Intervention de Jacques Toubon

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 16 mai 2018 à 8h35
Audition de M. Jacques Toubon défenseur des droits sur son rapport annuel d'activité pour 2017

Jacques Toubon, Défenseur des droits :

Merci de m'accueillir une nouvelle fois pour vous présenter mon rapport annuel d'activité, comme le prévoit la loi organique du 29 mars 2011. Comme elle l'indique aussi, je présente également chaque année en novembre un rapport sur les droits de l'enfant : celui pour 2018 portera sur la petite enfance, à savoir les enfants de zéro à sept ans. C'est la première fois que nous nous pencherons sur les droits des plus petits.

Dans deux mois, je serai installé dans ces fonctions depuis quatre ans. Mon mandat de six ans non renouvelable prendra fin en juillet 2020.

J'en viens à la place et au rôle du Défenseur des droits. J'ai intitulé mon éditorial : « Ne jamais détourner le regard ». Le Défenseur des droits est une institution républicaine dont la principale vocation est de casser l'indifférence alors que notre société est extrêmement complexe et conflictuelle et que bon nombre de personnes restent sur le bord du chemin.

Le Défenseur des droits est une institution parfaitement ouverte, neutre et gratuite qui répond à toutes les questions qui lui sont posées dans le cadre de ses cinq compétences. Il est là pour écouter, prêter attention, apporter considération, comme aurait dit la philosophe Simone Weil. L'effectivité des droits est source d'égalité et de solidarité.

En 2017, nous avons traité 140 000 saisines dont un tiers était des demandes d'informations, que nous avons renvoyées aux services compétents, et deux tiers - soit 93 000 dossiers - des réclamations. Nous en avons traité 88 500 et 77 % d'entre elles l'ont été par nos 498 délégués territoriaux qui tiennent 836 points d'accueil, y compris les permanences dans les lieux de détention, et 23 % par le siège. 78 % des dossiers se sont réglés à l'amiable.

Au cours de l'année 2017, nous avons présenté 137 observations devant diverses juridictions, des tribunaux de la sécurité sociaux à la Cour européenne des droits de l'homme.

Nous comptons 250 personnes au siège, dont 78 % de femmes qui sont bien réparties dans toutes les catégories de la fonction publique, notamment aux plus hauts échelons.

Notre budget se monte à 22,5 millions d'euros, soit 7 millions de moins qu'en 2016, mais cela est dû au fait que nous avons rejoint les bâtiments Ségur-Fontenoy - d'où des loyers très coûteux en moins - et que nous avons mutualisé certaines tâches avec les services du Premier ministre.

Néanmoins, la situation financière de l'institution est préoccupante : chaque année, l'activité augmente de 8 % et des missions nouvelles lui sont confiées, comme l'orientation et la protection des lanceurs d'alerte, la mise en oeuvre de la médiation préalable obligatoire pour certains contentieux administratifs en matière sociale : RSA et APL. En outre, le président de l'Assemblée nationale nous a demandé un rapport spécifique sur le maintien de l'ordre au regard des règles de déontologie, en raison de notre compétence « déontologie de la sécurité ». A contrario, comme toutes les autorités administratives indépendantes, nous sommes soumis à un plafond d'emplois et de dépenses. En trois ans, j'ai perdu 13 emplois, d'où de réelles difficultés de fonctionnement. Je chercherai donc à obtenir des moyens supplémentaires en 2019 afin que le Défenseur des droits continue à exercer les missions qui sont les siennes.

La justice joue un rôle de baromètre social et elle est amenée à régler certaines questions qui ne l'ont pas été par les politiques publiques. Quant à lui, le Défenseur des droits porte un regard unique sur notre société : nos recommandations sont l'illustration des difficultés que connaissent les personnes qui vivent dans notre pays, notamment les plus démunies. Nos études objectivent certaines situations. Dès 2014, nous avions publié un rapport sur le harcèlement sexuel où nous démontrions que seul un cinquième des personnes harcelées avaient réagi et que seul 5 % portaient plainte. Au printemps 2016, nous avons conduit une grande étude sur l'accès aux droits ce qui a permis de comprendre comment nos concitoyens percevaient l'action des pouvoirs publics tant en matière d'accès au logement que de rapport avec les forces de police et de gendarmerie. J'ai ainsi proposé de créer un grand Observatoire national des discriminations et Jean-Louis Borloo a repris cette idée dans son récent rapport.

Le Défenseur des droits peut ainsi identifier les maux collectifs dont souffre notre société : nous mesurons un certain repli identitaire, des rapports de domination, un sentiment d'inutilité - ce que j'ai appelé « l'aquoibonisme » - et l'impression de ne pas appartenir à la République. Ces maux doivent être jugulés, ce que nous essayons de faire. Nous déplorons le retrait et l'éloignement des services publics ; c'est d'ailleurs le thème majeur de notre rapport pour 2017. Ainsi en est-il de la fermeture des services publics mais aussi du retrait des personnes humaines remplacées par des formulaires en ligne. Les activités d'accueil, d'orientation et de renseignement sont de moins en moins bien assurées, y compris dans les services sociaux où les usagers sont souvent les plus démunis et où la complexité des règlementations est de plus en plus grande. Le Défenseur des droits permet de cheminer dans le labyrinthe que sont devenus certains services.

Les politiques de simplification parviennent souvent à des résultats inverses aux buts recherchés : ainsi en est-il des démarches purement déclaratives pour les allocations familiales : au titre de la lutte contre la fraude, les services viennent, des années plus tard, demander des comptes aux assurés sociaux. De même, le système de la décision tacite a subi de telles dérogations que plus personne ne sait ce qui ressort ou non du tacite. Enfin, la dématérialisation est en train de prendre la place des agents des services publics mais cela pose le problème de l'accès aux droits pour tous car 20 % de la population a des difficultés avec l'informatique. Le sondage qui a été réalisé pour la préparation du plan Cap 22 auprès de 17 000 fonctionnaires a mis en lumière le problème de la dématérialisation. Je vous renvoie aussi au plan préfecture nouvelle génération avec les cartes grises et les permis de conduire en ligne : en octobre, le Défenseur des droits s'était inquiété, à juste titre, de la bascule intégrale prévue le 6 novembre.

Nous devons accompagner systématiquement la dématérialisation par la mise à disposition d'agents afin d'aider ceux qui rencontrent des difficultés. Le lien humain entre le service public et l'usager doit être préservé. Le service public à la française est celui qui permet d'accéder aux droits, ce qui n'est pas le cas dans nombre de pays. Mais si le périmètre de notre service public se réduit, il en va de même pour l'accès aux droits, notamment pour les plus démunis.

Pour ce qui est des discriminations, nous avons obtenu d'excellents résultats pour les employés étrangers de la SNCF : la cour d'appel a condamné la société nationale à verser 185 millions d'euros à ces personnes qui ont été discriminées depuis les années 1980. Nous avons également travaillé sur les discriminations subies par les employés des hôpitaux, sur celles à l'encontre des femmes, surtout lorsqu'elles reviennent de congés maternité. Nous venons enfin de publier une étude à la demande des jeunes avocats sur les discriminations dans cette profession.

Pour nous, les droits fondamentaux sont un absolu. Notre mission n'est pas de prendre en compte le principe de réalité. C'est pourquoi sur les questions de liberté ou de droit des étrangers, nous prenons des positions parfois à contre-courant des politiques voulues par le Gouvernement, le Parlement ou les administrations. Demain matin, je viendrai présenter au Sénat notre avis sur le projet de loi « asile et immigration ».

Les 250 personnes qui travaillent au siège sont des experts juristes de grande qualité et leurs avis sont souvent écoutés. Ainsi, en plein débat sur la présomption irréfragable de culpabilité en matière de violences sexuelles, je suis venu en novembre devant la mission sénatoriale rappeler les droits de la défense.

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