Intervention de Françoise Laborde

Réunion du 15 mai 2018 à 14h30
« américains accidentels » concernés par le fatca — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Françoise LabordeFrançoise Laborde :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le sujet qui nous intéresse aujourd’hui résonne fortement avec l’actualité internationale, marquée par le rejet récent, par le président des États-Unis, de l’accord sur le nucléaire iranien.

Il s’agit d’un exemple supplémentaire des conséquences négatives de l’unilatéralisme américain, qui se manifeste dans de nombreux domaines : sanctions économiques contre des entreprises françaises à l’étranger, rejet de l’accord de Paris sur le climat, et, maintenant, loi FATCA, qui, malgré des intentions louables, s’est transformée en enfer administratif et fiscal pour certains de nos concitoyens.

Tandis que, en France, le droit du sol est soumis à certaines conditions de résidence, les États-Unis appliquent un droit du sol inconditionnel ; toute personne née sur le sol américain possède la nationalité américaine, sans condition de résidence, même si ses parents sont étrangers. Ainsi, une personne née sur le sol américain, mais n’y résidant pas, voire n’y ayant jamais résidé, est considérée par les autorités américaines comme une personne américaine, une « US person ».

Depuis l’adoption, en 2010, de la loi FATCA, qui vise à lutter contre l’évasion fiscale des citoyens américains et contre le blanchiment d’argent, tout établissement bancaire dans le monde doit identifier les clients présentant des « indices d’américanité » et déclarer leurs avoirs à l’Internal Revenue Service, l’IRS, le fisc américain. En cas de manquement à cette loi, la banque doit s’acquitter d’une retenue à la source de 30 %, cela a été dit.

Toutefois, les informations à fournir vont au-delà des simples informations fiscales : ces « Américains accidentels » doivent fournir de nombreuses informations personnelles, ainsi que celles de leur conjoint, même si celui-ci n’a pas la nationalité américaine. Au total, on considère que plusieurs dizaines de milliers de citoyens français sont concernées.

C’est par l’accord bilatéral de 2013-2014 que la France a accepté ces conditions ; c’est peut-être notre tort… Si les autorités américaines doivent également transmettre des informations sur les citoyens français résidant sur le sol américain, en pratique, l’accord est très asymétrique, et les États-Unis reçoivent un ensemble d’informations bien plus large que ce qu’ils transmettent. Dans le rapport de juillet 2014 de la commission des finances du Sénat relatif à la loi de ratification de cet accord, la réciprocité était considérée comme une « question centrale ».

Pour régulariser leur situation auprès des autorités américaines, les « US persons » n’ont d’autre solution que de régler des impôts aux États-Unis ou de renoncer officiellement à la nationalité américaine. Néanmoins, cette dernière option nécessite une procédure judiciaire coûteuse, exigeant le recours à un avocat américain ; surtout, elle ne dispense pas, quoi qu’il advienne, de se mettre à jour de sa situation fiscale auprès des autorités américaines.

En octobre 2016, les députés Karine Berger et Pierre Lellouche ont publié un rapport d’information sur l’extraterritorialité des lois américaines. Ce rapport montre comment le caractère incontournable du marché américain et de ses dispositions législatives permet aux États-Unis d’imposer leurs règles aux autres États.

D’ailleurs, cette extraterritorialité ne concerne pas que les « Américains accidentels », puisqu’elle s’applique aussi aux citoyens américains expatriés, qui doivent déclarer leurs revenus à l’IRS. En effet, en droit américain, l’impôt est prélevé sur le fondement de la citoyenneté et non sur celui de la seule résidence – cela pourrait être amené à changer avec la réforme fiscale en cours outre-Atlantique.

Dans le contexte de mobilisation croissante en France, en Europe et dans le monde, la résolution proposée par notre collègue Jacky Deromedi semble bienvenue. Elle reprend des recommandations du rapport de Karine Berger et de Pierre Lellouche et elle incite le Gouvernement à reprendre les négociations avec les autorités américaines, afin d’amender l’accord bilatéral de 2013 ou de modifier la loi FATCA pour tenir compte de la situation des « Américains accidentels ». Dans tous les cas, monsieur le secrétaire d’État, elle invite le Gouvernement à agir auprès des États-Unis pour faire respecter les engagements de réciprocité.

Enfin, elle demande d’assurer l’accès normal aux services bancaires pour les particuliers touchés par la loi FATCA, et – c’est très important –, de mieux informer les Français résidant aux États-Unis des conséquences fiscales de leur expatriation, pour eux et éventuellement pour leurs enfants qui naîtront sur le sol américain.

J’ajoute que l’on peut appeler nos banques à faire preuve de davantage de responsabilité vis-à-vis de leur clientèle. Même si elles peuvent subir les effets pervers de la loi américaine, il est difficilement tolérable qu’elles menacent des familles entières de clore leurs comptes pourtant ouverts il y a des dizaines d’années.

J’ai été le témoin, lors d’une permanence dans le département dont je suis élue, de la détresse de plusieurs personnes, qui en viennent à redouter toute démarche bancaire par crainte d’une transmission de leurs données à l’IRS, qui ne peuvent pas solliciter de tutelle sur le compte de leurs parents vieillissants, car cela entrerait dans le calcul de leurs impôts américains, ou qui craignent de liquider une succession, car cela augmenterait leur fiscalité.

Le groupe du RDSE est favorable à cette résolution ; il faut envisager une action coordonnée à l’échelon européen, même si l’on connaît la lenteur du processus communautaire de décision, car c’est le niveau pertinent pour négocier d’égal à égal avec les États-Unis.

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