Intervention de Françoise Gatel

Réunion du 16 mai 2018 à 21h30
Évolution des droits du parlement face au pouvoir exécutif — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Françoise GatelFrançoise Gatel :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui de l’évolution du rôle du Parlement face au pouvoir exécutif. Il ne pourrait être de débat plus brûlant et plus pertinent à la suite du vote bloqué auquel nous venons d’assister sur la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles et compte tenu de l’impatience, voire de l’excitation, liée à l’ouverture prochaine des discussions parlementaires sur la future révision constitutionnelle.

Mes chers collègues, remontons quelques instants, si vous le voulez bien, à la genèse de la Ve République. Les pères fondateurs souhaitaient rompre avec l’instabilité ministérielle caractéristique de la IVe République en instituant un parlementarisme que l’on disait déjà rationalisé. Dans ce cadre, l’opposition parlementaire pouvait difficilement se faire entendre, et les possibilités pour l’Assemblée nationale de renverser le Gouvernement étaient limitées. La fonction de contrôle de l’action gouvernementale était en quelque sorte neutralisée, privant en partie le Parlement de son rôle de contre-pouvoir. L’affirmation de l’exécutif était au cœur du projet constitutionnel, volonté intimement liée à une vision dépréciée du pouvoir législatif, qu’il s’agissait de limiter.

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, marqua un tournant fondamental dans l’histoire de nos institutions. Après plusieurs décennies de subordination, les pouvoirs du Parlement ont été fort opportunément reconsidérés et la tutelle de l’exécutif singulièrement diminuée. Ainsi, le Gouvernement ne peut plus recourir de manière parfois abusive ou illimitée à l’article 49.3. Par ailleurs – c’est extrêmement important –, il n’est plus l’unique maître de l’ordre du jour, celui-ci étant partagé. Enfin, les droits de l’opposition ont été renforcés et les conditions de discussion des projets et propositions de loi améliorées par la réhabilitation des commissions, le débat parlementaire ayant aujourd’hui lieu non pas sur le texte proposé par le Gouvernement, mais sur un texte élaboré, et souvent amélioré, par les parlementaires. La portée et la qualité des délibérations en sont enrichies.

La révision constitutionnelle de 2008 a marqué une étape extrêmement importante dans l’histoire de notre démocratie en procédant à un rééquilibrage des pouvoirs.

Aujourd’hui, le Gouvernement entend faire une réforme « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace ». Madame la garde des sceaux, permettez-moi d’exprimer les interrogations assez fortes du groupe Union Centriste sur les conséquences des dispositions annoncées – ou dont on entend beaucoup parler – et qui ressemblent fort à une limitation des droits du Parlement.

Sous couvert d’un souci d’efficacité, l’ordre du jour pourrait être confisqué aisément par l’exécutif. Dès lors qu’un texte relatif à la politique économique, sociale ou environnementale serait jugé urgent, le Gouvernement pourrait décider de l’inscrire en priorité à l’ordre du jour. Il y a un risque que les urgences se transforment en ordinaire et deviennent la norme, l’ordre du jour réservé aux parlementaires se réduisant comme peau de chagrin.

Autre signe inquiétant : le Gouvernement envisage un droit d’amendement encadré par de nouveaux critères de recevabilité particulièrement sévères qui contreviennent au pouvoir d’initiative et à la liberté des parlementaires, alors que les textes adoptés par le Parlement sont aujourd’hui majoritairement des projets de loi et que l’amendement constitue notre principale arme législative – au sens positif et pacifique du terme.

Enfin, le rôle de contrôle du Parlement sur l’action du Gouvernement est passé sous silence. C’est le grand oublié de la révision constitutionnelle, alors qu’il s’agit d’une mission essentielle du Parlement. Dans toutes les grandes démocraties libérales, les parlementaires devraient ainsi disposer de moyens d’action renforcés pour évaluer les politiques publiques et l’efficience de l’action publique.

Disons-le clairement, le travail parlementaire est perfectible ; il doit être amélioré et sans doute nous arrive-t-il souvent – il faut le confesser pour parler vrai et juste – de nous sentir encombrés face à une inondation d’amendements présentés sur certains textes. Il faut toutefois reconnaître que, parallèlement à la contribution forte des législateurs à cette incontinence d’amendements, la responsabilité de l’exécutif ne doit pas être niée, car nous avons affaire à des projets de loi confus, insuffisamment préparés, voire fourre-tout ou s’apparentant à des cabinets de curiosités – je fais référence au projet de loi Égalité et citoyenneté dont j’étais rapporteur.

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