En présentant le projet de loi de programmation militaire (LPM) devant notre commission, la ministre le qualifiait de « loi de réparation et de préparation de l'avenir ». En employant le terme de réparation, la ministre établissait un bilan négatif des dernières années. Sans nous attarder sur le bilan de la dernière LPM, nous pouvons pointer que nos forces furent engagées au-delà de ce qui était initialement prévu avec des moyens revus encore à la baisse par rapport à la période précédente. Dès le départ, la LPM était déconnectée de la réalité opérationnelle et budgétaire. Deux chiffres suffisent à illustrer ce décalage, la provision de 450 millions d'euros pour les opérations extérieures (OPEX) alors que les dépenses s'élèvent à un montant compris entre 1,2 milliard d'euros et 1,4 milliard d'euros, et les fameuses recettes exceptionnelles, qu'il a fallu remplacer en grande partie par des recettes budgétaires. En a résulté une dégradation de notre capacité potentielle : difficulté à tenir le programme de renouvellement de nos matériels, usure prématurée et rapide des matériels existants avec une difficulté d'assumer le maintien en condition opérationnelle (MCO). Les infrastructures du quotidien, dégradées, ont été sacrifiées pour assurer l'accueil des nouveaux matériels avec les conséquences que l'on sait sur l'état du patrimoine immobilier du ministère. Enfin, il est difficile d'assumer la préparation de nos soldats qui, sur-mobilisés sur les différents théâtres extérieurs, n'ont pas toujours pu assumer la formation des plus jeunes.
En quoi cette nouvelle LPM répare-t-elle le passé et prépare-t-elle l'avenir ? La trajectoire financière est incertaine au-delà de 2023. Les crédits de la mission « Défense » progressent de 9,8 milliards d'euros, passant de 34,2 à 44 milliards d'euros entre 2018 et 2023. Cependant, l'effort important est renvoyé en 2023, lors d'un nouveau quinquennat et d'une nouvelle législature : la hausse des crédits devrait doubler après 2023, passant de + 1,7 milliard d'euros par an à + 3 milliards d'euros par an, mais les annuités 2024 et 2025 ne sont pas couvertes par le projet de loi. Au total, seuls 67 % des besoins identifiés, estimés à 295 milliards d'euros, sont couverts de manière ferme.
Par ailleurs, cette trajectoire demeure soumise à d'importants aléas. Les contrats opérationnels ne font pas l'objet de modifications substantielles par rapport à la précédente LPM. Nous avons engagé nos forces armées au-delà de ce qui était prévu sans en tirer les conséquences. Comme l'a rappelé le chef d'état-major des armées, le général Lecointre, nos forces n'ont pas vocation à être engagées dans la durée, au niveau maximum, 24 heures sur 24. C'est comme pour un véhicule : si vous utilisez votre voiture au maximum de ses capacités, son usure s'accélère et les délais entre les révisions doivent être réduits. Les contrats opérationnels sont inchangés, alors qu'il n'y a pas une moindre menace d'agressions extérieures.
Deuxième aléa, la trajectoire est construite en euros courants, renvoyant à une actualisation en 2021. Enfin, l'équilibre de la trajectoire repose sur des hypothèses d'exportations concernant notamment le Rafale et l'avion de transport A400M.
Il convient cependant de noter que la sincérité budgétaire de cette trajectoire s'est significativement améliorée par rapport à la précédente LPM. La provision pour les OPEX passera ainsi de 650 millions d'euros en 2018 à 850 millions en 2019 puis 1,1 milliard d'euros en 2020.
À la différence de la précédente LPM, il n'y a plus de recettes exceptionnelles : la prévision est construite sur des crédits budgétaires uniquement - du moins nous le vérifierons au fil des budgets suivants. Enfin, les activités de soutien à l'exportation (Soutex) sont prises en compte.
Le présent projet de loi de programmation militaire répond en outre globalement aux besoins des armées. Les effectifs augmenteront de 6 000 postes, mais l'essentiel des créations sont renvoyées au quinquennat suivant. Par ailleurs, lancé par la ministre, le plan Famille, qui améliore les conditions du personnel, constitue un réel effort.
Les crédits d'équipement s'élèveront à 112,5 milliards d'euros sur la période 2019-2023, soit une moyenne annuelle de 22,5 milliards d'euros, contre 18,3 milliards d'euros en 2018 - soulignons également cet effort. Ils permettront la livraison anticipée de certains équipements, à l'instar du programme Scorpion pour l'armée de terre, ainsi que l'augmentation des cibles prévues dans la précédente programmation, de l'avion de ravitaillement MRTT et de patrouilleurs notamment.
Par ailleurs, une part importante de ces crédits, 22 %, sera consacrée au renouvellement et à la modernisation de la dissuasion nucléaire, et 33 % aux programmes à effet majeur. Quelque 22 milliards d'euros seront consacrés à l'entretien programmé des matériels, soit un montant annuel moyen s'élevant à 4,4 milliards d'euros - un milliard d'euros de plus que dans la précédente LPM. Ces crédits financeront la régénération des matériels, durement éprouvés ces dernières années.
Les crédits consacrés aux infrastructures s'élèveront quant à eux à 7,3 milliards d'euros. Compte tenu de l'importance des besoins, cet effort ne permettra que de stopper globalement la dégradation du parc et non d'en améliorer l'état.
S'agissant de l'innovation, les crédits en faveur des études amont seront portés à un milliard d'euros par an à compter de 2022, contre 730 millions d'euros dans le cadre de la précédente LPM. Ils seront complétés par une enveloppe de 1,8 milliard d'euros par an consacrés à la conception des programmes d'armement majeurs, successeurs du porte-avions Charles de Gaulle, du char Leclerc et le système de combat aérien futur.
Au total, je retiens de ce projet de loi une plus grande sincérité, l'augmentation relativement significative des crédits, même si je regrette que la marche la plus importante ne soit franchie qu'en 2023. Nous devrons veiller à la bonne application de cette LPM et lors de la clause de revoyure de 2021, il conviendra de préciser la trajectoire budgétaire jusqu'en 2025.
Cette loi répare le passé dans la mesure où nous ne mobiliserons pas le maximum de nos moyens et prépare l'avenir, sous réserve de la concrétisation des engagements au-delà de 2022... Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à son adoption, sous réserve de l'adoption des amendements que je vous présenterai.