Intervention de Françoise Cartron

Réunion du 16 mai 2018 à 14h30
Indemnisation des interdictions d'habitation résultant d'un risque de recul du trait de côte — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Françoise CartronFrançoise Cartron :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, déposée il y a quelques semaines, cette proposition de loi dont nous avons à débattre aujourd’hui vise à prévoir un régime d’indemnisation pour les interdictions d’habitation résultant d’un recul du trait de côte.

Ce texte répond en fait spécifiquement au problème de l’immeuble Le Signal, construit à Soulac-sur-Mer, dans le département de la Gironde, dont je suis élue. Cette affaire, que nous connaissons désormais trop bien dans les assemblées parlementaires, est inédite, exceptionnelle et injuste. Elle est aussi devenue inextricable, car, hélas, à ce jour, aucune solution n’a pu être trouvée.

L’article unique de la présente proposition de loi, exclusif de toute autre disposition, se veut une réponse d’initiative parlementaire efficace et rapide à la détresse des copropriétaires qui n’ont plus accès à leur logement depuis plus de quatre ans, et ce – faut-il le rappeler ? –, sans aucun dédommagement.

Le problème est désormais connu bien au-delà du sud du Médoc. Tout le monde a en tête l’image de cet immeuble à l’abandon, face à la mer. Elle est devenue un terrible symbole environnemental. Madame la secrétaire d’État, n’en faisons pas également un symbole d’indifférence ou d’abandon.

Ce bâtiment, construit en 1967 sur une emprise située alors à plus de 200 mètres du front de mer, se trouve aujourd’hui à moins de 10 mètres de ce dernier. Il est interdit d’accès par un arrêté pris le 7 janvier 2014 du fait de l’imminence du danger.

Depuis plus de quatre ans, cette situation ubuesque perdure, car l’interdiction effective d’habiter le bâtiment ne vaut pas expropriation, ce qui aurait donné lieu à une indemnisation à hauteur du prix de chaque bien. En effet, conformément au code de l’environnement, l’expropriation donne lieu à une indemnisation si, et seulement si, il existe une menace grave pour la vie humaine, ce qui n’est pas le cas des risques d’érosion côtière.

En conséquence, en l’absence d’expropriation in jure, le fonds dit « Barnier », qui permettrait d’indemniser les copropriétaires, n’a pu être mobilisé. Répondant à la question qui lui était posée, le Conseil constitutionnel a de plus confirmé dans sa décision n° 2018-698 du 6 avril 2018 qu’il n’y avait pas inégalité de traitement au regard de la législation actuelle – ce point est important – entre les copropriétaires de l’immeuble et d’autres bénéficiaires du fonds Barnier.

Après quatre années de contentieux avec l’État, dont je rappelle que la responsabilité est totalement engagée, il est urgent de répondre légalement à cette problématique, qui devient pour les personnes concernées proprement insoutenable.

Depuis quatre ans, onze des copropriétaires sont décédés. Par ailleurs, les copropriétaires dont l’immeuble est la résidence principale doivent s’acquitter d’un certain nombre de charges, alors même qu’ils n’ont plus et n’auront plus jamais accès à leur logement.

Pourquoi cette situation perdure-t-elle ? Disons-le très clairement : si cet enfer est encore aujourd’hui devant nous, c’est par manque d’efficacité, par manque de volonté et du fait de tergiversations politiques. Ce texte entend y mettre fin. Il comporte des dispositions prises à titre exceptionnel et dérogatoire, car le cas du Signal est unique.

Permettez-moi de souligner que cette initiative qui est aujourd’hui la mienne et celle des membres du groupe socialiste et républicain, qui ont demandé l’inscription de la présente proposition de loi dans le cadre de l’ordre du jour réservé à notre groupe, est en fait beaucoup plus large : il s’agit de proposer une réponse législative adéquate à ce problème.

Cette proposition s’inscrit dans la continuité d’autres actions parlementaires, engagées par notre collègue députée de la Gironde Pascale Got et poursuivies au Sénat par mes collègues MM. Vaspart, Retailleau et Bas.

M. le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable l’a parfaitement rappelé en commission le 16 avril dernier : « Ce texte reprend à l’identique un article de la proposition de loi de notre collègue Michel Vaspart que le Sénat a adoptée en janvier dernier et que nous avons peu d’espoir de voir inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. […] L’initiative de nos collègues du groupe socialiste et républicain repose sur la volonté de faire avancer rapidement la législation sur le cas particulier de l’immeuble du Signal […], dans l’espoir que cette proposition de loi soit plus rapidement inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale. »

Tout est dit ! Mes chers collègues, la proposition de loi que je vous propose d’adopter, soutenue à l’unanimité par les membres de la commission, reprend un article du texte initial de notre collègue Michel Vaspart. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail de notre rapporteur, Nelly Tocqueville.

Ce texte, inspiré par une démarche pragmatique, répond à un impératif d’efficacité, dont je crois qu’il s’inscrit dans l’esprit de la révision constitutionnelle voulue par le Président de la République. En effet, le dispositif d’indemnisation prévu par la présente proposition de loi a déjà été intégré dans deux véhicules législatifs distincts ces derniers mois, sans succès. Il ne fait pourtant l’objet d’aucune contestation, puisqu’il bénéficie d’un soutien unanime.

Aussi, en proposant un article unique, je souhaite donner une chance à ce dispositif d’entrer en vigueur rapidement, parce qu’il n’est plus possible d’attendre.

Mes chers collègues, cette proposition de loi n’est ni de gauche, ni de droite, ni de La République En Marche. Ce n’est ni un coup d’État médiatique ni la manifestation d’une histoire personnelle – surtout pas !

C’est pourquoi je ne puis que regretter, madame la secrétaire d’État, d’avoir appris par voie de presse ces dernières semaines que des solutions auraient été envisagées, voire arrêtées, soit par votre ministre de tutelle, M. Hulot, soit par le ministre de la cohésion des territoires, soit par le biais d’amendements, soit dans le cadre d’un texte plus large.

Un texte plus large, nous en avons fait l’expérience, ne nous permettrait pas d’aboutir à une solution applicable avant un an, dans le meilleur des cas ! Si une solution existe, et je souhaite que ce soit le cas, je vous demande, madame la secrétaire d’État, d’utiliser ce véhicule législatif pour la déposer par voie d’amendement et la faire entériner par votre majorité à l’Assemblée nationale.

Nous ne demandons que cela, et tout le monde retiendra qu’il s’agit d’une réponse collective. Il eût d’ailleurs été intéressant que tous les groupes politiques qui se sont penchés sur cette question soient associés à la réflexion, afin d’envisager une sortie de crise. La concertation n’a pas été au rendez-vous, mais une sortie par le haut est toujours possible.

En effet, il ne faudrait pas que s’installe l’impression que des solutions sont trouvées facilement pour les plus riches dans d’autres lieux et dans d’autres textes, alors que, pour certains, il faut toujours attendre. C’est pourquoi nous faisons de cette situation un symbole non seulement environnemental, mais aussi, et avant tout, social et humain. Car cela commence à faire beaucoup – beaucoup de textes, beaucoup d’unanimités – pour bien peu d’avancées.

Les propriétaires en ont assez du manque d’informations, assez d’entendre parler de rapidité et d’équité, assez de savoir que, chaque jour qui passe, leur responsabilité est engagée en cas d’accident consécutif à la chute de l’immeuble, assez d’être assimilés à des privilégiés alors qu’ils sont le plus souvent des retraités modestes épuisés moralement et physiquement, qu’ils ont pour beaucoup investi toutes leurs économies et qu’ils se sont parfois engagés jusqu’en 2030 pour le remboursement de leur prêt. Lorsqu’ils arriveront au bout de l’échéance, l’immeuble, lui, sera tombé depuis bien longtemps ! Cette situation est inacceptable.

Il est également inacceptable que des copropriétaires continuent à payer une location extérieure, en plus des frais de syndic de propriété, des assurances et des frais d’avocat pour une procédure qui, nous l’avons vu, se révèle interminable.

Mes chers collègues, permettez-moi de conclure ce propos liminaire en vous lisant un extrait du courrier que l’un des copropriétaires m’a adressé :

« Début 2014, nous avons été expulsés de cet appartement par un arrêté de péril. […] Depuis, c’est un calvaire, un cauchemar que nous vivons. Outre l’enfer d’avoir été expulsés de chez nous sans aucune aide proposée, sans aucun accompagnement. […]

« Aujourd’hui, je travaille, mais je dois faire face aux frais d’un logement de 656 euros de loyer hors charges, je dois rembourser un crédit de 550 euros pour l’appartement de Soulac-sur-Mer hors charges que je ne peux pas habiter, le tout avec un salaire de 1 800 euros. Si je rajoute les frais d’énergie, les impôts, les frais pour aller travailler, il me reste entre 100 et 200 euros pour vivre et faire vivre ma famille. […]

« Drôle de traitement pour des citoyens pourtant exemplaires, majoritairement des gens simples. […] Nous avons été obligés de faire une action en justice dans ce dossier, bien à contrecœur, rien ne se passant. Nous sommes à bout nerveusement, physiquement, intellectuellement. À tout cela s’ajoute l’humiliation subie par le fait que dans la même ville de Soulac-sur-Mer, à deux kilomètres de chez nous, a été protégée à grands frais une zone pavillonnaire. […] Nous ne demandons pas grand-chose, juste de quoi effacer notre crédit. » Et cette lettre est signée : « Une famille au bord du gouffre ».

Mes chers collègues, je vous remercie d’avoir écouté et, je l’espère, entendu la détresse de ces citoyens et citoyennes, victimes ignorées jusqu’à ce jour et qui, je l’espère, ne le resteront pas indéfiniment.

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