La proposition de résolution que nous examinons aujourd'hui a été déposée par la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, Catherine Morin-Desailly. Elle travaille déjà depuis au moins cinq ans sur les enjeux, notamment économiques, du numérique.
Un mot de notre méthode de travail. André Gattolin et moi avons mené ensemble les travaux d'instruction de la proposition de résolution. J'ai pu participer aux auditions, qui nous ont permis de recueillir l'avis de la Direction générale des entreprises, de l'Association française de normalisation (Afnor) et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
La définition des « objets connectés » est très simple : il s'agit de n'importe quel objet, dès lors qu'il peut communiquer avec d'autres objets. Pour les particuliers, les objets connectés ont d'abord servi à la « quantification de soi » : mesurer le nombre de ses pas, les calories dépensées, le temps de sommeil. Les montres connectées, apparues plus récemment, comportent de nombreuses fonctionnalités plus sophistiquées et se rapprochent des téléphones intelligents, les smartphones. Les objets connectés investissent aujourd'hui la maison, ampoules ou thermostats connectés en particulier. L'année 2018 sera également celle de la commercialisation en masse dans notre pays des enceintes intelligentes, capables d'effectuer des recherches et des achats en ligne comme de commander d'autres objets connectés de la maison.
Du côté des professionnels, le marché des objets connectés est déjà bien développé. Il s'agit principalement de capteurs sans fils qui transmettent des données, afin qu'elles soient analysées et transformées en informations utiles pour la production.
Par exemple, en matière agricole, les objets connectés peuvent surveiller une donnée constante, en vue de donner l'alerte en cas de problème. Des sondes thermiques avertissent d'un échauffement dans un stock de paille. Les capteurs permettent également de répondre aux besoins de l'agriculture de précision, à travers un suivi régulier des cultures. On peut aussi imaginer des capteurs de suivi d'humidité pour piloter au plus juste les apports d'eau.
Je rappellerai enfin que les objets connectés constituent l'une des « briques technologiques » des « villes intelligentes ». Le sujet concerne donc également les collectivités territoriales.
En somme, Catherine Morin-Desailly fait, avec raison, le constat que les objets connectés seront d'ici à quelques années partout dans nos vies. Les experts prévoient une croissance impressionnante de leur nombre : on parle de 20 à 35 milliards d'objets connectés en 2020, contre 10 milliards environ aujourd'hui. La production de données numériques va, en conséquence, également exploser. En France, une étude a estimé en 2015 à 3,6% d'ici à 2020 l'impact positif potentiel sur le produit intérieur brut du déploiement des objets connectés.
Pour autant, les acteurs économiques européens et français sont-ils bien positionnés pour profiter de la croissance de ce marché ? Selon un cabinet d'étude, l'Asie dépensera, en 2018, 312 milliards de dollars dans l'internet des objets, la Chine représentant à elle seule 209 milliards de dollars. L'Amérique du Nord est à 203 milliards. L'Europe, décomptée avec l'Afrique et le Moyen-Orient, à seulement 171 milliards...
Il existe donc un risque réel que l'essor des objets connectés conforte la situation de faiblesse des entreprises européennes, dans l'économie de la donnée, par rapport aux géants américains et chinois. Certes, chez nous, de nombreuses entreprises de toutes tailles font de l'essor de l'internet des objets un levier de leur croissance. Ainsi, 29 % des demandes de brevets déposées en 2016 auprès de l'Office européen des brevets en matière d'objets connectés proviennent d'inventions d'origine européenne. Toutefois, la création de valeur des objets connectés provient avant tout de l'utilisation des données, par leur traitement et leur analyse. Autrement dit, la valeur du marché provient de secteurs d'activités qui sont d'ores et déjà dominés par les géants américains et chinois du numérique.
J'en viens à la proposition de résolution. Celle-ci constate que la « souveraineté numérique » de l'Europe passe par le développement d'un « écosystème numérique industriel ». Elle formule, en conséquence, diverses pistes d'action.
La première consiste en une certification par les autorités publiques, pour que l'Europe assure à ses consommateurs un niveau élevé de cybersécurité et de protection des données à caractère personnel. Le processus est en cours, dans le règlement général sur la protection des données à caractère personnel, et dans le projet de règlement sur la cybersécurité. La résolution, dans sa rédaction issue de la commission des affaires européennes, vise à demander que ces certifications soient mises en place rapidement.
La version initiale de la proposition mentionnait un outil réglementaire spécifique pour la certification. Cela n'apparaît pas nécessaire. D'abord parce que les normes générales, adoptées ou en préparation, s'appliqueront aux objets connectés. Ensuite, parce qu'une règle spécifique pourrait créer des situations de rentes, bénéficiant aux acteurs déjà bien implantés. Enfin, parce que la sécurité informatique et la protection des données à caractère personnel méritent une approche au cas par cas : le niveau de sécurité nécessaire n'est pas le même pour une pompe à insuline et pour un capteur de température.
La deuxième piste d'action n'est pas propre aux objets connectés : il s'agit de l'introduction, en droit européen, d'une obligation de localisation et de traitement des données à caractère personnel des consommateurs européens sur le territoire de l'Union européenne. Cette question n'a pas fait l'objet d'un examen approfondi à l'échelon européen. Si certains industriels plaident en faveur d'une telle obligation, les auditions nous ont montré certains risques qui y seraient associés. Par conséquent, la proposition de résolution, issue des travaux de la commission des affaires européennes, demande que soit considérée l'introduction d'une telle obligation.
La troisième piste d'action porte sur les normes, professionnelles ou étatiques. La commission des affaires européennes a uniquement apporté des modifications d'ordre technique sur ce volet. Le texte demande que l'Union européenne inclue, dans la conduite de sa politique commerciale, la promotion de normes exigeantes en matière numérique.
Sur les normes professionnelles, la résolution invite les acteurs européens à renforcer leur présence dans les enceintes internationales où elles sont élaborées. Les auditions ayant fait ressortir que les acteurs français ne sont pas suffisamment investis dans la normalisation, un alinéa a été ajouté en commission des affaires européennes pour les appeler à s'engager davantage. Les travaux d'Elisabeth Lamure sur la normalisation ont été à cet égard très utiles !
Enfin, la commission des affaires européennes a, sur l'initiative du rapporteur André Gattolin, introduit un alinéa demandant de renforcer les moyens de la CNIL pour lui permettre de faire face à l'essor des objets connectés.
Puisque nous avons travaillé ensemble, André Gattolin et moi, en vue de faire converger nos positions en amont de l'examen en commission des affaires européennes, j'ai un seul amendement à vous proposer.
En vue d'assurer une plus grande cohérence entre les considérants et les demandes dans le texte, je vous propose d'ajouter un alinéa demandant à l'Union européenne d'adopter une stratégie industrielle, globale et à long terme, incluant l'internet des objets. Deux éléments motivent cet ajout : d'une part, alors que la France a défini, dès 2013, un plan industriel « objets connectés » dans le cadre des plans de la démarche « Nouvelle France Industrielle », il me semble que l'Union européenne serait bien inspirée d'en faire autant ; d'autre part, depuis la publication, en septembre 2017, de la communication de la Commission européenne intitulée « une stratégie revisitée pour la politique industrielle de l'Union européenne », le Conseil de l'Union européenne demande régulièrement à la Commission de définir une stratégie industrielle globale et à long terme. C'est donc le bon moment pour plaider en faveur de l'insertion d'un volet relatif à l'internet des objets !
Cette proposition de résolution fixe au Gouvernement les bonnes orientations à défendre à l'échelon européen. Elle constitue une première base de travail pour ce sujet très vaste.