À cet égard, je veux remercier Mme Marie-Pierre de la Gontrie d’avoir déposé cette proposition de loi, qui permet d’ouvrir le débat.
Je me réjouis également que de nombreux membres du groupe socialiste et républicain qui auraient pu, en qualité de ministre, initier ce débat lorsqu’ils exerçaient des responsabilités – mais à tout pécheur, miséricorde… – se posent aujourd’hui la question du « verrou » fiscal.
Ce dispositif est d’ailleurs non pas un verrou, mais un point de passage obligé. Comme Jérôme Bascher l’a souligné avec pertinence, il s’agit non pas d’empêcher – ce qui est la fonction d’un verrou –, mais de contrôler.
Nous avons le choix entre deux extrémités également condamnables : faire de Bercy et de l’administration le « cercle des dossiers disparus », ce qui donnerait le sentiment d’une obscurité coupable, ou accepter le pilori en place de Grève, avant qu’il y ait eu instruction et, a fortiori, condamnation, ce qui est malheureusement souvent le cas lorsque la procédure emprunte la voie strictement judiciaire.
Les interventions précédentes, notamment celles de nos collègues avocats, ont justement rappelé un certain nombre de vérités. Si l’affaire était facile, cela se saurait. Depuis que ce principe a été posé en 1920, on peut relever certaines interventions prudentes. Je songe, par exemple, à la création de la commission des infractions fiscales en 1977.
Souvenons-nous, le président élu à cette époque avait bénéficié indirectement et involontairement de la transmission par la presse d’une information fiscale concernant l’un de ses compétiteurs. Ce fut une première. Sans doute avait-il eu la volonté de faire en sorte que ce secret soit maintenu, pour préserver l’égalité des citoyens et ne pas les exposer à la pression de Bercy, tout en veillant à ce que ce ministère ne devienne pas le cercle des dossiers disparus. En effet, la commission des infractions fiscales, élargie aux magistrats honoraires de la Cour de cassation, permet aujourd’hui un contrôle.
Interventions donc en 1920, 1977 et 2013. Et aujourd’hui ? La société du numérique, que nous l’aimions ou pas, que nous le voulions ou pas, est une société de la transparence. C’est aussi celle des data massives, des innombrables banques de données et de l’intelligence artificielle. On l’imagine assez bien, les contrôles fiscaux changeront progressivement de nature et gagneront en exhaustivité par rapport au système du prélèvement aléatoire, qui ne permet pas d’établir une véritable égalité.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous ne pourrons pas aller au bout de ce débat. La position adoptée par le rapporteur et défendue par le groupe auquel j’appartiens est pertinente. Le débat est ouvert, et ne sera pas tranché, ce d’autant moins que l’Assemblée nationale s’exprimera la semaine prochaine sur ce sujet, vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, à l’occasion du dépôt du rapport de la mission d’information présidée par M. Éric Diard et dont la rapporteur est Mme Émilie Cariou – nous connaissons tous sa compétence. Ce rapport enrichira le débat et dégonflera sans doute un certain nombre d’illusions, notamment celle de l’existence d’une caverne magique, un antre d’Ali Baba, permettant de récupérer rapidement 80 milliards d’euros de fraudes fiscales.
À cet égard, la définition de la fraude fiscale mériterait d’être contrôlée et vérifiée, et ce sera sans doute l’un des sujets traités lors de l’examen en juillet prochain du texte de Gérald Darmanin. Il serait utile de s’entendre sur ces termes, entre optimisation et délinquance pure et simple.
Il ne me paraît donc pas possible, en cet instant, de céder à la tentation qui anime implicitement les auteurs de cette proposition de loi, à savoir l’idée selon laquelle la voie judiciaire constituerait le moyen de rendre les choses les plus publiques possible, rejoignant ainsi l’idée de pilori que j’évoquais tout à l’heure. Ainsi, ceux qui seraient soupçonnés de fraude ne seraient libérés de ce soupçon qu’au terme de plusieurs années de procédure judiciaire, tant la justice est confrontée, on le sait, à de nombreuses difficultés.
Je compte donc sur le texte de Gérald Darmanin pour approfondir une question bien présentée par notre rapporteur, lequel ne peut pourtant prétendre en cet instant, il le reconnaît lui-même, à une solution définitive. Il serait malheureux d’abandonner une procédure qui rend implicitement hommage au sérieux, à la responsabilité, au professionnalisme, mais aussi – et ce n’est pas sans importance – à la discrétion de l’administration des impôts, laquelle est assurément un facteur de cohésion et de respect de l’État pour l’ensemble des citoyens, contribuables pour les impôts indirects et largement représentés pour les impôts directs.