Je ne suis pas mécontent de cette proposition de loi, qui vient alors qu'une mission a lieu à l'Assemblée nationale sur ce sujet et que le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude sera examiné en premier par le Sénat. Elle pose une vraie question à propos d'une bizarrerie du droit français, à savoir le monopole de l'administration fiscale pour lancer des poursuites pénales.
L'administration fiscale française est l'une des plus efficaces au monde en matière de recouvrement ; elle a aussi une tradition de secret fiscal qui offre toutes les garanties - alors que les procès-verbaux d'auditions judiciaires se retrouvent souvent dans la presse...
Faut-il supprimer le verrou de Bercy ? Je suis d'abord soucieux d'efficacité. Lorsque j'ai présenté, avec Claude Raynal, une proposition de loi sur le non bis in idem - la poursuite des mêmes faits à deux reprises - pour les délits boursiers comme le délit d'initié ou la manipulation de cours, nos auditions ont mis en évidence l'inefficacité de la justice dans le traitement de ce type de délits. Des jugements ont parfois été rendus après quinze ans, alors que l'Autorité des marchés financiers (AMF) peut infliger des amendes et des sanctions administratives très rapidement. Je crains que la même chose ne se produise avec la fraude fiscale. Si le verrou de Bercy est supprimé, on ne créera certainement pas des centaines de postes de magistrats spécialisés dans les affaires fiscales faute de moyens pour la justice comme cela est souvent rappelé. Or la justice ne s'intéresse pas prioritairement à la délinquance en col blanc qui passe - et on peut le comprendre - après les viols, les attaques à main armée, ou encore les délits routiers... Ainsi, d'appel en cassation, les contentieux traîneront, pour le bonheur des avocats fiscalistes, et l'argent ne rentrera pas.
Je préconise par conséquent le maintien de la voie pénale pour les infractions les plus graves et une révision du verrou de Bercy dans le sens d'une plus grande transparence, en revoyant peut-être les critères appliqués, ou encore en prévoyant un contrôle parlementaire. En revanche, supprimer ce verrou et transférer l'ensemble du contentieux de la fraude fiscale à la justice, c'est engorger celle-ci encore davantage et perdre des recettes. Soyons pragmatiques, remettons-nous-en au professionnalisme de l'administration fiscale et faisons des propositions de réforme à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude.