Intervention de Jérôme Bascher

Réunion du 16 mai 2018 à 14h30
Infractions financières et suppression du « verrou de bercy » — Rejet d'une proposition de loi modifiée

Photo de Jérôme BascherJérôme Bascher :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi nous permet de porter un regard plus approfondi sur un mécanisme qui revient régulièrement dans nos débats depuis 2013, après, faut-il le rappeler, qu’un ministre chargé du budget a été reconnu – reconnaissance pleine et entière depuis hier – comme fraudeur fiscal, une première dans cette République, ou qu’un secrétaire d’État s’est trouvé pris de phobie administrative.

Cette conjonction malheureuse pour deux anciens ministres socialistes, à l’époque a permis de faire connaître ce sujet original dans notre droit que l’on nomme « verrou de Bercy ». Elle explique aussi cette proposition de loi de Marie-Pierre de la Gontrie et du groupe socialiste et républicain, ouvrant le débat qui devra nous rassembler, monsieur le secrétaire d’État, sur le sujet de la fraude fiscale.

Le Sénat, dans la volonté de recherche de consensus qui le caractérise et qui fait la force du bicamérisme, présentera des propositions ambitieuses allant vers plus de transparence, sans supprimer le verrou.

Nous allons en égrener quelques-unes, bien avant le rapport de nos collègues de l’Assemblée nationale.

Le sujet, rappelons-le, n’est pas médiocre. Il touche à la conciliation de plusieurs principes qui se trouvent au cœur du pacte républicain : l’efficacité, l’égalité, mais aussi le principe de réalité.

Je voudrais d’abord revenir sur le mécanisme de ce fameux verrou.

Chaque année, l’administration conduit 1 million de contrôles sur pièces, mais surtout 50 000 contrôles fiscaux sur place.

L’objectif du contrôle fiscal est triple : recouvrer, sanctionner, dissuader. L’administration cherche donc à récupérer les droits et peut appliquer des pénalités allant de 40 % à 100 % selon les cas. L’application de ces pénalités de 40 % et plus concerne 15 000 dossiers, pour 4 à 5 milliards d’euros par an, soit 0, 2 point de PIB.

Tous ces dossiers n’ont pas vocation à être déférés devant l’autorité judiciaire. Le Conseil constitutionnel a limité aux cas les plus graves la possibilité de cumuler sanction administrative et sanction pénale.

Sur les 50 000 contrôles fiscaux externes, 4 000 sont qualifiés de « répressifs ». À ce stade, nous n’en sommes pas encore au « verrou de Bercy », à proprement parler. Nous nous situons non pas au 139 rue de Bercy, mais dans les directions départementales des finances publiques, les DDFiP.

L’administration centrale n’a pas à avoir connaissance de ces dossiers – encore moins le cabinet du ministre, dont la cellule fiscale a été supprimée en 2010. En fait, elle ne reçoit que 1 100 dossiers par an et les transmet presque tous à la commission des infractions fiscales.

Nous en arrivons alors à un élément central du verrou, lequel est en fait double, avec, du coup, possibilité d’une double critique.

D’une part, une plainte pénale pour fraude fiscale est irrecevable si elle n’est pas déposée par l’administration fiscale. D’autre part, cette administration ne peut déposer plainte que si elle y est autorisée par la CIF, ce qu’elle fait dans 90 % à 95 % des cas tant l’administration a intériorisé l’exigence de cette commission.

Je préfère le dire avec solennité : les membres de la CIF tout comme les équipes de l’administration fiscale sont indépendants et me semblent irréprochables. Les soupçons exprimés à l’encontre du verrou sont relativement insultants pour eux et pour le travail qu’ils réalisent. Ne cédons pas aux modes, car ce climat de défiance généralisé n’est pas sain !

Pour autant, j’invite les fonctionnaires, dès lors qu’ils n’ont rien à se reprocher, à ne pas avoir peur de plus de transparence et j’en viens aux pistes qui permettraient de rendre le dispositif « translucide » – la lumière passe, mais on ne peut pas identifier les personnes.

Aujourd’hui, la transparence est assurée par un certain nombre de rapports – rapport d’activité de la CIF, rapport au Parlement sur les remises et transactions, rapport du Comité du contentieux fiscal, douanier et des changes –, et ce sans compter les enquêtes menées régulièrement par la Cour des comptes.

Ce n’est plus suffisant, vous l’avez dit, madame Marie-Pierre de la Gontrie, et cela n’éclaire pas entièrement la question des critères utilisés pour la transmission des dossiers à la CIF.

Ces critères, réglés par circulaire, ont été en partie repris par le Conseil constitutionnel. Ce sont le montant des droits fraudés ; les manœuvres du contribuable, qui constituent une circonstance aggravante ; les circonstances relatives à la personne même du fraudeur, en espérant que le cas d’un ministre chargé du budget soit une exception.

Première proposition, monsieur le secrétaire d’État, la transparence pourrait être améliorée par l’inscription de certains de ces critères dans la loi.

L’importance de la question justifie effectivement l’intervention du Parlement. Mais il faut veiller à ne pas trop rigidifier le système : imaginons par exemple que l’on souhaite inscrire un seuil de 100 000 euros, seuil le plus communément admis, il faudrait trouver une rédaction qui supprime tout risque d’annulation de la procédure au motif qu’une fois devant le juge, on s’est rendu compte que le montant de l’impôt dû s’élevait à 99 500 euros seulement !

Je suis donc opposé à l’inscription d’un montant dans la loi.

Deuxième proposition, la transparence pourrait aussi être améliorée par un contrôle plus diversifié.

Je plaide pour un contrôle plus systématique, mais sous sa forme habituelle, par l’Inspection générale des finances dans les différentes DDFiP, ainsi que par la Cour des comptes du point de vue consolidé.

Gérald Darmanin a suggéré de faire entrer des parlementaires à la commission des infractions fiscales. Je ne pense pas que ce soit notre place ou notre mission, d’autant que le volume de travail de cette commission serait difficilement compatible avec notre agenda.

En revanche, troisième proposition, nous pourrions envisager que des parlementaires, habilités à cet effet, contrôlent les 50 dossiers rejetés chaque année par la CIF, afin de comprendre les raisons pour lesquelles il a été décidé de ne pas les transmettre à la justice. Ces parlementaires pourraient également, par voie de sondage, examiner une partie des 3 000 dossiers non transmis par l’administration à la CIF.

Bien entendu, ils devraient appartenir à tous les bords politiques, condition indispensable au rétablissement de la confiance.

Un tel examen, qui permettrait de comprendre concrètement le fonctionnement du système, me paraîtrait plus efficace que l’audition annuelle de la CIF prévue par la loi de 2013.

Quatrième proposition, les membres de la CIF désignés par les présidents des deux assemblées pourraient, plus logiquement, être proposés par le président et le rapporteur général des commissions des finances, afin d’assurer la pluralité.

S’agissant de la critique portant sur le principe d’égalité de traitement, elle s’appuie notamment sur l’intervention – fantasmée, je l’ai dit – du ministre dans certaines situations individuelles. Je rappelle, une fois de plus, que la cellule fiscale au cabinet du ministre a été supprimée en 2010.

Dans ce cadre, se pose aussi la question des transactions régies par l’article L. 247 du livre des procédures fiscales, car ces dernières supposent une négociation et laissent à l’administration une marge d’appréciation, d’ailleurs assez proche de celle du juge, qui, parfois, condamne un fraudeur exemplaire à 300 000 euros d’amende, alors qu’il aurait pu fixer le montant à 375 000 euros.

Dans les cas les plus importants, les transactions donnent lieu à une transmission au Comité du contentieux fiscal, douanier et des changes. Elles font l’objet d’un rapport annuel au Parlement et je voudrais montrer que leur ampleur n’est pas celle que l’on croit.

Les transactions n’ont concerné que 294 des 4 000 dossiers les plus importants, pour un montant total de 12, 5 millions d’euros. Pour l’essentiel, elles ont été passées avec des entreprises, les particuliers ne représentant qu’une petite part de 28 transactions, correspondant à un montant remis de 1, 8 million euros.

Ces transactions se justifient par leur efficacité, tout simplement, et l’efficacité doit rester un principe important en matière d’impôts.

L’action judiciaire, en revanche, doit être privilégiée dans un objectif d’exemplarité et de dissuasion, notamment lorsque la fraude est répétée année après année, ce qui – cinquième proposition, monsieur le secrétaire d’État – peut être considéré comme un critère supplémentaire.

Toutefois, lorsque les conclusions d’un dossier ne sont pas suffisamment certaines, est-il pertinent de mettre sur la place publique la situation d’une personne ou d’une entreprise de bonne foi ? Je vois là une question de protection des personnes, mais aussi des intérêts économiques.

Pour finir, j’en viens au monopole du dépôt des plaintes par l’administration. Cela répond à une logique très simple : l’État porte plainte parce que c’est lui la victime.

Sixième proposition, comme le Sénat l’a déjà voté, peut-être faudra-t-il permettre à l’autorité judiciaire d’étendre une enquête existante à des faits de fraude fiscale connexes.

Septième proposition, peut-être faudra-t-il aussi que la CIF puisse être saisie cette fois-ci par la justice pour que l’administration fiscale, qui ne peut pas tout détecter, s’empare utilement d’un dossier de fraude.

Enfin, autre amélioration et dernière proposition, il faudrait clarifier l’articulation entre l’article 40 du code de procédure pénale et le dispositif du « verrou de Bercy ».

Voilà un certain nombre de propositions qui seront à discuter en juillet et à enrichir, de manière consensuelle, dans le cadre de nos travaux au Sénat.

Je propose donc à notre assemblée de ne pas adopter ce texte, qui a pourtant le mérite d’engager, avant l’heure utile, le débat sur ce sujet essentiel.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion