Intervention de Jean-Claude Requier

Réunion du 16 mai 2018 à 21h30
Évolution des droits du parlement face au pouvoir exécutif — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Photo de Jean-Claude RequierJean-Claude Requier :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la nature des relations entre le Parlement et le Gouvernement est un sujet de premier ordre dans une démocratie : elle mérite que l’on s’interroge plus encore à l’approche d’une importante réforme constitutionnelle.

Depuis l’installation d’un régime parlementaire sous la IIIe République, les droits du Parlement ont régulièrement évolué sous l’effet de révisions constitutionnelles, mais également en fonction de pratiques institutionnelles variables. Ils ne peuvent donc jamais être regardés comme acquis et doivent sans cesse être défendus par ceux qui ont reçu un mandat de la Nation et qui sont résolus à l’honorer. La défense de ces droits commence par leur exercice plein et entier : le droit de questionner et de contrôler l’action gouvernementale, mais également le droit de proposer des textes de loi de leur propre initiative ou d’amender ceux qui sont soumis à leur examen.

Plusieurs des grands progrès intervenus sous la IIIe et la IVe République sont à mettre au crédit de parlementaires, en particulier les radicaux, qui ont eu l’ambition d’exercer pleinement les droits attachés à leur mandat. Je pense en particulier aux lois scolaires soutenues au Parlement par les « Républicains opportunistes » et à la loi de séparation des Églises et de l’État, dont l’équilibre final fut imposé par la chambre des députés au ministre, conduite par son rapporteur Aristide Briand. Ironiquement, c’est pourtant le nom du ministre Émile Combes, le « petit père Combes », qui est resté pour la postérité…

Les fondateurs de la Ve République, constatant les limites des précédents régimes liées à l’instabilité gouvernementale, ont considérablement encadré les droits des parlementaires, au nom d’un parlementarisme dit « rationalisé ».

Le droit d’interpellation, redouté par tous les présidents du Conseil, qui étaient les Premiers ministres de l’époque, a été réduit à néant avec l’instauration de la procédure de motion de censure à l’article 49.

Le droit d’amendement a également subi d’importantes limitations, en étant restreint au domaine de la loi, explicitement défini dans le texte constitutionnel, et considérablement encadré par la règle de l’irrecevabilité financière.

Quant à l’initiative parlementaire des groupes minoritaires ou d’opposition, elle a disparu jusqu’à la révision constitutionnelle de 2008 et l’introduction d’un ordre du jour réservé.

Mais, en parallèle, la croissance de la production normative européenne continue de représenter un défi pour notre parlement, qui reste relativement peu associé aux travaux des institutions européennes en comparaison des pratiques que l’on observe ailleurs, comme en Allemagne.

Il faut y ajouter les faibles pouvoirs de contrôle, alors que le champ et les moyens des commissions d’enquête sont considérablement encadrés par le droit et la jurisprudence constitutionnels, contrairement à ceux dont jouissent la Chambre des représentants et le Sénat américains.

Pourtant, malgré sa capacité d’action contrainte, y compris après le rééquilibrage institutionnel de 2008, la Haute Assemblée a toujours fait un usage raisonné de ses droits : l’obstruction y est rare et le manquement aux règles des irrecevabilités y est strictement sanctionné. Lors de l’examen de la loi pour un État au service d’une société de confiance en commission, trente-cinq amendements ont ainsi été déclarés irrecevables au titre de l’article 45 et cinq au titre de l’article 40.

La récente adoption de la procédure de législation en commission, la PLEC, illustre par ailleurs la capacité de notre institution à s’autoréguler, dans un souci d’efficacité législative.

Pour notre part, nous restons attachés à la conception du parlementarisme des jeunes radicaux que décrivait Jean Jaurès dans La Dépêche du 30 juillet 1887, c’est-à-dire une méthode de travail où des « efforts incessants de conciliation et de transaction » permettent de dépasser les clivages et soutenir les progrès sociaux et économiques. Or cette conception implique a minima de laisser les parlementaires exercer leur droit d’amendement dans des conditions symétriques à celles du Gouvernement.

Nous considérons en outre que l’existence de discussions sincères et développées au Parlement est la meilleure réponse que nous puissions apporter au besoin de transparence de nos concitoyens, devenu impérieux. La publication des amendements soutenus par chaque parlementaire permet justement une grande traçabilité de l’activité des uns et des autres, donc de leurs responsabilités. De même, la publicité des débats permet également l’explicitation d’arbitrages réalisés au niveau interministériel et de s’assurer que l’ensemble des intérêts ont été pris en compte.

Il n’est pas anodin que ce débat proposé par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste se tienne dans le contexte particulier né de l’utilisation du vote bloqué sur une proposition de loi visant à revaloriser les pensions de retraite agricoles. Il intervient également après plusieurs réformes ayant contribué à affaiblir indirectement la capacité des parlementaires à apporter des solutions concrètes aux attentes de leurs concitoyens sur le terrain, qu’il s’agisse de l’encadrement du cumul des mandats ou de la suppression de la réserve parlementaire. En cherchant la vertu à tout prix, on crée des parlementaires hors sol.

L’inadéquation entre les moyens juridiques accordés aux parlementaires et la grande responsabilité collective que leur attribuent les citoyens, par leur appartenance à ce qu’on appelle la « classe politique », a atteint sur ce sujet un point critique. Ce constat constituera le point de départ de la réflexion que le groupe du RDSE s’apprête à mener à l’approche de la réforme constitutionnelle.

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