Comme mes prédécesseurs chaque année à cette période, il me revient de vous présenter le bilan de l'application des lois relevant de notre champ de compétences. Cet exercice est important : il s'agit d'analyser et de contrôler les textes règlementaires pris au cours de l'année, quantitativement mais aussi qualitativement.
L'étude de certains textes anciens n'étant plus jugée pertinente, le rapport établi cette année porte sur dix-huit lois promulguées entre 2008 et le 30 septembre 2017, soit de la loi du 25 juin 2008 relative aux organismes génétiquement modifiés jusqu'à la loi du 20 mars 2017 relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle. Afin d'apprécier l'objectif énoncé dans la circulaire du 29 février 2008 d'une parution des textes d'application dans les six mois suivant la promulgation d'une loi, seules les mesures réglementaires publiées jusqu'au 31 mars 2018 entrent dans notre bilan.
Sur ces dix-huit lois, six sont totalement applicables, tous les textes réglementaires prévus ont été publiés ; mais trois étaient d'application directe, dont la loi du 1er juin 2016 habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances pour réformer Action Logement. Cette loi a été suivie par l'adoption de deux ordonnances dans le délai imparti et du dépôt sur le Bureau du Sénat des projets de loi de ratification.
Comme l'année dernière - et fort heureusement ! - aucune des lois que nous suivons n'est totalement inapplicable. En revanche, l'étude des douze lois partiellement applicables, dont les taux d'application varient de 54 % à 98 %, aboutit à un bilan plus nuancé.
Je me limiterai à quelques « focus » sur les plus emblématiques. Rapportée notamment par Dominique Estrosi Sassone, la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite loi Macron, est entièrement applicable s'agissant des dispositions relatives à l'urbanisme et au logement. Certaines mesures réglementaires intéressant la commission des affaires économiques sont encore attendues sur quelques sujets ; un point d'intérêt concerne en particulier les activités sur internet.
S'agissant du tourisme en ligne, notre précédent bilan rappelait que l'article 133 de la loi, introduit sur l'initiative du Sénat, a interdit la clause dite de « parité tarifaire », conférant ainsi la possibilité aux hôteliers de consentir des rabais par rapport aux prix affichés sur les plateformes de réservation. Le législateur allait, en cela, au-delà des engagements pris par Booking auprès de l'Autorité de la concurrence. Notre groupe de travail sur le tourisme devrait prochainement compléter les premiers éléments du bilan réalisé par l'Autorité de la concurrence.
Bien qu'elle n'entre pas formellement dans le champ du contrôle de cette année, un premier point sur l'application de la loi Hydrocarbures apparaît déjà riche d'enseignements. On se félicitera que quatre mesures déjà parues aient permis de mettre en oeuvre une bonne partie des réformes du stockage du gaz, à laquelle le Sénat a très largement contribué, et des règles de raccordement des énergies marines renouvelables.
Concrètement, le texte aura eu pour effet paradoxal, au regard de son objectif affiché, de débloquer l'attribution d'un certain nombre de demandes de prolongation de permis de recherche - douze à ce jour si l'on inclut le permis « Guyane maritime » - et d'octroi de concessions en application du droit de suite - cinq au total. L'administration avait jusqu'à présent refusé de statuer sur ces demandes, auxquelles il faut ajouter les six demandes de permis encore en cours d'instruction administrative, ainsi que les nombreux recours contentieux déposés ou à venir. A contrario, la loi aura aussi eu pour effet de « faire tomber » quarante-cinq demandes nouvelles de permis de recherche et trois demandes de nouvelles concessions qui ne pouvaient se prévaloir du droit de suite. Le texte a donc mis fin, dans un sens ou dans l'autre, à l'incertitude qui pesait depuis des années sur toutes ces demandes.
Pour les lois Transition énergétique d'août 2015 et Autoconsommation de février 2017, je dois déplorer l'absence d'application réglementaire de deux mesures en faveur des consommateurs en situation de précarité énergétique.
La mise à disposition d'afficheurs déportés permet aux consommateurs qui disposent déjà d'un compteur communicant de consulter en temps réel leurs données de consommation. Le dispositif devait entrer en vigueur au 1er janvier 2018 et plus de sept millions de compteurs Linky et un million de compteurs Gazpar ont déjà été installés. Mais on attend toujours la publication de deux arrêtés relatifs à la compensation des coûts occasionnés pour les fournisseurs. Un ménage français sur cinq est en situation de précarité énergétique selon l'Observatoire national de la précarité énergétique ; ce serait donc au moins un million de ménages précaires énergétiquement qui pourraient en bénéficier mais en sont jusqu'à présent privés. Comme de coutume, le Gouvernement nous annonce ces arrêtés pour les prochains mois, mais l'on ne sait rien ni du calendrier ni des modalités de déploiement des afficheurs déportés.
La seconde mesure est certes plus ponctuelle, mais non moins essentielle pour ses bénéficiaires : elle concerne l'accompagnement des consommateurs aux revenus modestes qui devraient remplacer un équipement en cas de changement de la nature du gaz distribué, comme cela sera le cas dès cette année dans une partie du nord de la France. Faute d'avoir pu introduire lui-même dans la loi une aide pécuniaire, le Sénat avait demandé un rapport que le Gouvernement n'a pas remis dans le délai d'un an imparti, indiquant qu'une mission avait été confiée à trois corps d'inspection pour étudier les différentes options juridiques et financières. Il est urgent d'aboutir, car la dépense sera difficilement finançable par des consommateurs aux revenus modestes. Pourquoi tant de temps pour définir les contours d'une aide dont l'enjeu budgétaire est limité ?
La loi relative à l'égalité et à la citoyenneté n'est pas prise en compte cette année dans les statistiques propres à notre commission. Je tiens quand même à dire quelques mots de ce texte, rapporté par Dominique Estrosi Sassone. Alors que le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières, le CNTGI, a été créé par la loi ALUR en 2014, le législateur est ensuite intervenu à deux reprises pour apporter des modifications : d'abord dans la loi Macron, afin de permettre l'application effective des dispositions aux personnes morales exerçant une profession en matière immobilière ; puis, justement, dans la loi Égalité et citoyenneté, non seulement pour fusionner le CNTGI et la commission de contrôle des activités de transaction et de gestion immobilières chargée de connaître de l'action disciplinaire, mais aussi pour préciser les modalités de la procédure disciplinaire et instaurer le versement d'une cotisation par les professionnels de l'immobilier.
Le décret en Conseil d'État du 10 mai 2017, pris pour l'application des nouvelles mesures introduites par la loi Égalité et Citoyenneté, prévoit une entrée en vigueur différée de ses dispositions, au 1er juillet 2018. Or le Parlement n'a jamais demandé d'entrée en vigueur différée ! En outre, le décret est encore incomplet, puisqu'il n'aborde ni les modalités de financement, notamment la cotisation des professionnels de l'immobilier, ni les modalités et le fonctionnement du répertoire des personnes sanctionnées.
Les mesures règlementaires manquantes pourraient cependant devenir bientôt sans objet. En effet, l'article 53 du projet de loi ELAN réforme à nouveau le CNTGI afin de supprimer sa compétence disciplinaire, supprimer la cotisation et revenir à sa composition initiale. Faire et défaire...
Un autre point me semble riche d'enseignements concernant la loi Égalité et citoyenneté. Son article 39 habilitait le Gouvernement à légiférer par ordonnance, notamment pour remplacer les régimes de déclaration d'ouverture préalable des établissements privés d'enseignement scolaire par un régime d'autorisation. Cet article a été déclaré contraire à la Constitution dans sa rédaction définitive issue de l'Assemblée nationale. La rédaction proposée à l'époque par le Sénat a été reprise dans la proposition de loi de Françoise Gatel, corapporteure de la loi Égalité et citoyenneté, déposée le 27 juin 2017. Cette proposition a été votée et promulguée le 13 avril 2018, devenant ainsi la loi visant à simplifier et mieux encadrer le régime d'ouverture et de contrôle des établissements privés hors contrat. Beau travail du Sénat !
Sur les dix-huit lois dont l'application est suivie cette année par la commission, onze ont été votées selon la procédure accélérée. Nous pouvons nous étonner que sept d'entre elles ne soient encore que partiellement applicables...
Constatant une augmentation du nombre de demandes d'habilitation à légiférer par ordonnances, une attention toute particulière a été portée pour la première fois cette année à ces textes. La moitié des lois que nous suivons, soit neuf sur dix-huit, autorisent le Gouvernement à prendre des ordonnances.
Dans ces neuf lois, vingt-neuf articles d'habilitation relèvent de notre examen, dont six n'ont fait l'objet d'aucune ordonnance dans le délai imparti. Il nous a semblé intéressant d'examiner notamment le rapport entre durée d'habilitation et présentation de l'ordonnance pour ratification. Par exemple, lorsque la durée d'habilitation est de neuf mois, le délai moyen de dépôt d'ordonnance est de plus de huit mois et demi. Je vous laisserai prendre connaissance de tous les chiffres dans le rapport, mais l'argument de célérité, souvent invoqué, n'est plus guère convaincant !
Par ailleurs, sur les dix-huit lois considérées, aucune n'a fait l'objet d'un rapport dit « article 67 » depuis le bilan de l'an dernier. Pour mémoire, l'article 67 de la loi du 9 décembre 2004 de simplification du droit impose au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur la mise en application de toute loi promulguée après le 9 décembre 2004 dans un délai de six mois suivant son entrée en vigueur.
Au total, seulement un tiers des rapports nous ont été remis par le Gouvernement. Je signale au passage le cas un peu particulier de la loi Transition énergétique, pour laquelle le Gouvernement considère que la transmission, en janvier 2017, d'un courrier de la ministre, qui comportait en annexe la liste des ordonnances et des décrets publiés, vaudrait remise de ce rapport. C'est très contestable, dès lors que n'y figurent pas, comme la loi de 2004 l'exige pourtant, les dispositions « qui n'ont pas fait l'objet des textes d'application nécessaires » et les « motifs » de l'absence de ces textes.
Comme Jean-Claude Lenoir le faisait les années précédentes, je tiens à insister sur la défaillance constante dont fait preuve l'administration en ce qui concerne les rapports demandés par le Parlement : pour six rapports remis à notre commission cette année, quarante-six autres sont encore attendus !
Certains, au motif qu'ils sont rendus publics, ne sont pas officiellement transmis au Parlement. Je pense notamment à certains rapports du Conseil général de l'environnement et du développement durable. Or une procédure de transmission a été établie et nous devons veiller à ce qu'elle soit respectée, afin que les attentes du législateur soient mieux prises en considération. Il en va de notre mission de contrôle.
D'autres rapports sont prêts et patientent sur le bureau des ministres. Celui prévu à l'article 32 de la loi ALUR par exemple, concernant le statut unique pour les établissements et services de la veille sociale, de l'hébergement et de l'accompagnement, est depuis le début de l'année 2017 en attente de transmission au Parlement.
Il nous faut donc absolument poursuivre le combat contre cette solution de facilité consistant pour le législateur à prévoir un rapport faute d'obtenir une mesure concrète dans la loi. Je vous encourage aussi à solliciter aussi régulièrement que possible le Gouvernement par des questions écrites sur la mise en oeuvre des lois que nous suivons, afin d'obtenir des réponses précises.
Pour conclure, je ne saurais trop vous recommander de prendre connaissance du bilan sectoriel détaillé : il sera mis en distribution au début du mois de juin, avant le débat en séance publique (mardi 5 juin à 16 h 15) en salle Clemenceau, comme c'est désormais la tradition. Cette année, c'est notre collègue Valérie Létard qui, en tant que présidente de la délégation du Bureau chargée du travail parlementaire, de la législation en commission, des votes et du contrôle, centralise les contributions de toutes les commissions et rédige un rapport global. Je lui souhaite beaucoup de courage pour ce travail important, un peu fastidieux, mais très utile...
La question de fond qui est posée, c'est la façon dont nous procédons à l'évaluation des politiques publiques, comme nous y invite la Constitution. Le bilan que vous avez dressé ressemble plus à un rapport d'activité qu'à un rapport permettant de porter un jugement sur l'effet des lois que nous avons votées.
La question de l'amélioration de l'évaluation des politiques publiques et du rôle du Parlement reste entière. J'ai déposé une proposition de loi sur ce sujet ; elle n'a pas abouti. J'espère que ce sujet sera abordé de nouveau dans les prochains débats sur la réforme constitutionnelle ou sur les lois organiques.
Sur ce sujet, nous, parlementaires, ne répondons pas correctement à l'une des trois missions qui nous sont confiées, parce que nous n'en avons pas les moyens.
Je partage cette analyse. Le Président de la République, lors de son discours au Congrès, a appelé à plus de moyens pour le Parlement, notamment pour l'exercice de sa mission de contrôle. Nous avons pris acte de cette volonté.
La proposition de résolution que nous examinons aujourd'hui a été déposée par la présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, Catherine Morin-Desailly. Elle travaille déjà depuis au moins cinq ans sur les enjeux, notamment économiques, du numérique.
Un mot de notre méthode de travail. André Gattolin et moi avons mené ensemble les travaux d'instruction de la proposition de résolution. J'ai pu participer aux auditions, qui nous ont permis de recueillir l'avis de la Direction générale des entreprises, de l'Association française de normalisation (Afnor) et de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
La définition des « objets connectés » est très simple : il s'agit de n'importe quel objet, dès lors qu'il peut communiquer avec d'autres objets. Pour les particuliers, les objets connectés ont d'abord servi à la « quantification de soi » : mesurer le nombre de ses pas, les calories dépensées, le temps de sommeil. Les montres connectées, apparues plus récemment, comportent de nombreuses fonctionnalités plus sophistiquées et se rapprochent des téléphones intelligents, les smartphones. Les objets connectés investissent aujourd'hui la maison, ampoules ou thermostats connectés en particulier. L'année 2018 sera également celle de la commercialisation en masse dans notre pays des enceintes intelligentes, capables d'effectuer des recherches et des achats en ligne comme de commander d'autres objets connectés de la maison.
Du côté des professionnels, le marché des objets connectés est déjà bien développé. Il s'agit principalement de capteurs sans fils qui transmettent des données, afin qu'elles soient analysées et transformées en informations utiles pour la production.
Par exemple, en matière agricole, les objets connectés peuvent surveiller une donnée constante, en vue de donner l'alerte en cas de problème. Des sondes thermiques avertissent d'un échauffement dans un stock de paille. Les capteurs permettent également de répondre aux besoins de l'agriculture de précision, à travers un suivi régulier des cultures. On peut aussi imaginer des capteurs de suivi d'humidité pour piloter au plus juste les apports d'eau.
Je rappellerai enfin que les objets connectés constituent l'une des « briques technologiques » des « villes intelligentes ». Le sujet concerne donc également les collectivités territoriales.
En somme, Catherine Morin-Desailly fait, avec raison, le constat que les objets connectés seront d'ici à quelques années partout dans nos vies. Les experts prévoient une croissance impressionnante de leur nombre : on parle de 20 à 35 milliards d'objets connectés en 2020, contre 10 milliards environ aujourd'hui. La production de données numériques va, en conséquence, également exploser. En France, une étude a estimé en 2015 à 3,6% d'ici à 2020 l'impact positif potentiel sur le produit intérieur brut du déploiement des objets connectés.
Pour autant, les acteurs économiques européens et français sont-ils bien positionnés pour profiter de la croissance de ce marché ? Selon un cabinet d'étude, l'Asie dépensera, en 2018, 312 milliards de dollars dans l'internet des objets, la Chine représentant à elle seule 209 milliards de dollars. L'Amérique du Nord est à 203 milliards. L'Europe, décomptée avec l'Afrique et le Moyen-Orient, à seulement 171 milliards...
Il existe donc un risque réel que l'essor des objets connectés conforte la situation de faiblesse des entreprises européennes, dans l'économie de la donnée, par rapport aux géants américains et chinois. Certes, chez nous, de nombreuses entreprises de toutes tailles font de l'essor de l'internet des objets un levier de leur croissance. Ainsi, 29 % des demandes de brevets déposées en 2016 auprès de l'Office européen des brevets en matière d'objets connectés proviennent d'inventions d'origine européenne. Toutefois, la création de valeur des objets connectés provient avant tout de l'utilisation des données, par leur traitement et leur analyse. Autrement dit, la valeur du marché provient de secteurs d'activités qui sont d'ores et déjà dominés par les géants américains et chinois du numérique.
J'en viens à la proposition de résolution. Celle-ci constate que la « souveraineté numérique » de l'Europe passe par le développement d'un « écosystème numérique industriel ». Elle formule, en conséquence, diverses pistes d'action.
La première consiste en une certification par les autorités publiques, pour que l'Europe assure à ses consommateurs un niveau élevé de cybersécurité et de protection des données à caractère personnel. Le processus est en cours, dans le règlement général sur la protection des données à caractère personnel, et dans le projet de règlement sur la cybersécurité. La résolution, dans sa rédaction issue de la commission des affaires européennes, vise à demander que ces certifications soient mises en place rapidement.
La version initiale de la proposition mentionnait un outil réglementaire spécifique pour la certification. Cela n'apparaît pas nécessaire. D'abord parce que les normes générales, adoptées ou en préparation, s'appliqueront aux objets connectés. Ensuite, parce qu'une règle spécifique pourrait créer des situations de rentes, bénéficiant aux acteurs déjà bien implantés. Enfin, parce que la sécurité informatique et la protection des données à caractère personnel méritent une approche au cas par cas : le niveau de sécurité nécessaire n'est pas le même pour une pompe à insuline et pour un capteur de température.
La deuxième piste d'action n'est pas propre aux objets connectés : il s'agit de l'introduction, en droit européen, d'une obligation de localisation et de traitement des données à caractère personnel des consommateurs européens sur le territoire de l'Union européenne. Cette question n'a pas fait l'objet d'un examen approfondi à l'échelon européen. Si certains industriels plaident en faveur d'une telle obligation, les auditions nous ont montré certains risques qui y seraient associés. Par conséquent, la proposition de résolution, issue des travaux de la commission des affaires européennes, demande que soit considérée l'introduction d'une telle obligation.
La troisième piste d'action porte sur les normes, professionnelles ou étatiques. La commission des affaires européennes a uniquement apporté des modifications d'ordre technique sur ce volet. Le texte demande que l'Union européenne inclue, dans la conduite de sa politique commerciale, la promotion de normes exigeantes en matière numérique.
Sur les normes professionnelles, la résolution invite les acteurs européens à renforcer leur présence dans les enceintes internationales où elles sont élaborées. Les auditions ayant fait ressortir que les acteurs français ne sont pas suffisamment investis dans la normalisation, un alinéa a été ajouté en commission des affaires européennes pour les appeler à s'engager davantage. Les travaux d'Elisabeth Lamure sur la normalisation ont été à cet égard très utiles !
Enfin, la commission des affaires européennes a, sur l'initiative du rapporteur André Gattolin, introduit un alinéa demandant de renforcer les moyens de la CNIL pour lui permettre de faire face à l'essor des objets connectés.
Puisque nous avons travaillé ensemble, André Gattolin et moi, en vue de faire converger nos positions en amont de l'examen en commission des affaires européennes, j'ai un seul amendement à vous proposer.
En vue d'assurer une plus grande cohérence entre les considérants et les demandes dans le texte, je vous propose d'ajouter un alinéa demandant à l'Union européenne d'adopter une stratégie industrielle, globale et à long terme, incluant l'internet des objets. Deux éléments motivent cet ajout : d'une part, alors que la France a défini, dès 2013, un plan industriel « objets connectés » dans le cadre des plans de la démarche « Nouvelle France Industrielle », il me semble que l'Union européenne serait bien inspirée d'en faire autant ; d'autre part, depuis la publication, en septembre 2017, de la communication de la Commission européenne intitulée « une stratégie revisitée pour la politique industrielle de l'Union européenne », le Conseil de l'Union européenne demande régulièrement à la Commission de définir une stratégie industrielle globale et à long terme. C'est donc le bon moment pour plaider en faveur de l'insertion d'un volet relatif à l'internet des objets !
Cette proposition de résolution fixe au Gouvernement les bonnes orientations à défendre à l'échelon européen. Elle constitue une première base de travail pour ce sujet très vaste.
Je vous remercie, madame la présidente, de m'avoir invité à participer à votre réunion. Avec Jean-Marie Janssens, nous avons travaillé, je le crois, en bonne intelligence, démarche indispensable à l'examen réussi d'une proposition de résolution européenne. Trop fréquemment, en effet, la commission des affaires européennes et la commission saisie au fond travaillent indépendamment sur un texte, ce qui peut conduire cette dernière à adopter des amendements à visée trop nationale, qui discréditent la position du Sénat français au sein des instances européennes. Dans le cas présent, nous avons mené les auditions conjointement et Jean-Marie Janssens fut parmi les premiers lecteurs de mon rapport !
Je travaille depuis sept ans sur les questions numériques et puis vous assurer que la démarche de votre rapporteur est tout à l'honneur du Sénat, qui, de longue date, défend une position ambitieuse sur ces sujets. Souvenez-vous notamment des initiatives de Catherine Morin-Desailly, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication : elle fut la première à qualifier l'Europe de « colonie du monde numérique », à réclamer l'établissement d'une souveraineté numérique européenne, à prôner l'instauration d'un marché unique du numérique et à réclamer une politique industrielle européenne en la matière. Nous avons ensemble tant martelé les enjeux de l'Europe du numérique que nous aurions pu écrire l'amendement proposé par M. Janssens, qui a le grand mérite de les réaffirmer ! Nous attendons de l'Europe qu'elle se dote des moyens de développer une industrie du numérique : ne nous contentons pas d'être utilisateurs d'objets connectés, soyons en producteurs et, ainsi, créateurs d'emplois !
Je suis convaincu, notamment depuis l'audition de la CNIL, de l'impérative nécessité de renforcer les moyens de l'institution, qui, pionnière de la protection des libertés à la fin des années 1970, fut copiée jusqu'à l'établissement d'instances de contrôle et de régulation similaires dans les différents pays européens. Hélas, alors que ses consoeurs ont vu croître leurs effectifs, notamment dans la perspective de l'application prochaine du règlement général sur la protection des données (RGPD), il n'en fut rien pour la CNIL, pourtant confrontée également à l'élargissant de ses compétences.
Dans le cadre de ses travaux, la commission des affaires européennes a défini plus limitativement le champ de la proposition de résolution de Catherine Morin-Desailly, afin de prendre en considération les modifications du cadre réglementaire introduites par le RGDP et, prochainement, par le règlement européen en matière de cybersécurité présenté en septembre dernier. Il conviendra également de porter attention aux conclusions de plusieurs rapports à venir, notamment celui relatif au bilan de la mise en oeuvre de l'accord dit Privacy schield attendu en septembre.
Je suis enfin convaincu de la nécessité, pour l'Europe, de s'investir dans la définition des procédures de normalisation et de participer, à cet effet, aux travaux des instances concernées. Certes, l'Europe doit légiférer, mais sans perdre de vue l'intérêt de la soft law, via la participation d'acteurs européens au sein des organismes de normalisation. Chaque État y disposant d'une voix, l'Europe gagnerait, en outre, à y siéger unie, afin de promouvoir ses valeurs et protéger ses intérêts.
Je partage l'analyse de notre rapporteur : les objets connectés représentent, pour l'Europe, un enjeu économique considérable estimé, dans un récent rapport de l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), à plusieurs centaines de milliards d'euros à l'horizon 2027. L'Europe, qui a déjà perdu la guerre de l'ordinateur personnel, du téléphone et du moteur de recherche, doit gagner celle des objets connectés ! Le développement d'une politique industrielle de l'Internet des objets connectés nécessite la confiance des consommateurs en ces technologies. Or, si en 2016, 33 % des personnes interrogées se disaient inquiètes de la récupération de leurs données personnelles, ce chiffre s'établissait, en 2017, à 42 %. Peut-être la mise en oeuvre du RGPD à compter du 25 mai offrira-t-elle aux utilisateurs les garanties nécessaires à la restauration de la confiance ? À cet effet, je suis favorable à la création d'un dispositif de certification des objets connectés afin de protéger les consommateurs. Il est fort dommage que les pratiques sécurisées de conception de ces biens ne soient pas encore généralisées et fassent, dès lors, courir un risque majeur à leurs utilisateurs. J'attire par ailleurs votre attention sur le fait que la saturation du spectre hertzien nécessitera prochainement une nouvelle réglementation. En outre, si l'Internet des objets connectés et des données peut contribuer à la ré-industrialisation de la France, ce n'est qu'à la condition de former et de conserver les talents nécessaires à cette industrie. Je vous alerte enfin, mes chers collègues, sur le risque de fracture numérique, qui pèse sur notre pays.
Les objets connectés n'appartiennent pas au futur : ils sont d'ores et déjà présents dans notre vie quotidienne. Compte tenu de notre savoir-faire, le retard européen en la matière est peu compréhensible et j'approuve, monsieur le rapporteur, votre amendement. Pour autant, il convient également, pour alimenter la politique industrielle européenne, de soutenir les initiatives françaises. À l'instar de ma collègue Dominique Estrosi Sassone, je puis vous assurer que nos territoires - je pense notamment à Sophia Antipolis - sont précurseurs dans le domaine de la recherche numérique. Avec l'industrie des objets connectés, le législateur se trouve confronté à une injonction contradictoire : s'il anticipe par trop les usages, il risque, par une réglementation trop contraignante, d'en freiner l'expansion, mais il se doit parallèlement de protéger les libertés individuelles des citoyens et les intérêts économiques des entreprises. Une protection trop faible des objets connectés en raison d'une réglementation a minima ouvrirait ainsi aisément la voie au piratage des données. Il m'apparait à cet égard sage d'adapter progressivement la réglementation aux usages et aux besoins. À cet effet, notre commission des affaires économiques pourrait utilement instituer un groupe de travail en son sein pour observer ces évolutions et proposer, le cas échéant, des modifications législatives.
Je comprends parfaitement l'objet de votre amendement mais je m'inquiète, pour autant, des risques engendrés par l'usage d'objets connectés en matière de cybersécurité. Les informations utilisées sont stockées dans des serveurs dont on ne connaît pas le niveau de sécurité. À titre d'illustration, des anomalies en matière d'utilisation des données personnelles ont pu être constatées dans le secteur de la santé et du bien-être. Ne conviendrait-il pas d'émettre, dans la proposition de résolution, une réserve relative à l'utilisation des données personnelles des particuliers et des entreprises ?
Merci, monsieur le rapporteur, pour la qualité de votre présentation. Une expérience vécue récemment dans une start-up m'a fait comprendre combien le secteur numérique était difficile à appréhender car extrêmement mouvant. Imaginez que les données numériques produites sur l'ensemble de l'année 2003 sont équivalentes à celles enregistrées sur une seule journée en 2017 ! Dès lors, légiférer en la matière oblige le législateur à une écoute attentive et à une grande ouverture. Les entreprises sont freinées dans leur développement par l'incertitude liée à la mise en oeuvre prochaine du RGPD. Le législateur se trouve face à un triple enjeu de protection des données personnelles, de développement économique et de positionnement de la France sur le marché international du numérique. Je suis, en conséquence, favorable à l'amendement de notre rapporteur et convaincue de la nécessité de participer activement aux instances internationales en charge de la définition des normes dans le domaine du numérique, afin de protéger nos intérêts.
Je remercie à mon tour notre rapporteur et celui de la commission des affaires européennes. Sur le numérique comme sur d'autres dossiers, l'Europe accumule les retards face aux États-Unis et à la Chine ; je suis donc favorable à votre amendement. En revanche, à l'heure où les investissements s'avèrent indispensables dans les secteurs de la formation, de l'éducation, de la défense ou de l'énergie, je ne comprends guère que l'on prône la croissance des moyens de la CNIL. Redéployons plutôt les effectifs entre autorités administratives indépendantes, qui coûtent déjà fort cher à la République !
Au-delà de l'enjeu économique, l'industrie des objets connectés est confrontée à une crise de confiance, alors que ne cesse de se développer leur usage. De fait, les systèmes d'information qu'ils contiennent, de plus en plus performants, analysent les données personnelles à des fins économiques, voire politiques. Il convient d'éviter que la remise en cause de ces pratiques ne freine le développement de cette industrie. Le cadre européen me semble, à cet égard, le plus pertinent à condition qu'y soit harmonisées les normes. Je me joins également à l'appel de notre collègue André Gattolin en faveur d'un renforcement substantiel des moyens de la CNIL. Soyons cependant conscients que la présente proposition de résolution européenne ne représente qu'une étape. Le monde du numérique change si vite qu'elle sera peut-être obsolète dans quelques heures !
L'Europe, déjà très en retard, doit évidemment mener une politique industrielle du numérique. Malheureusement, lorsque nous nous sommes rendus auprès de la commission européenne, voici quelques semaines, avec Alain Chatillon et Fabien Gay, dans le cadre de la mission commune d'information sur Alstom, nous avons pu constater combien était inexistante la politique industrielle de l'Europe. Dans les années 2000, sous l'influence anglo-saxonne, s'est installé à Bruxelles le dogme de la concurrence, qui empêche désormais l'établissement de champions européens. Lorsque le fleuron allemand Kuka a été racheté par la Chine, l'Allemagne, contrainte par le droit européen de la concurrence, fut impuissante à éviter cette perte ! Elle a, depuis, adopté une sorte de « décret Montebourg » pour mieux protéger son industrie. Souvenez-vous également du démantèlement de la Compagnie générale d'électricité (CGE), dont la branche énergie fut cédée à General Electric et le volet ferroviaire à Siemens. L'Europe n'en a pas encore tiré les leçons : lors de notre entretien, le chef de cabinet du responsable de la politique industrielle de la commission européenne ne nous a entretenus que des bienfaits de la concurrence...
Je joins mes remerciements à ceux de mes collègues et partage la position de notre rapporteur s'agissant de l'amendement qu'il propose. Une remarque cependant : nous n'avons pas, il me semble, suffisamment mesuré les conséquences du Brexit, qui bouleverse les équilibres économiques en présence, sur la politique industrielle de l'Europe. Il est, en conséquence, fort utile que le présent rapport réaffirme les ambitions françaises en la matière et rappelle la nécessité de protéger l'industrie de certains méfaits de la concurrence.
Les objets connectés ne cessent d'épier nos faits et gestes, comme, par exemple, le nombre de pas parcourus quotidiennement. Nos données personnelles, stockées dans des serveurs, pourraient-elles un jour être récupérées par une assurance ou une mutuelle pour juger, notamment, de la qualité de notre mode de vie ? Il ressort pourtant de la liberté personnelle d'être ou non marcheur !
Votre question rejoint celle de la confiance en la technologie des utilisateurs d'objets connectés. La liberté, inscrite au fronton de la République, ne doit pas être entachée par des manipulations économiques ou politiques ! L'obligation de stockage des données sur le territoire européen, autre sujet majeur, pose parallèlement la question de savoir qui est responsable du stockage, et notamment qui sont les actionnaires de l'entité assurant le stockage. J'essaie, pour ma part, d'installer dans mon département ce qui, à ma connaissance, sera le premier data center intégralement français. Il s'agit d'un enjeu de souveraineté !
Messieurs Daunis et Duran, vous avez raison : il convient d'agir rapidement tant l'Europe a déjà pris du retard dans le domaine du numérique et afin de s'adapter au rythme de l'économie numérique. S'agissant de la France, je rappellerai que, depuis 2013, dans le cadre de la Nouvelle France Industrielle, les objets connectés ont été identifiés comme l'une priorité. Madame Gréaume, un projet de règlement européen traite des enjeux de cybersécurité et vient de faire l'objet d'une autre proposition de résolution européenne. J'entends les craintes de M. Duplomb, mais les inégalités d'accès aux assurances et aux mutuelles ont précédé l'utilisation d'objets connectés... Il est important de communiquer sur les enjeux liés à ces technologies. À titre personnel, en travaillant sur ce thème à l'occasion du présent rapport, j'ai compris combien notre quotidien - pensez, par exemple, à l'équipement domotique d'une maison géré par un smartphone - était imprégné pas les objets connectés et, partant, concerné par les risques de piratage.
Il est exact, monsieur Bourquin, que l'Europe s'est privée d'une véritable politique industrielle, tout en se dotant d'un arsenal en droit de la concurrence plus restrictif que celui de l'organisation mondiale du commerce (OMC). Prenez l'interdiction des crédits d'impôts sectoriels : quelle erreur alors que l'industrie du numérique nécessite des investissements ! En 2013, j'ai commis avec Bruno Retailleau un rapport commun aux commissions de la culture et des affaires économiques sur l'industrie du jeu vidéo. Depuis plusieurs années, nos principaux concurrents étrangers, Canada en tête, ont créé des crédits d'impôts sectoriels en faveur des studios. La France a pu offrir, en se fondant sur l'argument de l'exception culturelle, des conditions également favorables, sauvant ainsi 2 000 à 3 000 emplois sur le territoire national. Le plan Juncker, bien qu'utile, concernera majoritairement le financement de grands projets d'infrastructures. S'agissant du numérique, il conviendrait donc de laisser aux États membres la possibilité de soutenir les entreprises.
Il faut revoir la loi antitrust pour faire émerger des champions européens !
La commission des affaires européennes a abondamment travaillé sur le droit de la concurrence, dont elle a conscience des limites. Il serait utile de prendre, avec d'autres pays - je pense particulièrement à l'Allemagne - des initiatives visant à son assouplissement. Quant aux agences de régulation, monsieur Navarro, je partage l'analyse du rapport de notre ancien collègue Jacques Mézard...
Il y a trop d'autorités administratives indépendantes en France, ce qui ne signifie pas que toutes soient inutiles. Je m'étonne cependant que le conseil supérieur de l'audiovisuel, avec 400 salariés, dispose d'un effectif deux fois supérieur à celui de la CNIL. Certes, la régulation de l'audiovisuel représente un enjeu important, mais les effectifs des deux instances devraient à tout le moins être équivalents.
Il ne faut pas confondre la gestion des données personnelles, que le RGPD rendra plus rigoureuse, et le risque de piratage. Il serait effectivement utile, sur ce second sujet, de former les informaticiens et les programmeurs à la cybersécurité. Certains créent, en effet, imprudemment des « backdoors », ou portes dérobées, dans les programmes destinés aux objets connectés, qui facilitent leur piratage. Le règlement européen relatif à la cybersécurité est particulièrement attendu compte tenu des enjeux.
S'agissant enfin, madame la présidente, du stockage des données sur le territoire européen : la piste suggérée par la proposition de résolution pourrait participer à l'essor d'acteurs européens du stockage de premier plan, mais cela ne remplacera pas l'investissement des entreprises et des États.
Je suis en désaccord avec les propos de certains de nos collègues mettant en cause, sans nuance, le retard français ou européen en matière numérique. Notre recherche se place parmi les meilleures du monde ! Renault a ainsi installé son software lab à Toulouse et à Sophia Antipolis, qualifiée par l'entreprise de lieu de création unique au monde. N'ayons donc pas de sentiment d'infériorité face aux États-Unis ou à la Chine ! En revanche, nous devons améliorer le passage, encore trop fragile, de la recherche à la production.
L'amendement COM-1 de notre rapporteur invite l'Europe à se doter d'une stratégie industrielle commune.
L'amendement COM-1 est adopté.
La proposition de résolution européenne est adoptée à l'unanimité dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Vous vous souvenez qu'avec la commission des affaires européennes, jeudi 12 avril dernier, nous avons examiné la proposition de résolution de notre groupe de travail commun sur la politique agricole commune ; le débat a été très approfondi. Nous avons adopté le texte à l'unanimité, mais, formellement, notre Règlement prévoit que seule la commission des affaires européennes a adopté le texte. Parmi les quatre rapporteurs du groupe de travail, deux sont membres de notre commission : Franck Montaugé et Daniel Gremillet. Je vous propose de les confirmer comme rapporteurs... et de confirmer notre vote du 12 avril sans refaire le débat.
Il en est ainsi décidé. La proposition de résolution est adoptée.
Cette formalité était rendue nécessaire, parce qu'avec Jean Bizet nous demandons un débat en séance publique sur cette proposition de résolution, car nous voulons absolument entendre le Gouvernement. Ce débat devrait avoir lieu le mercredi 6 juin après-midi. Le délai limite de dépôt des amendements sera fixé au lundi 4 juin à douze heures.
La réunion est close à 12 h 15.