Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le dispositif du « verrou de Bercy » confie à l’administration fiscale française le monopole des décisions de poursuite judiciaire en matière de fraude fiscale. Il s’agit du seul délit que les parquets ne peuvent poursuivre de façon autonome. Ce « verrou » est donc un dispositif dérogatoire au droit commun.
L’administration opérant un filtre, ce manque de transparence est critiqué. D’aucuns pensent que des affaires de fraude fiscale sont ainsi étouffées. En réalité, ce dispositif est très encadré. Il a la vertu de l’efficacité, ce qui permet à Bercy de récupérer plus vite les sommes dues.
Certes dérogatoire, le « verrou de Bercy » est parfaitement conforme à la Constitution : il est donc encadré juridiquement. Dans sa décision du 22 juillet 2016, le Conseil constitutionnel estime que ce mécanisme ne porte pas « une atteinte disproportionnée au principe selon lequel le procureur de la République exerce librement […] l’action publique ». Une fois la plainte déposée, le parquet a « la faculté de décider librement de l’opportunité d’engager des poursuites. »
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel juge que l’administration fiscale est la mieux placée pour estimer le préjudice qui lui est causé par la fraude fiscale et qu’ainsi « l’absence de mise en mouvement de l’action publique ne constitue pas un trouble substantiel à l’ordre public. »
Enfin, le « verrou de Bercy » s’inscrit, selon le Conseil constitutionnel, « dans le respect d’une politique pénale déterminée par le Gouvernement ».
Par ailleurs, ce dispositif est encadré par une autorité administrative indépendante – la commission des infractions fiscales –, composée de membres du Conseil d’État, de conseillers de la Cour des comptes, de magistrats de la Cour de cassation et de personnalités qualifiées nommées par les présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale. C’est elle qui décide du dépôt de plainte ou non. Dans les faits, 90 % des dossiers qui lui sont transmis font l’objet d’une plainte.
En amont de cette commission, l’administration fiscale effectue un travail de contrôle : chaque année, elle opère 1 million de contrôles sur les pièces transmises pour la déclaration d’impôt et 50 000 contrôles fiscaux. Elle réalise un travail d’investigation très pointu qu’un magistrat pénal ne pourrait effectuer aussi rapidement et facilement, ne disposant pas de l’expertise technique de Bercy. Il aurait, de toute façon, besoin des services de l’administration pour être éclairé.
En outre, le secret fiscal est parfaitement préservé par Bercy, ce qui n’est, hélas !, pas toujours le cas du secret de l’instruction. Nous avons pu constater à plusieurs reprises que, de manière très sibylline, des pièces de dossiers en cours d’instruction sont publiées dans la presse…