Intervention de Yvon Collin

Réunion du 16 mai 2018 à 14h30
Infractions financières et suppression du « verrou de bercy » — Rejet d'une proposition de loi modifiée

Photo de Yvon CollinYvon Collin :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, après les excellentes interventions des orateurs précédents, je m’exprimerai à mon tour sur le sujet qui nous intéresse aujourd’hui.

Au fond, la question que pose le « verrou de Bercy » est celle de la séparation des pouvoirs et de la transparence dans les relations entre administration fiscale et autorité judiciaire.

Le « verrou de Bercy » constitue une exception à la procédure judiciaire. Alors que, en temps normal, seul le procureur de la République décide d’engager des poursuites pénales, l’auteur présumé d’une infraction fiscale ne peut être poursuivi que sur plainte de l’administration, après avis conforme de la commission des infractions fiscales, la CIF – autorité administrative indépendante, créée en 1977 et composée de vingt-quatre magistrats.

En effet, en vertu de l’article L. 228 du livre des procédures fiscales, « les plaintes tendant à l’application de sanctions pénales en matière d’impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d’affaires, de droits d’enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre sont déposées par l’administration sur avis conforme de la commission des infractions fiscales », et ce sous peine d’irrecevabilité.

Toujours selon le même article, « la commission examine les affaires qui lui sont soumises par le ministre chargé du budget. Le contribuable est avisé de la saisine de la commission qui l’invite à lui communiquer, dans un délai de trente jours, les informations qu’il jugerait nécessaires. » L’administration fiscale possède donc le monopole du déclenchement de poursuites pénales en matière de fraude fiscale.

Ce privilège légal remonte aux années 1920, à une époque où l’État souhaitait recouvrer plus efficacement les impôts. Il faut le reconnaître, l’État, le « plus froid de tous les monstres froids », comme l’a appelé Nietzsche, se préoccupe plus souvent d’efficacité que d’éthique. Mais cette particularité a-t-elle encore une raison d’être aujourd’hui ?

Le « verrou de Bercy » est un sujet bien connu au Sénat. Nous en avons débattu à maintes reprises, ces dernières années. Il est déjà arrivé à notre assemblée de voter sa suppression ou, à tout le moins, son assouplissement.

Ce fut le cas l’an dernier, lors des débats sur la loi pour la confiance dans la vie politique. Ce le fut également lors de l’examen de la loi Sapin II, en 2016, au cours duquel un amendement de notre excellent collègue Éric Bocquet prévoyant la levée du « verrou de Bercy » pour fraude fiscale associée à d’autres activités criminelles ou délictuelles avait été adopté.

Je rappellerai également que le groupe du RDSE, sur l’initiative de notre tout aussi excellent collègue Pierre-Yves Collombat, avait proposé de confier l’initiative de poursuites au procureur de la République financier sur avis simple de la commission des infractions fiscales.

S’il avait reconnu la légitimité du débat, Michel Sapin avait néanmoins émis un avis défavorable, considérant que l’efficacité du dispositif devait primer sur les considérations éthiques.

Il est vrai que les arguments contre une suppression sèche du « verrou de Bercy » ne manquent pas : expertise reconnue de l’administration fiscale, efficacité pour récupérer des sommes dues, réponse pénale existant déjà dans les cas les plus graves, possibilité d’engager des poursuites pour le blanchiment de fraude fiscale, et, surtout, risques liés à un transfert brutal à l’autorité judiciaire sans dispositif transitoire – engorgement, perte d’expertise, de confidentialité…

Toutefois, les arguments en faveur d’une plus grande transparence, notamment s’agissant des critères de sélection des dossiers transmis par la CIF au juge pénal – montant concerné par la fraude, agissements du contribuable, circonstances personnelles – gardent toute leur pertinence.

Le manque de données sur le nombre de dossiers traités, l’ampleur des affaires et celle des transactions contribuent à la crispation des positions sur ce débat, ce qui n’est ni sain ni acceptable.

Il faut néanmoins souligner les progrès accomplis ces dernières années. Même s’il reste du chemin à parcourir pour en finir avec la fraude, un changement de culture, comme le rappelle l’exposé des motifs de la proposition de loi, s’est opéré et la lutte contre l’évasion fiscale a gagné en efficacité.

De nouveaux outils ont été créés. Je pense à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et au Parquet national financier.

Après l’affaire Cahuzac, la Haute Autorité a rendu publics des manquements ayant entraîné la démission de deux anciens ministres. Chargé des affaires les plus complexes, le Parquet national financier a obtenu quelques condamnations fortes et symboliques.

La loi Sapin II de 2016 a notamment accordé un statut aux lanceurs d’alerte, créé l’Agence française anticorruption et introduit l’infraction pour corruption d’agent public étranger.

Enfin, le guichet pour les fraudeurs repentis, ouvert entre 2013 et 2017, a permis de régulariser quelque 32 milliards d’euros d’avoirs et de recouvrer près de 8 milliards d’euros.

La présente proposition de loi permettrait, si elle était adoptée, d’approfondir logiquement ce changement culturel. C’est la raison pour laquelle les membres du groupe du RDSE sont, dans leur très grande majorité – à une exception près –, favorables à son adoption.

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