Vous m'avez confié un rapport sur le cycle de vie des entreprises - création, développement, disparition - et l'élaboration de propositions pour dynamiser notre économie. Après une soixantaine d'auditions et la prise en compte des nombreuses contributions écrites que j'ai reçues, je vous propose de créer une « France libre d'entreprendre », un univers idéal pour les créateurs, les innovateurs et les entrepreneurs.
Qu'est, pour l'entrepreneur que je suis, un univers idéal ? J'ai créé ma société à vingt ans, puis l'ai déplacée au Royaume-Uni en 1996 à la suite de l'instauration de la libre circulation des personnes dans l'Union européenne. Je dirige désormais, avec un simple portable, une société no paper, no people, sans aucun salarié, qui regroupe des travailleurs en free-lance aux quatre coins du monde. C'est simple, efficace et économique.
Comment créer une France libre d'entreprendre ? Par quelle priorité convient-il de commencer ? Le système administratif français est d'une telle complexité que les entreprises ont développé une forme de résilience. Pour beaucoup - les auditions nous l'ont confirmé -, la simplification consiste à s'adapter à la complexité. Les entreprises françaises doivent produire chaque année 10,7 millions de pièces justificatives demandées par l'administration, dans le cadre de 4,1 millions de démarches. Cette complexité administrative coûte chaque année 60 milliards d'euros à l'économie française. L'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estime que 15 milliards d'euros pourraient être économisés en la réduisant. Pour y parvenir, il faut faire simple, efficace et économique.
Sénateur des Français établis hors de France, ma circonscription est le monde. Et je puis vous dire qu'il n'attend pas les réformes de la France ! Certes, le discours public est désormais plus favorable à l'entreprise : le dynamisme entrepreneurial est présent, on entend même créer une start-up nation. Les intentions sont louables, mais les actes décevants : notre nation est plus start que up !
Nous avons besoin d'une réforme fiscale d'envergure, qui oriente l'épargne des ménages vers les petites et moyennes entreprises (PME). Il faut nous montrer pragmatique. La Grande-Bretagne vient de doubler l'Enterprise Investment Scheme pour renforcer encore le capital-risque. Alors que l'on compte à Londres deux fois plus de business angels, il ne faut pas s'étonner que l'Alternative Investment Market, pour les 950 PME cotées, pèse 105 milliards de livres, contre 180 PME cotées à Paris pour 10 milliards d'euros, soit cinq fois plus de PME cotées pour dix fois plus de capitaux. Tel est le constat que nous avions mis en évidence en 2015 avec Élisabeth Lamure dans notre rapport d'information intitulé Pourquoi le Royaume-Uni séduit les entrepreneurs français.
L'État veut se mettre au service d'une société de confiance. Dans cet esprit, lors de l'examen du projet de loi éponyme, je n'ai proposé qu'un seul amendement. Il prévoyait que le montage fiscal présenté par l'entrepreneur serait considéré approuvé si l'administration ne répondait pas à l'issue d'un délai de six mois, comme la loi l'y oblige. Mais le Gouvernement l'a déclaré irrecevable au prétexte que l'embauche d'un grand nombre de fonctionnaires pour répondre dans les temps serait de nature à alourdir la charge de l'État. Pourtant, nous avons suffisamment de fonctionnaires pour venir contrôler et redresser fiscalement les entreprises auxquelles on n'a pas voulu répondre précédemment. Je vous laisser méditer sur cette société de confiance... Pour simplifier, on multiplie les expérimentations, qui repoussent d'autant une adaptation attendue de l'administration à un monde où les paradigmes économiques et financiers se modifient de manière accélérée.
Avant de présenter quelques pistes, je poserai un préalable : la réalité des entreprises en France ne se limite pas aux start-up. La French Tech est un colbertisme high tech. Envoyer autant de start-up françaises à Las Vegas en janvier dernier qu'il y avait de start-up américaines, alors qu'on ne compte que deux ou trois licornes françaises, c'est survendre un écosystème, qui a des fragilités et ne reflète pas la réalité de l'économie française.
Il faut faire simple, efficace et économique. Pour la création d'entreprise, je propose deux catégories d'entreprises, et non pas quatre-vingt-sept, comme le recense Infogreffe, avec les entreprises individuelles à responsabilité limitée (EIRL), les entreprises unipersonnelles à responsabilité limitée (EURL), les sociétés à responsabilité limitée (SARL), les sociétés par actions simplifiées (SAS), les sociétés par actions simplifiées unipersonnelles (SASU), les sociétés anonymes (SA), les sociétés en nom collectif (SNC), etc. Simple. Reprenons le modèle britannique de la division sole trader/limited company, en laissant le plus de souplesse possible à l'entreprise pour lui permettre une auto-organisation. Un seul modèle d'entreprise ! Efficace.
Je propose un coût unique, par exemple 30 euros, pour le paiement de l'ensemble des formalités liées à la création d'une société - économique -, un portail unique regroupant les sites publics fournissant de l'information sur la création d'entreprise - simple -, un guichet unique pour les créations d'entreprise - simple - : Infogreffe - efficace. Je propose, en outre, une dématérialisation totale des démarches de publicité légale et la suppression de la publication des annonces légales dans des journaux permettant de faire économiser aux entreprises 250 millions d'euros - économique -, une déclaration annuelle de toutes les informations devant être portées à la connaissance du registre du commerce et des sociétés (RCS) - simple - et un registre et un identifiant uniques pour les entreprises. Imagine-t-on un casier judiciaire ou un registre des permis de conduire par département ? Efficace. Il convient également de rendre l'accompagnement à la création d'entreprises et au rebond de l'entrepreneur éligibles au mécénat d'entreprise : un coup de pouce fiscal utile, simple, efficace et économique pour améliorer les chances de survie d'une jeune pousse. Je pense ici au « Réseau Entreprendre » ou à l'association « 60 000 rebonds ».
Après la création, il faut grandir. Nos PME ont beaucoup de mérite de réussir à se développer en dépit de notre système administratif, fiscal et social. Quand l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (URSSAF) requalifie une relation contractuelle avec un travailleur indépendant de relation salariale, toute 1'entreprise individuelle en est ébranlée. Il faut supprimer cette possibilité. Efficace. Quand l'URSSAF ou le fisc applique des pénalités pour non-respect d'une date de paiement, cela constitue une punition contre-productive pour les entreprises. Nos voisins britanniques ne comptent que des intérêts de retard : faisons de même. Économique.
Il faut créer un code des entreprises rassemblant tous les textes les concernant, éparpillés dans plusieurs codes. Simple.
Rationalisons aussi les 1 654 dispositifs d'aide publique qui existent en ne conservant que les plus performants. Efficace. Pour croître, il faut, en outre, supprimer les obstacles, comme les seuils de 20 ou 50 salariés. Le Gouvernement voudrait les geler pendant trois ans ; certains demandaient cinq ans. Cela revient à reporter le problème. Il faut rehausser les seuils, en les faisant passer à 50 et 250, les seuils européens. Simple.
La France manque d'entreprises de taille intermédiaire (ETI), dit-on. Alors même que les pouvoirs publics conviennent de la faiblesse des ETI françaises par rapport à leurs concurrents européens, ils leur imposent un empilement de mesures administratives, sans articulation, qui les soumettent à partir d'un certain seuil aux mêmes obligations que les sociétés cotées.
Supprimons les sur-transpositions de directives européennes dans le droit français. Efficace. À cet égard, je remercie le président Larcher d'avoir fait état, lors de la troisième journée des entreprises le 29 mars dernier, du travail du Sénat en la matière.
La France est un marché trop étroit pour permettre un développement pérenne des entreprises. Pour renforcer l'export, je propose de remplacer toutes les aides par un taux d'impôt différencié. Par exemple, si vous exportez 25 % de votre chiffre d'affaires, un quart de vos bénéfices est imposé à un taux réduit, quand les 75 % restant sont imposés au taux normal. Simple.
Pour se développer, les entreprises ont besoin non pas d'aides, mais de commandes. Combien d'administrations et de grandes entreprises écartent nos PME de leurs marchés, car elles n'ont pas la taille critique ? Dans le secteur de la cyber-sécurité par exemple, on se tourne vers des entreprises américaines ou israéliennes. Il faut réserver une part des commandes aux PME pour faciliter leur développement et préserver notre écosystème. Je sais les blocages qui existent en la matière. En 1996, quand on parlait du Small Business Act, le délégué général pour l'armement nous avait annoncé que nous avancerions aussi vite que le permettrait la viscosité du système. Voyez où nous en sommes toujours ! Ce serait efficace.
Des progrès doivent par ailleurs être réalisés concernant les contrôles fiscaux. Un entrepreneur auditionné nous a livré la liste de toutes les pièces qu'il a dû fournir depuis juin 2015 pour justifier un crédit d'impôt recherche (CIR) ; certaines remontent à 2011 et le dossier n'est toujours pas clos en mars 2018. Un contrôle fiscal doit servir à vérifier des incohérences ou des dysfonctionnements. Avec les technologies de ciblage des bilans d'entreprise, l'administration doit savoir où chercher. Ce serait économique. Pour éviter les effets pervers induits par la multiplication des contrôles, pourquoi ne pas envisager de transformer le CIR en un allègement de charges ?
Des mesures sont également nécessaires s'agissant des feuilles de paie. Sur celles que je produis en Grande-Bretagne figurent deux chiffres : le numéro de sécurité sociale de la personne et le code pour l'impôt à la source. En tant qu'entrepreneur, je ne fais qu'un seul paiement. Il ne faut pas seulement clarifier le bulletin de paie pour le salarié mais le simplifier vraiment pour l'entreprise, en créant un organisme interface entre les salariés et les organismes sociaux, afin de créer un taux de cotisation sociale unique pour les salariés et les entreprises en fonction du salaire distribué et qui assurerait la collecte des cotisations sociales pour tous les organismes sociaux. Cela a été tenté et réfléchi. Cessons d'exporter la complexité de notre système sur les entreprises et laissons Bercy s'en démêler !
Nous voulons favoriser le développement des entreprises. Mais si l'on compte uniquement sur la croissance organique, les résultats ne seront pas rapidement au rendez-vous. Il faut faciliter les fusions-acquisitions et créer un abattement fiscal sur les plus-values de cession lors de la cession des fonds de commerce réalisée au cours d'une vie professionnelle et pas seulement à l'occasion d'un départ à la retraite.
La vie de l'entreprise est un cycle : la croissance, mais aussi la disparition. Le principe de l'erreur est que l'on ignore que c'en est une au moment où on la commet. Il nous arrive aussi d'avoir de fausses bonnes idées. Aux États-Unis, un échec entrepreneurial est une expérience ; en France, c'est toujours une faillite. À cet égard, je salue les associations d'aide au rebond : elles contribuent à faire évoluer les mentalités. Nous avons un droit des entreprises en difficulté particulièrement complexe : il privilégie le maintien de l'emploi - souvent de façon illusoire - au détriment des créanciers et met l'accent sur la prévention. L'opportunité de le simplifier a été donnée par le Président de la République, en annonçant une unification du droit franco-allemand pour ce qui concerne la faillite, mais encore faut-il rapidement se mettre au travail avec les Allemands... À l'occasion de la transposition du projet de directive du 22 novembre 2016, il faudra rendre notre droit plus favorable aux créanciers, les regrouper en classes, permettre de passer outre la résistance des actionnaires : s'inspirer, en somme, du Chapter 11 de la loi sur la faillite des États-Unis. Efficace.
Si ma société était installée en France et que je décédais subitement, ma compagne se trouverait dans l'incapacité de payer les droits de succession et l'entreprise devrait être vendue. Aussi, je propose d'abroger les droits de succession des entreprises non cotées, comme cela se pratique chez nos voisins européens, pour permettre à celles-ci de rester dans le giron familial et participer ainsi à l'écosystème des territoires, comme nous l'observons en Allemagne. Ce serait simple et répondrait à l'attente des nombreux sénateurs qui comptent des ETI sur leurs territoires. Quand une ETI disparaît, vous le savez, c'est tout l'écosystème qui s'effondre avec elle.
Enfin, pour fermer rapidement une entreprise, je propose de nous inspirer de la procédure de « turbodissolution » en vigueur aux Pays-Bas, en créant une procédure de liquidation simplifiée, qui permettrait un rebond rapide de l'entrepreneur. On peut créer une entreprise en vingt-quatre heures, on devrait aussi pouvoir la fermer dans le même délai. Simple, efficace et économique
Le Gouvernement affiche sa priorité pour changer l'environnement législatif des entreprises, mais le calendrier du projet de loi pour un plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), qui devrait être présenté le 2 mai prochain au conseil des ministres, ne prévoit qu'une lecture avant l'été au Parlement. Le Sénat ne devrait l'examiner qu'en septembre. Pour autant, et comme l'a indiqué le Président du Sénat dans son intervention à l'occasion de la troisième journée des entreprises, il faut éviter une nouvelle fois un recours excessif aux ordonnances. Il serait en effet paradoxal que le Gouvernement, après avoir vanté un mode de conception participatif et avoir mis en place un « Bercylab », prive à nouveau le Parlement d'un débat de fond. Les 348 sénateurs sont prêts à contribuer à la loi PACTE, tout autant que les 7 778 participants qui ont déposé 12 819 contributions et émis 63 683 votes pendant trois semaines.
Les entrepreneurs n'en peuvent plus d'un environnement où leurs entreprises ne peuvent travailler, se développer en toute sérénité et se battre à armes égales avec la concurrence. Pour eux et pour les salariés qui cherchent à s'épanouir dans leur entreprise, je vous présente ce rapport sur le cycle de vie des entreprises intitulé Pour une France libre d'entreprendre et sa trentaine de propositions. Je les ai testées lors de la journée des entreprises et elles y ont reçu un accueil très favorable. L'expertise et l'analyse du Sénat sont très attendues.