotée de moyens suffisants pour assurer quasiment à elle seule la mise en oeuvre de la politique de soutien aux énergies renouvelables ? La Commission de régulation de l'énergie (CRE) considère-t-elle que le Gouvernement utilise suffisamment son expertise en matière d'énergies ?

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