Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, lorsque, au groupe communiste républicain citoyen et écologiste, nous pensons à une réforme de la Constitution, nous avons tendance à l’envisager avec une visée : l’émancipation humaine. Quand cette réforme touche aux institutions, au champ de la représentation, nous ne pouvons la concevoir sans l’idée d’introduire de nouveaux droits, tant pour les citoyens que pour le Parlement.
Les deux projets de loi, l’un organique, l’autre ordinaire, qui composeront le projet de réforme des institutions ont récemment été transmis au Conseil d’État. À en croire leurs intitulés, ils viseraient une « démocratie plus représentative et efficace ». Ils ne répondent pourtant ni à l’un ni à l’autre de ces objectifs.
En vérité, cette proclamation n’est qu’une fable racontée par un système en crise. Cette crise est celle de la démocratie et de ses institutions. Jamais, en effet, une révision constitutionnelle n’est venue diminuer ainsi les pouvoirs du Parlement !
Baisse conséquente du nombre de parlementaires, attaque sournoise contre le droit d’amendement, dangereuse accélération de la procédure législative et de celle du vote du budget – laquelle serait ramenée de soixante-dix à cinquante jours –, ordre du jour cadenassé par le Gouvernement, alors que tous les autres pays d’Europe – référence a été faite à l’Europe – connaissent des parlements libres de le déterminer eux-mêmes : en quoi de telles mesures renforcent-elles la démocratie et favorisent-elles l’émancipation citoyenne ? Question à laquelle il va bien vous falloir répondre, madame la garde des sceaux…
Montesquieu a dit : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » Or s’il y a bien une chose que ces projets ne prévoient pas, ce sont des contre-pouvoirs.
La réforme est une attaque portée au bicamérisme et à la démocratie parlementaire, parce qu’ils sont l’expression et le gage des contre-pouvoirs institutionnels. Car ce qui est mis en œuvre, c’est un programme de renforcement pernicieux de l’exécutif et de disparition des idées différentes.
Si le Parlement est la cible du Président, c’est justement parce qu’il est le lieu de représentation du peuple français et des territoires de notre pays, dans toute leur diversité. La défiance de l’exécutif à l’égard du pouvoir parlementaire traduit ainsi celle qu’il nourrit envers les citoyennes et les citoyens.
La modification des modes de scrutin et la réduction du nombre des parlementaires vont non seulement éloigner le peuple de ses représentants, mais aussi renforcer davantage encore les logiques de polarisation et d’éviction des opinions situées aux extrémités du champ politique. Un député ou une députée pour 241 000 habitants, un sénateur ou une sénatrice pour environ 400 000 habitants : est-ce ainsi qu’on renforce le rôle et le pouvoir du Parlement ? On favorise, au contraire, la distance entre les citoyens et leurs représentants et la désaffection des premiers pour les seconds.
L’introduction d’une maigre proportionnelle ne changera rien au mécanisme qui s’enclencherait à la suite d’une telle réforme. Que pèsent quelques dizaines de parlementaires ainsi élus face à l’amputation subie par des départements comme les Bouches-du-Rhône, la Seine-Maritime, le Nord, les Hauts-de-Seine, le Puy-de-Dôme ou encore la Seine-Saint-Denis, pour ne citer qu’eux, qui perdraient près de la moitié de leurs représentants ? Cette réforme promet de faire apparaître sur la carte de France de la représentation politique un monochrome inquiétant !
La réduction des pouvoirs du Parlement se fera au profit des technocrates, d’un gouvernement d’experts et de manageurs, qui, sous leur double casquette – certains sont experts et manageurs, suivant leur période de temps d’exercice professionnel –, croient détenir des vérités générales, considèrent les opinions divergentes et plurielles avec mépris, comme on l’a vu précédemment, et pensent qu’il n’existe pas plusieurs façons de voir le monde, mais seulement celle des détenteurs du pouvoir.
Cette loi est un verrou : elle ne vise qu’à tout clôturer, tout cloisonner, tout enfermer ! Il s’agit de museler les oppositions, les contestations, les propositions alternatives à celles que dicte la loi du marché. Elle est un outil au service de la stratégie managériale d’un Président qui considère la France comme sa start-up, exigeant sacrifices, obéissance et entrain pour la mise en place d’une politique qui ne sert que les intérêts privés des plus privilégiés. Rien ni personne ne doit être en mesure de proposer un autre horizon que la marchandisation du monde !
Or le Parlement n’est pas et ne doit pas se limiter à être une chambre d’enregistrement des décisions gouvernementales. Le Parlement est et doit être encore davantage une institution de contrôle du pouvoir, mais aussi une force de proposition de lois. Le Parlement est et se doit d’être toujours plus le témoin et le représentant de la diversité du peuple de notre pays.
Madame la garde des sceaux, où sont l’audace et la modernité dont se targue pourtant si souvent le Gouvernement dans la réforme qu’il propose ?
Une réforme constitutionnelle moderne et ambitieuse ne peut être qu’une réforme permettant l’éclosion de droits nouveaux et progressistes, loin des logiques et des stratégies électoralistes visant à asseoir encore davantage le pouvoir en place, à délégitimer l’opposition et à faire taire toutes les formes de contestation.
Une réforme constitutionnelle moderne et ambitieuse est celle qui traduit la confiance dans la démocratie et le Parlement, par exemple en inversant le calendrier des élections. Mettez les législatives avant la présidentielle !