La réunion

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Debut de section - Permalien
Jacques Toubon, Défenseur des droits

Merci de m'accueillir une nouvelle fois pour vous présenter mon rapport annuel d'activité, comme le prévoit la loi organique du 29 mars 2011. Comme elle l'indique aussi, je présente également chaque année en novembre un rapport sur les droits de l'enfant : celui pour 2018 portera sur la petite enfance, à savoir les enfants de zéro à sept ans. C'est la première fois que nous nous pencherons sur les droits des plus petits.

Dans deux mois, je serai installé dans ces fonctions depuis quatre ans. Mon mandat de six ans non renouvelable prendra fin en juillet 2020.

J'en viens à la place et au rôle du Défenseur des droits. J'ai intitulé mon éditorial : « Ne jamais détourner le regard ». Le Défenseur des droits est une institution républicaine dont la principale vocation est de casser l'indifférence alors que notre société est extrêmement complexe et conflictuelle et que bon nombre de personnes restent sur le bord du chemin.

Le Défenseur des droits est une institution parfaitement ouverte, neutre et gratuite qui répond à toutes les questions qui lui sont posées dans le cadre de ses cinq compétences. Il est là pour écouter, prêter attention, apporter considération, comme aurait dit la philosophe Simone Weil. L'effectivité des droits est source d'égalité et de solidarité.

En 2017, nous avons traité 140 000 saisines dont un tiers était des demandes d'informations, que nous avons renvoyées aux services compétents, et deux tiers - soit 93 000 dossiers - des réclamations. Nous en avons traité 88 500 et 77 % d'entre elles l'ont été par nos 498 délégués territoriaux qui tiennent 836 points d'accueil, y compris les permanences dans les lieux de détention, et 23 % par le siège. 78 % des dossiers se sont réglés à l'amiable.

Au cours de l'année 2017, nous avons présenté 137 observations devant diverses juridictions, des tribunaux de la sécurité sociaux à la Cour européenne des droits de l'homme.

Nous comptons 250 personnes au siège, dont 78 % de femmes qui sont bien réparties dans toutes les catégories de la fonction publique, notamment aux plus hauts échelons.

Notre budget se monte à 22,5 millions d'euros, soit 7 millions de moins qu'en 2016, mais cela est dû au fait que nous avons rejoint les bâtiments Ségur-Fontenoy - d'où des loyers très coûteux en moins - et que nous avons mutualisé certaines tâches avec les services du Premier ministre.

Néanmoins, la situation financière de l'institution est préoccupante : chaque année, l'activité augmente de 8 % et des missions nouvelles lui sont confiées, comme l'orientation et la protection des lanceurs d'alerte, la mise en oeuvre de la médiation préalable obligatoire pour certains contentieux administratifs en matière sociale : RSA et APL. En outre, le président de l'Assemblée nationale nous a demandé un rapport spécifique sur le maintien de l'ordre au regard des règles de déontologie, en raison de notre compétence « déontologie de la sécurité ». A contrario, comme toutes les autorités administratives indépendantes, nous sommes soumis à un plafond d'emplois et de dépenses. En trois ans, j'ai perdu 13 emplois, d'où de réelles difficultés de fonctionnement. Je chercherai donc à obtenir des moyens supplémentaires en 2019 afin que le Défenseur des droits continue à exercer les missions qui sont les siennes.

La justice joue un rôle de baromètre social et elle est amenée à régler certaines questions qui ne l'ont pas été par les politiques publiques. Quant à lui, le Défenseur des droits porte un regard unique sur notre société : nos recommandations sont l'illustration des difficultés que connaissent les personnes qui vivent dans notre pays, notamment les plus démunies. Nos études objectivent certaines situations. Dès 2014, nous avions publié un rapport sur le harcèlement sexuel où nous démontrions que seul un cinquième des personnes harcelées avaient réagi et que seul 5 % portaient plainte. Au printemps 2016, nous avons conduit une grande étude sur l'accès aux droits ce qui a permis de comprendre comment nos concitoyens percevaient l'action des pouvoirs publics tant en matière d'accès au logement que de rapport avec les forces de police et de gendarmerie. J'ai ainsi proposé de créer un grand Observatoire national des discriminations et Jean-Louis Borloo a repris cette idée dans son récent rapport.

Le Défenseur des droits peut ainsi identifier les maux collectifs dont souffre notre société : nous mesurons un certain repli identitaire, des rapports de domination, un sentiment d'inutilité - ce que j'ai appelé « l'aquoibonisme » - et l'impression de ne pas appartenir à la République. Ces maux doivent être jugulés, ce que nous essayons de faire. Nous déplorons le retrait et l'éloignement des services publics ; c'est d'ailleurs le thème majeur de notre rapport pour 2017. Ainsi en est-il de la fermeture des services publics mais aussi du retrait des personnes humaines remplacées par des formulaires en ligne. Les activités d'accueil, d'orientation et de renseignement sont de moins en moins bien assurées, y compris dans les services sociaux où les usagers sont souvent les plus démunis et où la complexité des règlementations est de plus en plus grande. Le Défenseur des droits permet de cheminer dans le labyrinthe que sont devenus certains services.

Les politiques de simplification parviennent souvent à des résultats inverses aux buts recherchés : ainsi en est-il des démarches purement déclaratives pour les allocations familiales : au titre de la lutte contre la fraude, les services viennent, des années plus tard, demander des comptes aux assurés sociaux. De même, le système de la décision tacite a subi de telles dérogations que plus personne ne sait ce qui ressort ou non du tacite. Enfin, la dématérialisation est en train de prendre la place des agents des services publics mais cela pose le problème de l'accès aux droits pour tous car 20 % de la population a des difficultés avec l'informatique. Le sondage qui a été réalisé pour la préparation du plan Cap 22 auprès de 17 000 fonctionnaires a mis en lumière le problème de la dématérialisation. Je vous renvoie aussi au plan préfecture nouvelle génération avec les cartes grises et les permis de conduire en ligne : en octobre, le Défenseur des droits s'était inquiété, à juste titre, de la bascule intégrale prévue le 6 novembre.

Nous devons accompagner systématiquement la dématérialisation par la mise à disposition d'agents afin d'aider ceux qui rencontrent des difficultés. Le lien humain entre le service public et l'usager doit être préservé. Le service public à la française est celui qui permet d'accéder aux droits, ce qui n'est pas le cas dans nombre de pays. Mais si le périmètre de notre service public se réduit, il en va de même pour l'accès aux droits, notamment pour les plus démunis.

Pour ce qui est des discriminations, nous avons obtenu d'excellents résultats pour les employés étrangers de la SNCF : la cour d'appel a condamné la société nationale à verser 185 millions d'euros à ces personnes qui ont été discriminées depuis les années 1980. Nous avons également travaillé sur les discriminations subies par les employés des hôpitaux, sur celles à l'encontre des femmes, surtout lorsqu'elles reviennent de congés maternité. Nous venons enfin de publier une étude à la demande des jeunes avocats sur les discriminations dans cette profession.

Pour nous, les droits fondamentaux sont un absolu. Notre mission n'est pas de prendre en compte le principe de réalité. C'est pourquoi sur les questions de liberté ou de droit des étrangers, nous prenons des positions parfois à contre-courant des politiques voulues par le Gouvernement, le Parlement ou les administrations. Demain matin, je viendrai présenter au Sénat notre avis sur le projet de loi « asile et immigration ».

Les 250 personnes qui travaillent au siège sont des experts juristes de grande qualité et leurs avis sont souvent écoutés. Ainsi, en plein débat sur la présomption irréfragable de culpabilité en matière de violences sexuelles, je suis venu en novembre devant la mission sénatoriale rappeler les droits de la défense.

Debut de section - Permalien
Jacques Toubon, Défenseur des droits

Tout à fait.

En décembre dernier, nous avons publié le guide de l'aménagement raisonnable pour les personnes handicapées : ce document est irréfutable et aucun chef d'entreprise ou aucune collectivité ne peut prétendre qu'il ou qu'elle ne sait pas quelles sont ses obligations. En l'espèce, la fonction publique n'est pas toujours exemplaire.

Le Défenseur des droits est la marque de l'expertise, de la liberté, de l'indépendance. Nous voulons défendre et promouvoir les droits et libertés fondamentales de manière inconditionnelle et universelle. Ces droits sont un trésor que chaque homme et chaque femme possède et que nul ne doit impunément bafouer.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Merci pour votre présentation. Vous traitez une masse d'affaires impressionnante et vous rendez des services incontestables à nos concitoyens. Grâce à vos collèges, ils disposent d'une capacité d'action appréciable.

Debut de section - Permalien
Jacques Toubon, Défenseur des droits

Nous avons trois collèges composés de personnalités qualifiées et la loi organique prévoit que le Défenseur des droits nomme auprès de lui quatre adjoints : j'ai ainsi auprès de moi Mme Geneviève Avenar, déléguée générale aux services publics, mais aussi Défenseure des enfants. Elle est cette année présidente de l'association européenne des défenseurs des enfants, au niveau du Conseil de l'Europe. M. Patrick Gohet est en charge de la lutte contre les discriminations. Mme Claudine Angeli-Troccaz est en charge de la déontologie et de la sécurité et elle va présider le collège consultatif dont j'ai parlé.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Vous nous avez dit que 78 % des litiges que vous traitez sont réglés à l'amiable. C'est un beau résultat.

Pour ce qui concerne les libertés, vous avez une position de vigie...

Debut de section - Permalien
Jacques Toubon, Défenseur des droits

Et parfois de tocsin !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Le Sénat, qui ne cesse de défendre la nécessité des contre-pouvoirs, a des divergences d'appréciation et se demande si le Défenseur des droits n'empiète pas parfois sur le rôle du législateur.

Debut de section - Permalien
Jacques Toubon, Défenseur des droits

Nos convergences sont plus importantes que nos divergences.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Cette alliance doit être fortifiée, ce qui n'empêche pas que nous puissions avoir des approches légèrement différentes, notamment à l'occasion de l'examen du projet de loi « asile et immigration ».

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Merci pour votre rapport où j'ai découvert votre programme des jeunes ambassadeurs.

Debut de section - Permalien
Jacques Toubon, Défenseur des droits

Il y a aussi le programme Educadroit en direction des jeunes.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

Comment mieux faire connaître ces programmes ?

Pour le droit des étrangers, vous évoquez les difficultés rencontrées par les demandeurs d'asile, notamment syriens, pour obtenir des visas. La Cour européenne des droits de l'homme est d'ailleurs saisie de cette question. Vous vous êtes exprimé sur le placement des enfants en rétention. Que pourriez-vous nous dire du texte « asile et immigration » dont nous allons être saisis dans les prochains jours ?

Du fait de l'état d'urgence, vous vous êtes inquiété de la logique de suspicion et vous avez été saisi d'une centaine de réclamations. Quel en est le bilan ?

Grâce à notre commission, le Parlement contrôle certaines dispositions de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme : quelle est votre analyse des premiers mois d'application de ce texte ?

Enfin, je n'ai pas trouvé beaucoup d'éléments sur les contrôles d'identité par les forces de police.

Debut de section - Permalien
Jacques Toubon, Défenseur des droits

Nul n'est capable de dire combien de contrôles d'identité sont effectués dans notre pays !

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

D'où la question de l'attestation de contrôle d'identité et des caméras-piétons. D'où des questions sur les discriminations lors des contrôles d'identité.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Marc

Votre institution est peu connue dans les territoires. Un fonctionnaire départemental a récemment pris sa retraite et il est devenu votre délégué aveyronnais. Lors de leur formation, les assistants sociaux devraient connaître les actions que vous menez.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je me rappelle du temps où, à l'Assemblée nationale, M. Toubon et moi-même bataillions avec fougue sur des questions de droit et de société. Il est assez réconfortant de constater que l'on peut avoir plusieurs vies et que les opinions peuvent évoluer avec le temps.

Les correspondants du Défenseur des droits dans mon département et dans ma région m'ont fait part des difficultés matérielles qu'ils rencontraient dans les préfectures. Certains ont du mal à avoir des locaux, des permanences téléphoniques et même à envoyer leur courrier. Ne faudrait-il pas demander au Premier ministre de vous accorder des moyens financiers suffisants pour aider ces correspondants qui sont des quasi-bénévoles ?

Debut de section - Permalien
Jacques Toubon, Défenseur des droits

Ils perçoivent une indemnité de 470 euros par mois.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Ce sont des fantassins de la République.

J'ai lu tout ce que vous avez publié concernant la loi « asile et immigration ». Parmi les déboutés du droit d'asile en France, seuls 6 à 7 % quittent le territoire. Et ils sont 14 % à partir de notre pays lorsqu'ils reçoivent une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Le projet de loi dont nous sommes saisis ne fera sans doute pas bouger ces chiffres, ce qui rejoint l'analyse de Gérard Foux dans son livre : Ils resteront. Bien sûr, il faut des règles, mais n'y a-t-il pas beaucoup de vanité à croire qu'avec cette nouvelle loi, les déboutés seront plus nombreux à quitter notre sol ?

Enfin, nous devrions instaurer un droit imprescriptible de pouvoir remplir toutes les déclarations et démarches sur papier. Nos concitoyens démunis devant le numérique doivent être aidés en mairie ou en sous-préfecture pour qu'ils puissent accomplir leurs démarches administratives.

Debut de section - PermalienPhoto de François Grosdidier

Heureusement que nous évoluons tous, mon cher collègue Sueur, afin de mieux concilier liberté et sécurité.

Je salue l'action du Défenseur des droits à l'égard de la protection des enfants : cela rassurera ceux qui s'étaient inquiété de la disparition du Défenseur des enfants. Hélas, le plus souvent les enfants maltraités ne sont pas détectés, souvent à cause du cloisonnement des services sociaux qui s'abritent derrière le secret professionnel. Avez-vous des propositions en ce domaine ? La maltraitance à l'égard des enfants doit être mieux appréhendée.

Ma deuxième question porte sur les rapports entre la police et le public - une commission d'enquête du Sénat traite d'ailleurs actuellement de ce sujet, et vous êtes venu livrer vos analyses devant cette commission.

Nos forces de l'ordre souffrent d'une grave surcharge de travail administratif. Ce dernier absorbe aujourd'hui les deux tiers de leur temps. Je m'interroge également à propos des contrôles d'identité : on se demande parfois comment ils sont organisés...

Les caméras-piétons placées dans les véhicules des forces de l'ordre sont encore trop peu nombreuses, rarement employées par la gendarmerie et réservées aux zones de sécurité prioritaires, les ZSP. Or elles sont très utiles. L'enregistrement systématique des images évite les mises en cause injustifiées des forces de l'ordre, limite les abus qu'elles pourraient commettre, protège la hiérarchie face aux dérapages des subordonnés et donne aux juges des éléments objectifs pour trancher. Avez-vous formulé des observations à cet égard ?

Enfin, je salue le travail accompli par l'Observatoire des discriminations : l'acte de discrimination est, en soi, un phénomène très subjectif. Il est donc nécessaire d'objectiver tout particulièrement la manière dont on l'étudie.

Debut de section - PermalienPhoto de Brigitte Lherbier

Je confirme les propos d'Alain Marc : beaucoup de jeunes de vingt-cinq ans ignorent l'existence du Défenseur des droits, et c'est on ne peut plus regrettable.

De plus, je renchéris sur les propos de M. Grosdidier. Dans les conseils de famille des pupilles de l'État, les enfants placés sont trop souvent oubliés pendant des années. Ils deviennent pupilles de l'État, donc adoptables, à l'âge de dix ans, et alors il est trop tard pour qu'ils trouvent l'amour dans une famille. L'adoption n'est pas à la mode, mais elle est peut être une étape majeure dans le parcours de ces enfants, et elle n'est pas anticipée. Pourquoi le Défenseur des droits ne traite-t-il pas de ce problème en amont ?

De plus, lorsqu'ils ont été abusés, ou plus largement lorsqu'ils ont subi des problèmes physiques dans leur jeunesse, ces enfants ne sont pas toujours suffisamment indemnisés. À ce titre, monsieur le Défenseur des droits, votre rôle est d'autant plus important qu'ils n'ont personne d'autre que vous pour les protéger !

Debut de section - Permalien
Jacques Toubon, Défenseur des droits

Je commencerai par répondre à la dernière question : elle traite du premier âge de la vie, celui sur lequel, au fond, tout repose - je parle sous le contrôle de Mme la Défenseure des enfants.

Avec la proposition de loi Meunier-Dini, puis avec la loi de 2016, le Sénat a beaucoup travaillé sur ce sujet. Bien entendu, le Défenseur des droits est compétent en la matière, lorsqu'un problème survient entre un service public, notamment départemental, et des personnes privées. En revanche, nous ne réglons pas les litiges survenant entre tel ou tel membre d'une famille, et pour cause, ces derniers sont de caractère privé.

J'ai pris mes fonctions de Défenseur des droits au moment où venait d'être publié le rapport relatif à l'affaire Marina : il s'agissait du calvaire de Marina Sabatier, une petite fille qui est morte après avoir été martyrisée pendant des années. C'est l'une des affaires qui ont provoqué la proposition de loi Meunier-Dini, puis la loi de 2016, et les actions actuellement menées. Je précise toutefois que cette enfant ne faisait l'objet d'aucune prise en charge publique.

En la matière, certaines décisions sont difficiles à prendre. Je relève, à ce titre, qu'il faut être extrêmement attentif à la corporation des travailleurs sociaux. Il n'en existe pas moins des réponses légales.

Je vous renvoie à une affaire survenue, l'an dernier, en Seine-Saint-Denis : on a constaté qu'une femme avait accouché quatre fois à l'hôpital public sans avoir fait l'objet du moindre suivi de grossesse. Nous avons formulé à ce titre une recommandation extrêmement importante. Elle résume la complexité du sujet, qu'il s'agisse des relations entre les différents services relevant de l'État, des départements et des hôpitaux, des relations avec les familles, du rôle des travailleurs sociaux, etc.

Madame Lherbier, la loi de 2016 facilite la procédure de délaissement parental, mais on ne sait pas encore comment ces dispositions vont être mises en oeuvre. À plusieurs reprises, nous avons appelé l'attention sur ce sujet. J'ajoute que nous préconisons une remise à plat de la question de l'adoption en France. Notre pays a encore beaucoup à faire en la matière et, aujourd'hui, nous sommes bel et bien dans une impasse.

Monsieur Marc, notre enquête de 2016 nous a permis de mesurer la faible notoriété du Défenseur des droits. Nous faisons de nombreux efforts de communication, malgré nos faibles moyens budgétaires. En 2016, nous avons mené une campagne sur les réseaux sociaux. À l'automne 2017, nous avons eu recours aux radios indépendantes et aux radios locales, avec des retours assez satisfaisants.

Le plus important, c'est d'accentuer l'effort de formation. Nous formons les avocats, dans le cadre d'un accord conclu avec le Conseil national des barreaux. Nous devons former davantage encore les travailleurs sociaux. Mes adjoints se déploient partout en France pour participer à des colloques et à des séminaires. Chaque année, nous formons plus de 5 000 policiers à la question des discriminations, à la déontologie de la sécurité. En outre, l'été prochain, nous allons mener une campagne, de concert avec les réseaux d'autoroutes, notamment avec Vinci, pour faire mieux connaître les droits des enfants. Nous emploierons, en particulier, la fréquence 107.7.

Bien entendu, il faut prendre en compte les difficultés matérielles auxquelles nos délégués font face. Ils peinent à être accueillis dans certains bureaux. Les maisons de la justice et du droit ne se sont pas étendues tant que prévu, notamment faute de moyens à la Chancellerie. Je remercie par avance le Sénat de tout ce qu'il pourra faire pour insister sur ces enjeux.

À la suite de Jean-Pierre Sueur, je souligne les problèmes que soulève la dématérialisation : il faudrait inscrire dans la loi une disposition d'ordre général créant une obligation d'accompagnement ou imposant une solution de substitution, au profit des usagers, lors de la mise en oeuvre d'une mesure de numérisation, de virtualisation ou de dématérialisation. Le Parlement devrait manifester clairement sa volonté de ne pas laisser tomber - je dis les choses comme elles sont - celles et ceux qui n'ont pas accès à Internet : les intéressés représentent tout de même 20 % de la population, soit 10 millions de personnes.

Le droit d'asile et les demandeurs d'asile sont mal traités par le projet de loi en cours de discussion. Ce texte réduit un certain nombre de droits fondamentaux, dont le droit au recours. De surcroît, il oublie complètement la phase préalable d'accueil, avant que les personnes mettant le pied en France ne soient appréhendées, d'une manière ou d'une autre, dans une filière administrative. Dans sa décision du 31 juillet 2017, le Conseil d'État l'a clairement relevé : les traitements que ces demandeurs subissent sont « inhumains » et « dégradants », pour ne pas dire barbares.

Pour ce qui concerne la phase préalable, ce projet de loi n'est pas utile ; pour le reste, il constitue un moyen de dissuasion et ne facilitera pas les expulsions.

Depuis 1974, on parle d'immigration zéro, et, selon les pointages, ce projet de loi est le vingt-sixième ou le vingt-huitième texte du genre... L'application inconditionnelle et absolue des droits fondamentaux à toute personne qui met le pied sur le sol de France devrait être le fondement de toute action. Sur cette base, on peut mettre en oeuvre des procédures légales.

Or, aujourd'hui, des dizaines de milliers de personnes sont considérées comme invisibles. On ne veut pas ou on ne veut plus les voir, mais elles sont bien là. Leur venue est un mouvement de l'histoire, que l'on n'arrêtera pas. L'Europe a ensemencé le monde. Depuis un siècle, elle a accueilli énormément de personnes venant du monde entier ; c'est là une mission historique et, pour elle, c'est aussi un moyen de ne pas insulter l'avenir.

J'en viens aux relations entre la police et la population.

Madame de la Gontrie, je vous invite à lire la page 114 de mon rapport : j'y fais état de l'enquête relative aux contrôles d'identité. Il arrive que ces derniers soient discriminatoires, et la Cour de cassation l'a relevé en 2016 dans un arrêt historique : elle a reconnu la faute de l'État pour certains contrôles qualifiés de « subjectifs ». Aujourd'hui, la réponse apportée par le Gouvernement, ce n'est pas l'enregistrement des contrôles d'identité, comme nous l'avions proposé ; ce sont les caméras-piétons.

À ce propos, je me suis entretenu avec le directeur général de la police nationale. Le plan caméras-piétons semble se déployer de manière assez satisfaisante, y compris dans les transports publics relevant de la RATP et de la SNCF, sous l'empire de la loi Savary, relative à la sécurité dans les transports. Nous pourrons probablement mesurer assez vite l'effet de cette mesure, et vous pourrez interroger le ministre de l'intérieur à ce sujet lors des prochains débats budgétaires.

Pour ce qui concerne l'état d'urgence, quatre décisions prises par le Conseil constitutionnel au titre d'une question prioritaire de constitutionnalité ont permis d'obtenir une vision juridique. En dehors de ces éléments, nous ne disposons pas d'une véritable évaluation. Cela étant, nos recommandations ont été suivies par la police et par la gendarmerie, qu'il s'agisse de la manière de traiter les enfants, par exemple lors des perquisitions de nuit, ou d'assurer les indemnisations des personnes ayant subi des dommages.

L'état d'urgence n'était probablement pas nécessaire, sinon en tant que réponse politique. En 2020, le Parlement évaluera les dispositions de la loi du 30 octobre 2017, pour les maintenir ou non : à ce titre, il a pris une mesure de sagesse à l'initiative du Sénat.

Enfin, monsieur Grosdidier, les discriminations ne relèvent pas d'une quelconque appréciation subjective : en France, elles sont traitées par la loi dans des conditions juridiques extrêmement précises. Je pense, à ce propos, aux observations que nous avons formulées quant aux cas de harcèlement sexuel observés dans une entreprise de nettoyage travaillant à la gare du Nord, à Paris.

Les discriminations ne font plus l'objet d'un discours global, comme dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Je précise que l'on a trop souvent tendance à réduire cette action à la politique de la ville, alors qu'elle doit être appliquée partout ; elle doit faire l'objet de mesures fortes de la part du Gouvernement et ne doit subir aucun recul.

Si les dispositions du projet de loi « ÉLAN » étaient maintenues pour ce qui concerne l'accessibilité des logements pour les personnes handicapées, nous subirions un retour en arrière, non pas de douze, mais de plus de quarante ans ! C'est en effet en 1975 qu'a été instaurée la notion d'accessibilité universelle, en lieu et place des quotas de logements pour personnes handicapées. On ne saurait reculer pour ce qui concerne cet instrument d'égalité.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonhomme

Monsieur le Défenseur des droits, je salue les efforts de lutte contre les discriminations et les nouveaux outils développés à cet égard. Mais, sauf erreur de ma part, votre rapport ne traite pas de certaines discriminations d'origine religieuse subies par les femmes : au nom de l'islam, ces dernières peuvent être exclues de divers lieux de sociabilité, notamment les cafés. Ces phénomènes ont été observés à Sevran, à Trappes, à Rillieux-la-Pape, ils ont fait l'objet de livres et de reportages. Ce sujet est essentiel, et il devient de plus en plus prégnant.

Debut de section - Permalien
Jacques Toubon, Défenseur des droits

J'ai été, l'an passé, saisi du cas d'une université non mixte, et j'ai souligné qu'une telle structure n'était pas légale. J'ajoute que, pour ce qui concerne les droits des femmes, nous luttons contre de nombreux phénomènes, notamment l'excision. Toutefois, pour l'heure, je n'ai pas été saisi des cas de discriminations que vous évoquez, et qui semblent relever davantage de questions politiques ou sociales que des droits. Peut-être traiterons-nous de ce sujet dans un autre rapport, si nous en sommes saisis.

Naturellement, je reste à la disposition de la commission des lois pour tous les détails qu'elle souhaiterait obtenir.

Marie Mercier est nommée rapporteur sur le projet de loi n° 778 (A.N., XVème lég.) renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, sous réserve de sa transmission (procédure accélérée).

MM. François-Noël Buffet et Yves Détraigne sont nommés rapporteurs sur le projet de loi n° 463 (2017-2018) de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et sur le projet de loi organique n° 462 (2017-2018) relatif au renforcement de l'organisation des juridictions (procédure accélérée).

Mathieu Darnaud est nommé rapporteur sur la proposition de loi n° 466 (2017-2018) relative à l'équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale, présentée par MM. Philippe Bas, Bruno Retailleau et Mathieu Darnaud.

Françoise Gatel est nommée rapporteur sur la proposition de loi n° 30 (2017-2018) tendant à imposer aux ministres des cultes de justifier d'une formation les qualifiant à l'exercice de ce culte, présentée par Mme Nathalie Goulet, M. André Reichardt et plusieurs de leurs collègues.

Dany Wattebled est nommé rapporteur sur la proposition de loi n° 337 (2017-2018) relative à l'harmonisation de l'utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique, présentée par M. Jean-Pierre Decool et plusieurs de ses collègues.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Je vous propose de déléguer au fond à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable les articles 1er à 7 qui composent le titre Ier de la proposition de loi relative à l'équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale et tendent à prévoir la création d'une Agence nationale pour la cohésion des territoires.

La commission décide de déléguer au fond à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable les articles 1er à 7 de la proposition de loi relative à l'équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale.

La commission des lois demande à être saisie pour avis du projet de loi n° 385 (2017-2018) relatif à la lutte contre la fraude (procédure accélérée), et nomme Mme Nathalie Delattre rapporteur pour avis sur ce projet de loi.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

À la suite de l'attentat commis à Paris samedi dernier, le débat relatif au fichier des personnes recherchées et aux fiches S qui en constituent une composante a connu de nouveaux rebondissements.

Pour apporter un tant soit peu de rationalité à ce débat et, ainsi, éclairer nos concitoyens, je vous propose d'adopter une méthode de travail à la fois souple, rapide et collégiale, en créant un groupe de travail pluraliste, ou task force - pardonnez-moi cet anglicisme - sur l'amélioration de l'efficacité des fiches S.

Avec votre accord, nous confierons la conduite de cette réflexion à François Pillet, qui, chacun le sait, est profondément attaché au respect des libertés publiques comme à la sécurité de nos concitoyens. Je remercie chacun des groupes politiques ici représentés de bien vouloir désigner en outre, d'ici à la semaine prochaine, un représentant pour ce groupe de travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Il faut tenir compte de toutes les catégories regroupées au sein du fichier des personnes recherchées, même si les fiches S feront l'objet d'un examen tout particulier. Le but est d'assurer un examen technique et d'évaluer l'efficacité de l'instrument dans son ensemble.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Nous sommes un certain nombre à éprouver de l'inquiétude face aux déclarations réitérées, émanant, notamment, de personnalités politiques, selon lesquelles les fichés S devraient être systématiquement expulsés ou connaître un autre traitement répressif. Chacun le sait, si l'on figure dans un fichier ou dans un autre, l'on n'est pas pour autant coupable de quoi que ce soit. Il s'agit là d'un véritable sujet pour notre société, et il faut chercher des solutions de substitution. C'est pourquoi je salue la création de ce groupe de travail.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Comme dans le cas du groupe de travail sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs, lequel a été animé par Marie Mercier, les conclusions devront être remises dans les deux mois.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Jacques Toubon l'a dit clairement : lorsqu'une procédure est dématérialisée, chacun doit pouvoir continuer à travailler sur des documents papier.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Marc

En milieu rural, 20 % de la population continue à ne pas employer les procédures dématérialisées, notamment les personnes âgées.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

En l'occurrence, ce dont je parle, c'est de la dématérialisation des documents de travail de notre commission, singulièrement des liasses d'amendements.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Mes chers collègues, à compter du 30 mai prochain, les documents figurant dans nos réunions seront disponibles en format dématérialisé, via l'application Déméter. Toutefois, si vous ne souhaitez pas utiliser ce dispositif pour le moment, signalez-vous auprès du service de la commission pour conserver vos liasses d'amendements en papier.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Je plaide pour le maintien de la publication de tous les rapports. En pleurant, on parvient difficilement à obtenir quelques exemplaires pour la commission auprès du service de la distribution, mais, pour le reste, il est devenu très difficile d'obtenir la version imprimée d'un rapport. Un rapport du Sénat peut aussi devenir un ouvrage de référence...

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Sueur

Tous les rapports devraient être imprimés. Cela ne ruinerait pas le Sénat...

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Richard

Pour ma part, je n'ai jamais eu de difficulté à obtenir un rapport imprimé.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

À la suite de notre précédente réunion de commission sur le sujet et d'une intervention de M. Sueur, j'ai écrit au Président du Sénat, alors que la décision avait été prise de ne plus imprimer les rapports au-delà d'un certain nombre d'exemplaires, pour lui demander de conserver la possibilité d'obtenir, si l'on en fait la demande, la communication de rapports imprimés.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

On déplore que les travaux du Sénat et du Parlement soient méconnus de l'opinion. Beaucoup de gens sont habitués à utiliser des exemplaires imprimés. Tout dématérialiser n'est pas une bonne idée.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Pierre de La Gontrie

On peut toujours imprimer un rapport sur son imprimante si on le souhaite !

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre-Yves Collombat

L'économie sera dérisoire pour le Sénat. La mesure n'est rien de plus qu'une coquetterie !

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Nous pourrons toujours demander l'impression de rapports pour en assurer la distribution auprès de nos correspondants. Enfin je vous rappelle que, par défaut, les amendements seront désormais disponibles de manière dématérialisée sur votre tablette numérique par le biais de l'application qui leur est consacrée, sauf si vous souhaitez les obtenir dans leur version imprimée.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bas

Au cours de la séance du 5 juin, qui sera présidée par le Président du Sénat, chaque président de commission présentera un bilan de l'application des lois que sa commission a eu à suivre au cours de l'année parlementaire 2016-2017. Au 31 mars 2018, le taux d'application des 24 lois promulguées au cours de cette année parlementaire et examinées au fond par la commission des lois, c'est-à-dire le ratio entre le nombre de mesures d'application attendues et le nombre de mesures prises, s'est élevé à 72 %, soit un taux identique à celui de l'année passée. Toutefois, les délais dans lesquels ces mesures sont publiées sont parfois plus longs que les délais d'adoption des lois elles-mêmes. Presque un tiers des mesures prises pour l'application des lois promulguées au cours de l'année parlementaire 2016-2017 et envoyées au fond à notre commission l'ont été plus de six mois après la promulgation de la loi. Ce taux élevé témoigne de l'inanité de vouloir à tout prix accélérer la navette parlementaire, au détriment du droit d'amendement et de la qualité de la loi, si le Gouvernement n'est pas en mesure de prendre dans des délais raisonnables les textes réglementaires nécessaires !

L'inflation législative, mal bien connu et régulièrement dénoncé, est restée forte. L'exemple le plus criant est celui de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, dont le nombre d'articles est passé de 15 dans le projet de loi initial à 148 dans le texte final, soit un coefficient multiplicateur du nombre d'articles au cours de la navette parlementaire de 9,9 ! Si chacun porte sa part de responsabilité dans ce phénomène, celle du Gouvernement est grande. Ainsi, la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle est passée de 54 à 115 articles, du fait notamment de l'insertion par l'Assemblée nationale de 55 articles additionnels en première lecture, dont les deux tiers à l'initiative du Gouvernement.

On ne peut également que regretter l'absence de publication de deux mesures d'application de la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique : l'une pour permettre à toute personne de définir des directives relatives à la conservation, à l'effacement et à la communication de ses données à caractère personnel après son décès - ce que l'on appelle aussi la « mort numérique » -, l'autre pour fixer la liste des pièces justificatives que les personnes n'ont plus à produire lorsqu'une administration détient déjà ces informations - c'est la mise en oeuvre du principe « dites-le nous une fois ».

Enfin, je note que l'ordonnance tendant à créer une « banque de la démocratie », prévue par la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique, ne sera probablement pas publiée dans le délai d'habilitation prévu par la loi, soit avant le 15 juin 2018. Nous ne sommes pas surpris. Nous avions alerté le Gouvernement lors de l'examen de ce texte sur le manque de précision de l'habilitation et sur les difficultés au regard de la neutralité que l'État doit respecter en matière de compétition électorale.

La réunion est close à 10 h 15.