Intervention de Jacky Deromedi

Réunion du 15 mai 2018 à 14h30
« américains accidentels » concernés par le fatca — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Jacky DeromediJacky Deromedi :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, les États-Unis ont adopté le 18 mars 2010 le Foreign Account Tax Compliance Act, loi relative au respect des obligations fiscales concernant les comptes étrangers, dite « FATCA », résultant d’une convention fiscale d’échange d’informations signée entre la France et les États-Unis et d’application rétroactive.

Cette loi substitue au critère classique du domicile fiscal celui de la nationalité : tout Américain doit déclarer et payer des impôts aux États-Unis. Il s’agit là d’un bouleversement considérable de la législation fiscale américaine.

Le FATCA affecte en particulier les « Américains accidentels ». Il s’agit de nos compatriotes nés aux États-Unis à l’occasion d’un bref séjour, d’une escale ou visite touristique ou d’une hospitalisation. Ils sont Français, mais ils sont également Américains. Ils ignoraient généralement qu’ils avaient la citoyenneté américaine. Ils n’ont pas de relations avec les États-Unis, ils n’ont aucune famille là-bas, ils n’avaient pas de contact avec l’administration américaine avant 2014, ils n’ont pas de passeport américain.

En effet, toute personne née aux États-Unis est citoyenne américaine : c’est le jus soli, le droit du sol. Il existe également des « Américains accidentels » nés ailleurs qu’aux États-Unis. Ils le sont par filiation, l’un de leurs parents né aux États-Unis étant lui-même « Américain accidentel »…

En 2014, ils ont découvert qu’ils devaient avoir des relations suivies avec les États-Unis en matières fiscale et bancaire. En effet, leurs banques françaises les ont informés cette année-là de l’existence du FATCA. Ils devaient, dès lors, payer leurs impôts aux États-Unis. Ils ont appris que le FATCA était d’application rétroactive sur plusieurs années, avec des indemnités et pénalités de retard à la clef… Ils ont découvert que la France, comme d’ailleurs les autres États de l’Union européenne, avait conclu avec les États-Unis en 2013, pour l’application du FATCA, un accord d’échange automatique des données fiscales et bancaires.

Ils étaient donc tenus de remplir les formulaires envoyés par leurs banques, pour transmission au fisc américain. Ils devaient avant toute chose obtenir un numéro de sécurité sociale américain, démarche complexe pour nombre d’entre eux, beaucoup ne parlant même pas anglais.

Je souhaiterais vous lire quelques extraits d’un témoignage reçu récemment :

« Je suis née aux USA, en Californie, à Pasadena, de parents tous les deux Français. […] Mes parents sont rentrés en France lorsque j’avais 16 mois. […]

« En juin 2016, ma banque m’a envoyé un courrier m’indiquant que je présentais “ un indice d’américanité ”. […] Je travaillais alors à plein temps et je rédigeais une thèse pour une formation que j’avais décidé de suivre pour booster ma carrière professionnelle. […]

« J’ai entrepris les démarches difficiles pour collecter les informations nécessaires à la constitution du dossier pour obtenir le numéro de sécurité sociale américain. […]

« J’ai interrompu tous mes projets personnels. […] J’ai appris début 2018 que le fisc français avait transmis mes soldes bancaires au fisc américain.

« J’ai engagé un cabinet spécialiste de la fiscalité française et américaine pour des honoraires estimés entre 13 000 et 15 000 euros suivant un taux horaire non contrôlable. […] Le cabinet m’a indiqué que je dois en outre payer 25 000 euros au fisc américain. […]

« J’espère que la procédure sera terminée fin juin 2018 car, dans le cas inverse, le préjudice financier sera encore plus important puisque la France passe au prélèvement à la source et, de ce fait, je n’aurai aucun crédit d’impôt à déduire des impôts que je devrai aux USA en 2018. »

Voilà une femme de cinquante-trois ans qui voit partir en fumée tous ses rêves et ses économies… Les banques françaises sont en effet tenues de faire le signalement de leurs clients américains et de transmettre au fisc américain quantité d’informations. Nos compatriotes jugent cette démarche très intrusive et considèrent qu’elle porte atteinte à leur vie privée.

La loi FATCA a prévu des sanctions fort dissuasives.

Pour les banques, il s’agit d’une retenue à la source punitive de 30 % sur l’ensemble des flux financiers versés depuis les États-Unis sur des comptes de US persons, voire le retrait de la licence bancaire aux États-Unis. Aucune banque ne peut donc se permettre de refuser l’application du FATCA.

Quant aux « Américains accidentels », ils s’exposent à des poursuites du fisc américain, qui peut demander au fisc français d’engager des poursuites contre eux. Ils doivent également éviter de voyager aux États-Unis, sous peine de devoir y rester… jusqu’à ce qu’ils aient régularisé leur situation.

En France, les « Américains accidentels » rencontrent de grandes difficultés auprès des banques et des sociétés de gestion de portefeuille, soumises aux contrôles stricts de l’autorité américaine de régulation des marchés.

Soucieuses de ne pas devenir les proies de contrôles intrusifs du fisc et de l’autorité américaine de régulation des marchés, les banques et les sociétés de gestion de portefeuille françaises sont de plus en plus réticentes à conserver une clientèle d’« Américains accidentels ». La plupart des banques françaises refusent l’ouverture de comptes à ces personnes, les privant ainsi de tous les services bancaires, tels que prêts, produits d’épargne retraite, cartes bancaires, etc. Elles peuvent même unilatéralement décider de fermer les comptes de leurs clients habituels dont elles apprennent qu’ils présentent un « indice d’américanité ». Certes, en cas de refus d’ouverture d’un compte bancaire, le code monétaire et financier prévoit une procédure de recours auprès de la Banque de France, qui peut enjoindre à une banque d’ouvrir un compte à la personne concernée.

Comment ne pas s’interroger aussi sur la légalité du « fichage » des « Américains accidentels » au regard de la loi Informatique et libertés, en raison des conséquences dramatiques qui peuvent en résulter ?

J’ai, en ce qui me concerne, commencé à travailler sur ce sujet dès juin 2015, après m’être entretenue avec l’une de ces victimes résidant à Singapour. J’ai alors adressé un courrier à M. Michel Sapin, en septembre 2015, auquel a répondu M. Jean-Marc Ayrault en juillet 2016. Je vous donne lecture d’un extrait de cette réponse : « Le fondement de l’impôt sur la nationalité et non sur le domicile fiscal relève de la compétence souveraine des États-Unis, sur laquelle la France ne peut intervenir »…

Plusieurs « Américains accidentels » ont donc décidé de renoncer à la nationalité américaine, mais on a du mal à imaginer la complexité et surtout le coût de cette procédure.

Il faut prendre un avocat américain si l’on veut que la procédure aboutisse. On m’a signalé des honoraires oscillant entre 10 000 et 100 000 euros. Une famille a dû se défaire de tout son patrimoine immobilier en France.

Il faut aussi acquitter une taxe de 2 500 euros auprès de l’administration américaine et surtout, évidemment, s’être mis en règle avec le fisc américain, après avoir payé les arriérés d’impôts, les pénalités de retard et les amendes…

De plus, on vient de m’informer que le Congrès américain a voté en décembre 2017, il y a donc moins de cinq mois, une nouvelle loi qui aggrave considérablement la situation des « Américains accidentels » : une taxe de rapatriement de 17, 5 % sur les bénéfices des trente dernières années des entreprises détenues par des US persons, y compris donc des « Américains accidentels », a été instaurée… C’est purement et simplement une confiscation de capitaux français.

Quelle est la finalité de cette proposition de résolution ? Agir à un triple niveau.

Au plan international, l’Association des « Américains accidentels », dont je salue les efforts, a saisi le président Trump. Notre excellent collègue Antoine Lefèvre, président du groupe d’amitié France-États-Unis du Sénat, avec lequel je me suis entretenue avant son départ pour accompagner la visite d’État du président Macron à Washington, a immédiatement agi auprès des autorités américaines au plus haut niveau.

L’Association des « Américains accidentels » souhaite une remise en cause de l’accord franco-américain de 2013. Elle souligne que les États-Unis ne respectent pas la réciprocité en matière d’échange d’informations entre l’administration américaine et le fisc français, ce qui pourrait nous permettre de dénoncer cet accord. Elle demande la prise de dispositions transitoires pour le passé, et l’ouverture de la possibilité de renoncer à la citoyenneté américaine selon une procédure simplifiée.

Au plan européen, le président de l’Association des « Américains accidentels », Fabien Lehagre, a saisi le Parlement européen d’une pétition transmise à la commission des pétitions, qui a déclaré la demande recevable. Elle prépare une proposition de résolution, qui sera examinée en séance plénière du Parlement européen en juin. Une résolution du Parlement européen apporterait un grand appui à cette juste cause, en mobilisant la Commission européenne sur le sujet.

Au plan national, plusieurs d’entre nous ont multiplié les démarches auprès des gouvernements successifs. À plusieurs reprises, M. Jean-Marc Ayrault m’a indiqué qu’il comprenait les difficultés des « Américains accidentels », en renvoyant à des discussions entre notre ambassade et les autorités américaines. J’ai déposé cette proposition de résolution, cosignée par une centaine de mes collègues, eux-mêmes saisis de ce problème dans leurs circonscriptions. Je les remercie de l’intérêt qu’ils ont porté à cette situation.

L’Assemblée nationale a repris le flambeau en créant une mission d’information sur la situation des Français nés aux États-Unis au regard du FATCA, dont les deux rapporteurs sont MM. Marc Le Fur et M. Laurent Saint-Martin. Elle m’a auditionnée le 18 avril dernier.

En outre, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, a été saisie par un particulier de la question de la fermeture des comptes à partir d’un fichage des US persons.

Enfin, l’Association des « Américains accidentels » a formé devant le Conseil d’État un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté du 25 juillet 2017, qui constitue l’une des modalités de mise en œuvre de l’accord franco-américain d’application du FATCA.

En agissant de concert à ces trois niveaux – bilatéral, européen et national –, je suis persuadée que nous pourrons avancer vers la solution qu’espèrent nos compatriotes « Américains accidentels ». C’est une question de justice. Nous ne pouvons pas permettre que ces compatriotes soient pris en otages et aient à payer une rançon pour avoir le droit de vivre dignement. Je vous remercie par avance de votre soutien !

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