Intervention de Olivier Dussopt

Réunion du 16 mai 2018 à 14h30
Infractions financières et suppression du « verrou de bercy » — Rejet d'une proposition de loi modifiée

Olivier Dussopt :

Je ne surprendrai donc personne en annonçant que le Gouvernement n’est pas favorable à une suppression pure et simple du « verrou de Bercy ». En revanche, et ce sera l’objet de mon intervention, je souhaite que nous puissions remettre aux parlementaires les clefs de ce verrou, en sanctuarisant dans la loi les critères déclenchant des poursuites pénales en matière de fraude fiscale, tout en renforçant leurs pouvoirs de contrôle.

Nous rejoignons ainsi la position de votre rapporteur, qui propose lui aussi l’inscription de ces critères dans la loi et l’amélioration du contrôle sur la sélection de ces dossiers.

J’ajoute, pour être complet, que le Gouvernement partage aussi pleinement les préoccupations du rapporteur en matière de préservation du secret fiscal. Ce dernier ne saurait être levé qu’en toute fin de procédure.

Le sujet – et c’est encore un point souligné par M. Bascher – doit être démythifié.

Premier mythe, le « verrou de Bercy » n’est précisément pas un verrou !

La disposition communément dénommée « verrou de Bercy » prévoit en effet que l’action pénale peut être engagée pour fraude fiscale uniquement sur le fondement d’une plainte préalable de l’administration fiscale. Est-ce si choquant ?

Dans beaucoup d’autres domaines de l’action pénale, personne n’imaginerait que l’on puisse engager des poursuites sans une plainte de la victime. Or, en cas de fraude, c’est le Trésor qui est lésé ! C’est donc en tant que victime que l’administration fiscale porte plainte pour engager l’action pénale.

En réalité, il y a derrière le sentiment que ce système est par trop verrouillé l’idée selon laquelle la fraude est non pas l’affaire d’experts, mais l’affaire de tous. C’est naturellement vrai. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude généralise la publication des sanctions en matière pénale et permettra la publication des sanctions administratives.

Pour autant, on voit mal comment les choses pourraient aller véritablement plus loin en la matière. Sans exigence de plainte préalable de l’administration, le juge judiciaire se retournera toujours vers l’administration fiscale pour caractériser la fraude et le dossier finira toujours par revenir chez l’expert…

Les finances publiques ne seront pas gagnantes à un changement de système, et la levée du « verrou » irait au-delà de notre objectif commun, qui est de sanctionner les fraudeurs et d’additionner aux sanctions administratives les sanctions pénales dans les cas les plus graves.

Je veux démonter un second mythe : la commission des infractions fiscales, la CIF, n’est pas un OVNI administratif.

Que fait cette commission ? D’abord, joue-t-elle le rôle d’un parquet comme on l’entend parfois ? En réalité, non. Elle s’emploie surtout à vérifier que le dossier est suffisamment solide et étayé juridiquement pour que l’on mobilise l’autorité judiciaire, dont elle sait qu’elle a de nombreuses autres préoccupations et qu’il est peut-être inutile de l’engorger inutilement.

Ce travail de filtre pose-t-il une difficulté ? Je ne le crois pas non plus, puisque la commission des infractions fiscales valide 85 à 95 % des propositions de plaintes selon les années.

Par ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, si certains parmi vous émettent des doutes à ce sujet, le Gouvernement ne saurait que conseiller à votre assemblée de s’emparer du pouvoir de contrôle que vous a donné la loi Sapin de 2013, qui oblige la commission à publier un rapport annuel et dispose qu’un débat sur son action doit avoir lieu chaque année devant les commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat. Le rapport prévu est élaboré chaque année et comporte des informations utiles. Le débat devant les commissions n’a jamais été organisé !

Faut-il pour autant laisser le système actuel en l’état, sans rien y changer ? Je ne le crois pas, et ce n’est pas la position du Gouvernement.

S’il existe tant de fantasmes autour du « verrou de Bercy », cela signifie que des évolutions sont nécessaires. Je rejoins ici M. le rapporteur quant à la nécessité de réformer le dispositif afin d’y introduire plus de transparence sur les critères de transmission des dossiers à la CIF. Cela permettra de dissiper les fantasmes, parmi lesquels l’idée selon laquelle le ministre en charge du budget déciderait lui-même de la transmission des dossiers.

Toutes les décisions de ne pas transmettre les dossiers à la CIF sont tracées et peuvent être auditées. Il y a donc sans doute de bonnes raisons de ne pas transmettre, soit que le dossier soit au contentieux devant le juge administratif, soit que la fraude ne soit, par exemple, pas suffisamment caractérisée. Aucune main invisible n’intervient pour protéger certains et en exposer d’autres. Votre rapporteur a souhaité, à ce titre, que des parlementaires habilités puissent mieux contrôler le travail de transmission de l’administration fiscale. Le Gouvernement est favorable à cette proposition.

En réalité, comme Gérald Darmanin a eu l’occasion de le dire et de le proposer devant la mission d’information de l’Assemblée nationale, nous considérons que la loi devrait être plus claire sur les critères de définition des dossiers fiscaux donnant lieu à proposition de poursuite pénale, qu’il s’agisse du montant des droits fraudés, des agissements du contribuable ou encore du contexte du dossier.

Je pense également que, en matière de présomption de fraude, c’est-à-dire lorsque la fraude n’est pas encore caractérisée, les instruments à disposition de l’administration n’étant pas suffisants, ou lorsque la démonstration de la fraude nécessite la mise en œuvre de méthodes d’enquête beaucoup plus intrusives, le sas de la CIF n’est pas nécessaire. En effet, il s’agit non pas ici de rajouter une couche pénale aux sanctions déjà appliquées au niveau fiscal, mais de passer le témoin du contrôle fiscal à la police fiscale afin de poursuivre l’enquête.

Le Gouvernement considère, en revanche, qu’une ligne rouge ne doit pas être dépassée : celle qui consisterait à remettre en cause le principe de plainte préalable de l’administration, en cas de connexité par exemple. C’est avant tout un sujet de coordination des procédures. Il faut veiller à ce que les choses soient faites dans l’ordre et à ne transmettre à la CIF que les dossiers les plus graves et pour lesquels l’application de sanctions pénales complémentaires aux sanctions administratives paraît justifiée.

De fait, comme M. le rapporteur l’a rappelé voilà un instant, en cas de suppression de l’exigence de plainte préalable, nous nous exposerions à deux problèmes très pratiques.

Premièrement, les procédures parallèles devant le juge judiciaire et le juge administratif se multiplieraient. Des contentieux formés sur un même dossier risqueraient ainsi d’aboutir à la situation ubuesque dans laquelle, par exemple, un contribuable serait condamné pénalement pour fraude, mais verrait ses rappels et pénalités annulés devant le juge administratif.

Deuxièmement, les procédures se multipliant, le nombre de dossiers dans lesquels sanctions pénales et sanctions administratives se cumuleront augmenterait nécessairement. Ce cumul de peines est, certes, admis par le Conseil constitutionnel, mais seulement dans les cas les plus graves. La nécessité d’un processus sélectif pour amener les dossiers au pénal est donc consubstantielle à ce principe. Elle s’imposera, quoi que l’on veuille, à toute évolution de notre procédure actuelle.

Je note, d’ailleurs, que la procureur du Parquet national financier, le PNF, ne disait pas autre chose lorsqu’elle déclarait, en mai 2016, que « le rôle de filtre assuré par la CIF est une bonne chose, dans la mesure où il faut être pragmatique : la justice serait dans l’incapacité de traiter l’ensemble des plaintes ».

En conclusion, vous l’aurez compris, le Gouvernement ne souhaite pas l’adoption de cette proposition de loi, tant la suppression complète et immédiate à la fois du monopole du dépôt des plaintes par l’administration fiscale et de la validation de la CIF aurait des conséquences sur l’engorgement de la justice ou l’efficacité dans le recouvrement des sommes dues et des pénalités. À vouloir tout judiciariser, nous risquons d’affaiblir l’efficacité de notre système répressif, ce qui serait contraire à l’objectif.

La voie que nous vous proposons constitue une véritable amélioration de notre système. Elle consiste, comme je l’ai indiqué il y a un instant et comme l’a proposé votre rapporteur, à maintenir le « verrou », mais à vous en remettre les clefs, à vous, parlementaires, en définissant dans la loi les critères de transmission des dossiers et en renforçant vos moyens de contrôle, conformément au principe de la séparation des pouvoirs.

Pour terminer, je veux vous répondre, madame la sénatrice Marie-Pierre de la Gontrie. Vous avez eu l’amabilité de dire que vous étiez heureuse de me retrouver au banc du Gouvernement, ce qui m’a doublement surpris.

Vous avez rappelé que j’étais favorable à un aménagement du « verrou ». Je pense qu’il faut être encore plus précis.

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