Intervention de Jacques Toubon

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 16 mai 2018 à 8h35
Audition de M. Jacques Toubon défenseur des droits sur son rapport annuel d'activité pour 2017

Jacques Toubon, Défenseur des droits :

Je commencerai par répondre à la dernière question : elle traite du premier âge de la vie, celui sur lequel, au fond, tout repose - je parle sous le contrôle de Mme la Défenseure des enfants.

Avec la proposition de loi Meunier-Dini, puis avec la loi de 2016, le Sénat a beaucoup travaillé sur ce sujet. Bien entendu, le Défenseur des droits est compétent en la matière, lorsqu'un problème survient entre un service public, notamment départemental, et des personnes privées. En revanche, nous ne réglons pas les litiges survenant entre tel ou tel membre d'une famille, et pour cause, ces derniers sont de caractère privé.

J'ai pris mes fonctions de Défenseur des droits au moment où venait d'être publié le rapport relatif à l'affaire Marina : il s'agissait du calvaire de Marina Sabatier, une petite fille qui est morte après avoir été martyrisée pendant des années. C'est l'une des affaires qui ont provoqué la proposition de loi Meunier-Dini, puis la loi de 2016, et les actions actuellement menées. Je précise toutefois que cette enfant ne faisait l'objet d'aucune prise en charge publique.

En la matière, certaines décisions sont difficiles à prendre. Je relève, à ce titre, qu'il faut être extrêmement attentif à la corporation des travailleurs sociaux. Il n'en existe pas moins des réponses légales.

Je vous renvoie à une affaire survenue, l'an dernier, en Seine-Saint-Denis : on a constaté qu'une femme avait accouché quatre fois à l'hôpital public sans avoir fait l'objet du moindre suivi de grossesse. Nous avons formulé à ce titre une recommandation extrêmement importante. Elle résume la complexité du sujet, qu'il s'agisse des relations entre les différents services relevant de l'État, des départements et des hôpitaux, des relations avec les familles, du rôle des travailleurs sociaux, etc.

Madame Lherbier, la loi de 2016 facilite la procédure de délaissement parental, mais on ne sait pas encore comment ces dispositions vont être mises en oeuvre. À plusieurs reprises, nous avons appelé l'attention sur ce sujet. J'ajoute que nous préconisons une remise à plat de la question de l'adoption en France. Notre pays a encore beaucoup à faire en la matière et, aujourd'hui, nous sommes bel et bien dans une impasse.

Monsieur Marc, notre enquête de 2016 nous a permis de mesurer la faible notoriété du Défenseur des droits. Nous faisons de nombreux efforts de communication, malgré nos faibles moyens budgétaires. En 2016, nous avons mené une campagne sur les réseaux sociaux. À l'automne 2017, nous avons eu recours aux radios indépendantes et aux radios locales, avec des retours assez satisfaisants.

Le plus important, c'est d'accentuer l'effort de formation. Nous formons les avocats, dans le cadre d'un accord conclu avec le Conseil national des barreaux. Nous devons former davantage encore les travailleurs sociaux. Mes adjoints se déploient partout en France pour participer à des colloques et à des séminaires. Chaque année, nous formons plus de 5 000 policiers à la question des discriminations, à la déontologie de la sécurité. En outre, l'été prochain, nous allons mener une campagne, de concert avec les réseaux d'autoroutes, notamment avec Vinci, pour faire mieux connaître les droits des enfants. Nous emploierons, en particulier, la fréquence 107.7.

Bien entendu, il faut prendre en compte les difficultés matérielles auxquelles nos délégués font face. Ils peinent à être accueillis dans certains bureaux. Les maisons de la justice et du droit ne se sont pas étendues tant que prévu, notamment faute de moyens à la Chancellerie. Je remercie par avance le Sénat de tout ce qu'il pourra faire pour insister sur ces enjeux.

À la suite de Jean-Pierre Sueur, je souligne les problèmes que soulève la dématérialisation : il faudrait inscrire dans la loi une disposition d'ordre général créant une obligation d'accompagnement ou imposant une solution de substitution, au profit des usagers, lors de la mise en oeuvre d'une mesure de numérisation, de virtualisation ou de dématérialisation. Le Parlement devrait manifester clairement sa volonté de ne pas laisser tomber - je dis les choses comme elles sont - celles et ceux qui n'ont pas accès à Internet : les intéressés représentent tout de même 20 % de la population, soit 10 millions de personnes.

Le droit d'asile et les demandeurs d'asile sont mal traités par le projet de loi en cours de discussion. Ce texte réduit un certain nombre de droits fondamentaux, dont le droit au recours. De surcroît, il oublie complètement la phase préalable d'accueil, avant que les personnes mettant le pied en France ne soient appréhendées, d'une manière ou d'une autre, dans une filière administrative. Dans sa décision du 31 juillet 2017, le Conseil d'État l'a clairement relevé : les traitements que ces demandeurs subissent sont « inhumains » et « dégradants », pour ne pas dire barbares.

Pour ce qui concerne la phase préalable, ce projet de loi n'est pas utile ; pour le reste, il constitue un moyen de dissuasion et ne facilitera pas les expulsions.

Depuis 1974, on parle d'immigration zéro, et, selon les pointages, ce projet de loi est le vingt-sixième ou le vingt-huitième texte du genre... L'application inconditionnelle et absolue des droits fondamentaux à toute personne qui met le pied sur le sol de France devrait être le fondement de toute action. Sur cette base, on peut mettre en oeuvre des procédures légales.

Or, aujourd'hui, des dizaines de milliers de personnes sont considérées comme invisibles. On ne veut pas ou on ne veut plus les voir, mais elles sont bien là. Leur venue est un mouvement de l'histoire, que l'on n'arrêtera pas. L'Europe a ensemencé le monde. Depuis un siècle, elle a accueilli énormément de personnes venant du monde entier ; c'est là une mission historique et, pour elle, c'est aussi un moyen de ne pas insulter l'avenir.

J'en viens aux relations entre la police et la population.

Madame de la Gontrie, je vous invite à lire la page 114 de mon rapport : j'y fais état de l'enquête relative aux contrôles d'identité. Il arrive que ces derniers soient discriminatoires, et la Cour de cassation l'a relevé en 2016 dans un arrêt historique : elle a reconnu la faute de l'État pour certains contrôles qualifiés de « subjectifs ». Aujourd'hui, la réponse apportée par le Gouvernement, ce n'est pas l'enregistrement des contrôles d'identité, comme nous l'avions proposé ; ce sont les caméras-piétons.

À ce propos, je me suis entretenu avec le directeur général de la police nationale. Le plan caméras-piétons semble se déployer de manière assez satisfaisante, y compris dans les transports publics relevant de la RATP et de la SNCF, sous l'empire de la loi Savary, relative à la sécurité dans les transports. Nous pourrons probablement mesurer assez vite l'effet de cette mesure, et vous pourrez interroger le ministre de l'intérieur à ce sujet lors des prochains débats budgétaires.

Pour ce qui concerne l'état d'urgence, quatre décisions prises par le Conseil constitutionnel au titre d'une question prioritaire de constitutionnalité ont permis d'obtenir une vision juridique. En dehors de ces éléments, nous ne disposons pas d'une véritable évaluation. Cela étant, nos recommandations ont été suivies par la police et par la gendarmerie, qu'il s'agisse de la manière de traiter les enfants, par exemple lors des perquisitions de nuit, ou d'assurer les indemnisations des personnes ayant subi des dommages.

L'état d'urgence n'était probablement pas nécessaire, sinon en tant que réponse politique. En 2020, le Parlement évaluera les dispositions de la loi du 30 octobre 2017, pour les maintenir ou non : à ce titre, il a pris une mesure de sagesse à l'initiative du Sénat.

Enfin, monsieur Grosdidier, les discriminations ne relèvent pas d'une quelconque appréciation subjective : en France, elles sont traitées par la loi dans des conditions juridiques extrêmement précises. Je pense, à ce propos, aux observations que nous avons formulées quant aux cas de harcèlement sexuel observés dans une entreprise de nettoyage travaillant à la gare du Nord, à Paris.

Les discriminations ne font plus l'objet d'un discours global, comme dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. Je précise que l'on a trop souvent tendance à réduire cette action à la politique de la ville, alors qu'elle doit être appliquée partout ; elle doit faire l'objet de mesures fortes de la part du Gouvernement et ne doit subir aucun recul.

Si les dispositions du projet de loi « ÉLAN » étaient maintenues pour ce qui concerne l'accessibilité des logements pour les personnes handicapées, nous subirions un retour en arrière, non pas de douze, mais de plus de quarante ans ! C'est en effet en 1975 qu'a été instaurée la notion d'accessibilité universelle, en lieu et place des quotas de logements pour personnes handicapées. On ne saurait reculer pour ce qui concerne cet instrument d'égalité.

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