Intervention de Mohamed Sifaoui

Commission d'enquête menace terroriste après chute de l'Etat islamique — Réunion du 10 avril 2018 à 14h20
Audition de M. Mohamed Sifaoui journaliste-écrivain-réalisateur dirigeant de la société terromag

Mohamed Sifaoui, journaliste-écrivain-réalisateur, dirigeant de la société Terromag :

La menace a aujourd'hui deux visages. Elle est à la fois endogène et exogène. Il y a effectivement un risque réel de voir des personnes qui ont commencé à commettre des attentats à l'étranger chercher à revenir en France pour perpétuer leurs actions. Il y a aussi des gens qui n'ont jamais manipulé une arme, qui pourraient utiliser les moyens de la vie quotidienne, comme on l'a déjà vu, pour passer à l'acte. Toute la difficulté des services de renseignement est de pouvoir travailler sur ces deux aspects. Je suis de ces observateurs qui regrettent l'ancienne organisation des services de renseignement, qui était beaucoup plus adaptée à la réalité de la menace qui s'installait dès 2007-2008. Il s'agit d'abord d'une menace islamiste importante qui peut venir de l'extérieur mais qui pourrait parfois à l'avenir se décliner en terrorisme d'État. Je pense à des pays comme la Syrie ou l'Iran qui pourraient être, en raison des politiques menées, amenés à encourager de manière directe ou indirecte via leurs services des actions sur le territoire européen.

L'autre menace est endogène, souvent dite low-cost. Elle ne peut être détectée que par des acteurs de la proximité et du quotidien. Il faut revenir vers un maillage territorial plus fin, qui serait à même de rentrer dans les quartiers pour savoir ce qui se dit, ce qui se pense et se prépare. Il faut comprendre le cheminement d'un terroriste passant à l'acte. L'opinion publique ne voit que l'acte final. Mais avant cet acte, il y a une déconstruction mentale qui s'opère chez lui. Il doit faire tomber toutes ses digues morales. L'acte est le résultat d'un cheminement. Aujourd'hui, on ne sait pas encore le voir suffisamment à l'avance.

Lorsque je parle de la matrice victimaire, qui vise les jeunes et les enfants parfois ou toutes ces attitudes qui installent une division au sein même d'une société entre le « nous » et le « vous », ou le « nous » et le « eux », ce sont des signaux à prendre en considération.

La menace endogène doit être traitée par une plus grande présence sur le territoire. Il ne faudrait pas qu'il y ait un seul territoire qui soit interdit à la République et aux forces de sécurité.

D'autre part, l'indication sur le nombre de personnes radicalisées est donnée tous les jours par un certain nombre de faits. Je vais prendre un exemple personnel. Je vis depuis plusieurs années sous protection policière : elle a été décidée par le ministère de l'intérieur. J'ai vécu 5 ans sous cette protection de 2003 à 2008 et j'ai été remis sous protection depuis 2015. Pensez-vous qu'il soit normal dans la République française, qu'un journaliste ou une personnalité publique doive vivre sous protection policière permanente ? C'est un fait qui est entré dans une banalité. Le fait qu'un journaliste vive sous protection policière n'est pas perçu comme si grave. En vérité, je pense que c'est grave pour toute la société. Est-il normal aujourd'hui que la police, les pompiers ne puissent plus pénétrer dans certains territoires ? Il en est de même pour les médecins. Est-il normal que des personnes qui exposent des idées ne puissent plus circuler librement sans être agressées ou menacées ? Tout cela nous donne une idée de la pénétration de cette idéologie extrémiste.

Notre erreur est de ne voir que le terrorisme. Il y a l'action criminelle en tant que telle. Mais le terrorisme doit être vu comme des cercles concentriques, avec au centre l'action terroriste, puis tous les cercles l'entourant sont des cercles qui, tout en s'éloignant de l'acte, entretiennent un climat où on laisse penser, par exemple, qu'il est légitime de mener des actions violentes contre la République, ses symboles, les personnes. Il faut essayer de casser cette ambiance. Aussi est-il impératif de lancer un plan national pour casser les ghettos ethno-religieux. On voit que chaque problème sort de ces ghettos où on laisse se concentrer un certain nombre de maux sociaux.

L'une des figures du salafisme dit quiétiste était un saoudien, le Cheikh Uthaymin. Dans une réponse qu'il a adressée à un de ses adeptes l'interrogeant sur les raisons pour lesquelles il faudrait renoncer au djihadisme et au terrorisme, il indiquait : « Nous devons renoncer au djihad car la Oumma musulmane n'est pas capable moralement et matériellement d'assumer ce combat ». Il ne dit pas parce que cela serait contraire aux valeurs humanistes. Les quiétistes mettent sous le tapis la question du terrorisme, tout simplement parce qu'ils ne sentent pas encore capables de le mener ou parce que leurs conditions ne sont pas réunies. Ils considèrent que la conquête doit passer par la réislamisation des sociétés, y compris musulmanes. La divergence qui existe entre les mouvements violents et les mouvements supposés non violents passe par ce point. Les uns croient qu'il faut aller au combat immédiatement ; les autres pensent qu'il faut y aller par le prosélytisme et l'endoctrinement. Lorsque l'on regarde les écrits en arabe, les divergences existant entre les prétendus modérés ou représentants d'un prétendu salafisme « tolérable » et ceux qui portent un « salafisme intolérable » résident sur ce point précis. Dans les deux cas, l'objectif au final est le même : assoir l'islam comme seule et unique référence religieuse.

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