Intervention de Joël Guerriau

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 mai 2018 à 9h00
Projet de loi de programmation militaire 2019-2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense -. examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Joël GuerriauJoël Guerriau :

Mes chers collègues, en tant que rapporteur du programme 212, je commencerai par aborder le volet « ressources humaines ».

S'agissant des effectifs, la LPM s'inscrit dans le mouvement de hausse décidé à la suite des attentats de 2015 pour permettre la remontée en puissance de nos forces armées. Elle prévoit une augmentation nette de 6 000 équivalents temps plein (ETP) sur la programmation, ce qui met fin à dix ans de très forte attrition des effectifs puisque le ministère aura perdu 50 000 emplois sur la période 2008-2019, un effort considérable et sans comparaison dans les autres ministères.

Les priorités pour l'affectation de ces renforts sont connues : renseignement (+1 500 emplois), cyberdéfense (+1 500), sécurité-protection (+750), soutien aux exportations (+400), le solde (1 850) étant destiné aux unités opérationnelles et à leur environnement. Cette évolution globalement favorable appelle à mon sens trois réserves :

- les soutiens interarmées ne bénéficieront pas (ou très peu) de marges de manoeuvre et devront poursuivre leurs restructurations alors qu'ils ont été très éprouvés par les déflations d'effectifs des dix dernières années ;

- l'effort de créations nettes de postes est inégalement réparti dans le temps, les ¾ (4 000 sur les 6 000) devant intervenir entre 2023 et 2025, avec tous les doutes que cela implique sur la réalisation de cet objectif. Il s'agit donc en partie d'une hausse « en trompe-l'oeil » ;

- enfin, comme l'ont souligné nos collègues Jean-Marie Bockel et Jean-Marc Todeschini dans leurs récents travaux, il y a l'épée de Damoclès du SNU, qui pourrait annuler toutes les évolutions positives si ce projet devait impliquer un encadrement militaire pour toute une classe d'âge. Pour s'en prémunir, nous vous présenterons un amendement à l'article 5 sur les effectifs, qui est de coordination avec celui présenté à l'article 3 par MM. Bockel et Todeschini sur la programmation financière.

Pour le reste, la LPM et son rapport annexé prennent en compte les différents enjeux d'une « manoeuvre RH » toujours aussi complexe. Une attention particulière est accordée au recrutement et à la fidélisation, problématiques qui, au fil des auditions, nous sont devenues familières. Pour faire face aux difficultés rencontrées dans certains métiers et certaines régions, l'article 16 du projet de loi tend ainsi à élargir, à titre expérimental, les possibilités de recrutement de fonctionnaires sans concours et de contractuels. Dans la mesure où ce recours reste encadré, nous y sommes favorables et proposerons un amendement visant à assouplir le dispositif. Nous reviendrons en revanche sur une mesure adoptée par l'Assemble nationale qui nous semble aller au-delà de ce qui est nécessaire.

Un autre enjeu RH est le maintien d'un flux de départs suffisant pour permettre le recrutement de personnels jeunes ou dotés de compétences adaptées aux nouveaux besoins. Pour ce faire les leviers d'incitation au départ (pécule, promotion fonctionnelle, indemnité de départ volontaire...) doivent être maintenus. Ils feront l'objet d'une ordonnance, le gouvernement souhaitant attendre les résultats d'une évaluation en cours pour les pérenniser. Nous serons, bien sûr, attentifs à ce que l'ordonnance soit prise dans les délais impartis car de nombreuses décisions individuelles des personnels de la défense en dépendent.

Enfin, l'accent est mis sur la reconversion, indispensable à l'accompagnement des militaires dans leur transition vers l'emploi civil après une carrière par nature courte. A ce sujet, le projet de loi prévoit notamment une rénovation par ordonnance des procédures de reclassement des militaires dans la fonction publique.

Je vais également aborder brièvement la question du code des pensions militaires d'invalidité.

Le ministère de la défense a conduit, en concertation avec les associations du monde combattant, un travail de refonte du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre qui s'est traduit par la rédaction d'une ordonnance publiée le 28 décembre 2015. Dans ce cadre, les associations avaient obtenu une amélioration de la procédure contentieuse devant les tribunaux des pensions. Or le Gouvernement a finalement décidé le transfert de ce contentieux aux juridictions administratives, ce qui a causé un certain émoi.

Quelle est, objectivement, la situation ? Tout le monde est d'accord pour constater que le système actuel fonctionne très mal, avec notamment un délai de jugement très excessif. Mais la nécessité de réformer le système ne doit pas conduire à abandonner le principe énoncé solennellement au premier article du code des pensions militaires d'invalidité : « La République française, reconnaissante envers les combattants et victimes de guerre qui ont assuré le salut de la patrie, s'incline devant eux et devant leurs familles. »

C'est pourquoi nous vous proposerons des amendements visant à préserver cette singularité du droit à réparation prévu par le code des pensions. Avec cette volonté d'amélioration, nous sommes sur la même ligne que les associations, qui sont désormais d'accord entre elles pour améliorer et accompagner de manière très vigilante la réforme en cours, plutôt que d'en remettre en cause le principe même. C'est dire qu'au-delà de ce rendez-vous législatif, il nous faudra rester vigilants sur les phases ultérieures, car beaucoup dépendra des décrets qui seront pris dans les prochains mois. Nous en parlerons de façon plus approfondie lors de la présentation des amendements.

Enfin, je terminerai par quelques mots sur le volet « immobilier » de cette LPM qui nous paraît notoirement insuffisant.

J'évoquerai ici la question des recettes de cessions et autres produits immobiliers du ministère. Vous savez que cette LPM poursuit un objectif de « sincérisation », qui doit être approuvé. Elle ne repose donc pas, et c'est heureux, sur des recettes exceptionnelles aléatoires. Toutefois cela ne signifie pas que le ministère des armées doive être privé de ce type de recettes. Les produits de cessions immobilières attendus sur la période 2019-2025 sont très importants : environ 500 millions d'euros. La dynamisation des redevances et recettes locatives représente également un potentiel considérable.

Nous vous proposerons à ce sujet plusieurs amendements, notamment un amendement à l'article 3, afin de sécuriser le retour au ministère des armées de l'intégralité de ses produits immobiliers.

Nous vous proposerons également des aménagements à la décote dite « Duflot » qui entraîne des pertes de recettes considérables pour le ministère des armées. Cette décote peut aller jusqu'à 100 % de la valeur vénale des terrains cédés, destinés à la réalisation de logements sociaux. Nous l'avions limitée à 30 %, lors de l'actualisation de la précédente LPM. Mais le compromis que nous avions trouvé en CMP avec l'Assemblée a été abrogé dans la loi de finances qui a suivi. Nous le regrettons.

Le mécanisme de décote a déjà entraîné un manque à gagner pour la défense de 25 millions d'euros, auxquels il faut ajouter 50 millions d'euros de pertes de recettes prévisibles, dans le cadre de la cession en cours de l'îlot Saint-Germain. Si l'on y ajoute la moins-value née de la vente de l'Hôtel de l'Artillerie de gré à gré à Sciences po (évaluée à au moins 30 millions d'euros), ce sont déjà 105 millions d'euros qui ont été perdus, au total, pour la défense. Et la cession du Val de Grâce pourrait accroître ce manque à gagner.

Il est temps de cesser de brader ainsi le patrimoine du ministère des armées, alors que le contexte a changé, et que les besoins sont considérables.

Je laisse à présent la parole à Gilbert Roger.

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