Je passe maintenant la parole à Jean-Louis Bal, qui va nous donner le point de vue du secteur industriel.
Jean-Louis Bal, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). - Le rapport de la Cour des comptes est d'une très grande qualité, même si nous avons quelques réserves sur certains points.
Je partage ce qui a été dit par les orateurs précédents : il faut se projeter dans le futur et le faire avec prudence. Le développement des énergies renouvelables - et non celui du gaz de schiste ! - constitue une véritable révolution au niveau mondial, qui progresse à une vitesse que nous mesurons mal en France. Les progrès ne portent pas seulement sur les technologies de production, mais aussi sur la digitalisation des réseaux et le stockage de l'énergie.
Le premier constat des magistrats porte sur la place de la chaleur renouvelable. Nous estimons, depuis plusieurs années, que la chaleur renouvelable joue un rôle essentiel dans la transition énergétique. Nous nous réjouissons évidemment d'être rejoints par la Cour des comptes sur ce point. La chaleur renouvelable produit à peu près 20 % de nos besoins en matière de chaleur. Au sein de ces 20 %, la géothermie et la biomasse sont prépondérantes. La part de la chaleur renouvelable dans le total de la production de chaleur est appelée à augmenter encore davantage le verdissement des réseaux de chaleur, qui découle de grandes installations de biomasse ainsi que d'un recours accru à la géothermie et à la valorisation énergétique des déchets.
Par conséquence, nous soutenons fortement la recommandation de la Cour d'accroître les moyens du fonds chaleur. Il ne s'agit pas seulement de renforcer les moyens financiers du fonds, mais aussi ses moyens humains.
Nous remercions la Cour pour son effort de pédagogie sur la composante carbone des taxes énergétiques. Le syndicat soutient cette taxe carbone. Nous avons beaucoup apprécié - je ne partage pas tout à fait, à cet égard, la position du sénateur Jean-François Husson - l'accélération, dans la loi de finances, de la trajectoire de cette composante carbone. Je rappelle aussi, comme l'a fait Fabrice Boissier, que toutes les émissions de carbone ne sont pas couvertes aujourd'hui par cette contribution climat énergie. Il faut réfléchir à un prix plancher du carbone.
Concernant l'électricité renouvelable, je voudrais rappeler que, malheureusement, 94 % des charges prévisionnelles en matière d'énergies renouvelables électriques sont déjà engagées, principalement en raison des dépenses liées au soutien à l'électricité photovoltaïque. Il convient néanmoins de noter que le pic des dépenses apparaîtra en 2025, date à partir de laquelle le poids des engagements pris dans le passé commencera à diminuer.
Aujourd'hui, comme cela a été souligné par plusieurs orateurs, des progrès très importants sont réalisés sur les principales technologies de production d'électricité renouvelable, tant pour l'éolien terrestre, avec un coût de 65 euros par mégawattheure que pour le solaire au sol, avec un coût de 55 euros par mégawattheure. La mise en oeuvre de de mécanismes compétitifs d'appels d'offres paraît donc porter ses fruits.
Nous continuons de travailler activement avec les services de l'État afin de réduire les coûts non technologiques. Il s'agit notamment de la question des appels d'offres en matière d'éolien en mer, du partage des risques optimisé entre le privé et le public sur la nouvelle procédure de dialogue. Nous participerons cet après-midi au groupe de travail de Sébastien Lecornu sur le solaire afin de simplifier encore les procédures et de faciliter l'accès au foncier.
Concernant l'évolution des mécanismes de soutien, il y a un point de l'analyse de la Cour que nous ne partageons pas : nous pensons, comme Laurent Michel, qu'il est important de maintenir des appels d'offres avec une approche spécifique par technologie, ne serait-ce que pour des questions d'équilibre du système électrique et de répartition géographique. Nous venons d'avoir un bel exemple des effets contre-productifs des appels d'offre globalisés, avec les résultats de l'appel d'offres multi-technologies en Allemagne : les projets retenus relèvent presque tous du photovoltaïque, ce qui implique évidemment une concentration dans une zone géographique bien déterminée.
Concernant l'éolien, nous suggérons, contrairement à ce qui est préconisé par la Cour des comptes, de maintenir la procédure dite de « guichet ouvert », en complément des appels d'offres. Nous pensons en effet que l'arrêté tarifaire de 2017 sur l'éolien terrestre est presque aussi vertueux que les résultats issus des procédures d'appel d'offres, du fait du mécanisme de plafonnement du nombre d'heures pendant lesquelles le mégawattheure éolien est rémunéré à 72 euros.
La Cour considère enfin que les critères qualitatifs dans les appels d'offres ne doivent pas jouer un rôle prépondérant pour le choix des projets. Sur ce point, je partage à 100 % l'avis de Jean-François Carenco : nous devrions au contraire maintenir des critères de performance environnementale dans les appels d'offres photovoltaïques. Ces critères devraient être renforcés et fiabilisés, afin de protéger notre industrie. Notre politique industrielle doit permettre à la France de bénéficier pleinement de la transition énergétique. Je partage aussi l'avis de Fabrice Boissier sur les indicateurs à mettre en place : les questions de l'efficacité énergétique ou du bilan carbone ne sont pas les seules qui méritent d'être posées. Les indicateurs socio-économiques doivent absolument être pris en compte : notre bilan en la matière peut sembler relativement faible aujourd'hui en raison principalement du caractère inconstant des politiques de soutien aux énergies renouvelables, qui n'incite pas les industriels à investir sur le long terme.
L'exemple de l'éolien en mer est tout à fait parlant. Dans le cadre des deux appels d'offres de 2011 et 2013, les propositions des candidats ont été notées suivant notamment le critère de qualité du projet industriel et social. Nous souhaitons aujourd'hui que ces plans industriels puissent aller à leur terme afin qu'une véritable filière de l'éolien en mer puisse se structurer sur le territoire français. Même quand les actionnaires de l'entreprise ne sont pas français, les salariés le sont ! Nous partageons donc évidemment l'objectif d'attirer un turbinier étranger sur le sol français. Nous avons toujours considéré qu'il y avait une carte à jouer dans le secteur de la sous-traitance des composants. Nous avons d'ailleurs, dans le cadre d'un programme aidé par l'État, qui s'appelait Windustry, accompagné plus de 70 PME pour qu'elles soient en mesure de se positionner sur la chaîne de valeur de l'éolien.
Sur le photovoltaïque, la France dispose aujourd'hui encore de centres de recherche de premier plan au niveau mondial, et de plusieurs entreprises très performantes. Je voudrais saluer la décision récente du groupe EDF de multiplier par 10 les capacités de production de lingots de silicium. Pour ce faire, EDF mobilise sa filiale Photowatt, mais s'associe aussi avec un équipementier chinois et un équipementier local qui est une PME, sur la base d'une technologie soutenue par l'ADEME.
Dans d'autres filières, comme la chaleur domestique et industrielle, ou encore l'hydrolien, on peut compter sur des acteurs français très bien positionnés. Ils ont besoin de visibilité sur le développement futur du marché afin de survivre à la « vallée de la mort », c'est-à-dire de passer de l'innovation au développement industriel. Nous rappelons donc l'importance des politiques d'innovation.
Enfin, le gaz renouvelable est actuellement en fort développement sur le territoire français grâce au développement de la méthanisation. De nouvelles opportunités de structuration d'une filière française, en lien avec la politique agricole, en découlent. La refonte d'un comité stratégique de filière, dans le cadre du Conseil national de l'énergie, pourrait être l'occasion de structurer une réflexion sur ce sujet.
La Cour propose aussi de mieux associer le Parlement à la définition des objectifs de développement des énergies renouvelables et des volumes financiers nécessaires à ce soutien : je voudrais rappeler que, en ce qui concerne la chaleur, les instruments sont d'ores et déjà entièrement à la disposition du Parlement - tant le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), sur lequel nous partageons d'ailleurs entièrement les conclusions de la Cour, qui recommande de recentrer le CITE uniquement sur les énergies renouvelables, que le fonds chaleur, de même que la contribution climat énergie peuvent être contrôlés par le Parlement. Dans le domaine de l'électricité, la question du droit de regard du Parlement se pose. Mais je rappelle que 80 % des futures nouvelles capacités d'énergies renouvelables électriques soutenues dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) le seront au travers de procédures d'appels d'offres, qui garantissent une répartition optimale des fonds publics.
Sur les autres évolutions de gouvernance proposées par la Cour, il nous semble important de souligner que la DGEC est identifiée comme un acteur essentiel de la définition de la politique énergétique. Elle doit voir ses moyens, principalement humains, grandement renforcés tout comme l'ADEME. Or il semble que l'heure soit plutôt à la réduction des emplois...
Enfin, si la création d'un comité, qui se substituerait aux nombreuses structures de gouvernance dans le secteur de l'énergie, était retenue, elle devrait s'inscrire dans un réel exercice de simplification et non se superposer à tous les organismes qui existent déjà. Il faudrait également qu'une telle instance soit ouverte à l'ensemble des parties prenantes à la stratégie énergétique, en particulier le syndicat des énergies renouvelables.