Intervention de Nicole Belloubet

Réunion du 16 mai 2018 à 21h30
Évolution des droits du parlement face au pouvoir exécutif — Débat organisé à la demande du groupe communiste républicain citoyen et écologiste

Nicole Belloubet :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie les orateurs pour ce débat riche et je salue l’initiative du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, qui nous permet d’aborder, un peu avant l’heure, les débats constitutionnels qui nous occuperont dans les prochaines semaines et les prochains mois. C’est l’occasion pour moi de clarifier un certain nombre d’éléments et de revenir, à travers le prisme que vous avez choisi et en l’élargissant un peu, sur les objectifs du projet de réforme constitutionnelle, présenté par le Gouvernement au nom du Président de la République et déposé sur le Bureau de l’Assemblée nationale le 9 mai dernier.

Je commencerai par revenir sur les sources et les objectifs de ce projet de révision constitutionnelle.

Ce projet n’est pas le fruit du hasard : il répond à une attente profonde de nos concitoyens, sur fond de crise, tout aussi profonde, de notre démocratie représentative – M. Kerrouche a eu raison de parler de désenchantement démocratique.

L’abstention, le rejet global du monde politique, la crise des formations partisanes traditionnelles, les votes extrêmes, des violences, parfois, dans l’expression des convictions politiques : autant d’éléments qui traduisent une réalité qu’on ne peut pas nier.

Le vote de 2017, lors du scrutin présidentiel puis des élections législatives, a été clair : le besoin de rénovation est immense, et il serait illusoire de penser qu’on peut se dispenser d’y répondre avec une certaine force.

J’insiste sur cet enjeu, car je ne voudrais pas que ceux qui nous écoutent considèrent que nos débats, finalement, ne les concernent pas et que nous serions engagés dans une discussion institutionnelle autocentrée. Au contraire, tout l’enjeu est pour nous de regagner la confiance de l’ensemble des Français.

De ce point de vue, le Président de la République et son gouvernement ont choisi une méthode très simple : ils entendent respecter les engagements pris devant les Français l’année dernière. C’est notre feuille de route, la seule. Elle a été exposée par le Président de la République dans son discours au Congrès, le 3 juillet dernier.

Le projet de loi constitutionnelle, dont vous avez bien voulu rappeler l’intitulé – « pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace » –, et les deux textes, l’un organique, l’autre ordinaire, qui vous seront prochainement présentés, répondent à ces engagements. Il ne s’agit donc pas, comme l’a soutenu M. Bonhomme, d’un « prurit réformateur », mais d’engagements précis ayant fait l’objet d’un vote des Français.

Parmi ces engagements figurent notamment la diminution du nombre de parlementaires, dont il a été souligné qu’il pouvait être corrélé au rôle joué par le Parlement, l’introduction d’une dose de proportionnelle pour l’élection des députés et la limitation du cumul des mandats dans le temps.

J’ai bien sûr entendu les interrogations et les critiques, mais aussi les soutiens à ces différentes propositions. Je partage avec vous la certitude que ces évolutions, dans leur ensemble, auront des conséquences sur la manière de concevoir la fonction parlementaire à l’avenir. D’ailleurs, la fin du cumul des mandats a largement contribué à entamer cette évolution.

Nous avons sans doute des pratiques différentes à imaginer, un nouveau type de relations à établir avec les citoyens et les élus locaux et une nouvelle conception de la représentation à inventer. Il est certain que ces évolutions conduiront les membres des assemblées parlementaires à concevoir différemment l’exercice des fonctions qui leur sont confiées par l’article 24 de notre Constitution : légiférer, contrôler l’action du Gouvernement et évaluer les politiques publiques. Mais rien de tout cela ne doit conduire à revenir à un Parlement infantilisé ou à engager un « retour vers le futur », pour reprendre l’expression de M. Kerrouche.

Le projet de loi constitutionnelle entend tirer les conséquences des évolutions que notre pays a connues depuis la révision constitutionnelle de 2008, évolutions qui nous imposent de reconsidérer certains modes de fonctionnement de nos institutions, sans pour autant toucher à leur équilibre.

Comme le Premier ministre l’a affirmé, cette révision constitutionnelle n’a pour objet ni un retour à la IVe République ni une aventure vers une VIe République. Il s’agit de respecter l’esprit des institutions, que le général de Gaulle, dans une célèbre conférence de presse de 1964, caractérisait par « la nécessité d’assurer aux pouvoirs publics l’efficacité, la stabilité et la responsabilité ».

Sur ces bases, les objectifs du projet de loi constitutionnelle sont de trois ordres.

D’abord, nous souhaitons une démocratie plus représentative, avec plus de pluralisme grâce à la proportionnelle, plus de renouvellement grâce au non-cumul des mandats dans le temps et plus de participation de nos concitoyens grâce à la transformation du Conseil économique, social et environnemental en Chambre de la société civile.

Ensuite, nous voulons une démocratie plus efficace, avec un Parlement qui légifère mieux – j’y reviendrai dans un instant – et évalue plus activement les lois et des collectivités territoriales qui peuvent répondre, par des capacités de différenciation et d’adaptation renforcées, aux demandes concrètes des Français.

Enfin, une démocratie plus responsable, avec un Parlement qui contrôle puissamment le Gouvernement et son administration, des ministres dont la responsabilité pénale relèvera désormais d’une juridiction de droit commun et une justice plus indépendante.

Rien de tout cela ne traduit, pour reprendre les termes de Mme Assassi, un « coup de force », ni même une dérive autoritaire. Cette loi constitutionnelle n’est pas un verrou, monsieur Savoldelli, mais un élan !

Je veux maintenant dire quelques mots sur le point précis qui a donné naissance à ce débat : les relations entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif.

Je n’entends pas retracer, ici, l’histoire de notre Constitution – certains parmi vous l’ont fait avec beaucoup de finesse et d’acuité – ; je veux insister sur le fait que, en 1958, la volonté du constituant était essentiellement de protéger le pouvoir exécutif. Bien des articles de notre Constitution s’expliquent à l’aune de cette volonté d’assurer une telle primauté et de mettre en place, pour reprendre les termes employés par M. le sénateur Kerrouche, un parlementarisme hyperrationalisé – « hyperprésidentialisé », a-t-il même dit.

Pour autant, les soixante ans d’histoire de notre Constitution ont permis des évolutions, évolutions qui tendent à un rééquilibrage entre les pouvoirs exécutif et législatif. Ce sont sans doute, monsieur le sénateur Bonhomme, les vingt-quatre révisions auxquelles vous avez fait allusion.

Le projet de révision constitutionnelle qui vous a été présenté voilà quelques jours n’inverse pas cette tendance. Il la conforte, tout en cherchant corrélativement à donner plus d’efficacité à l’action conduite tant par le Parlement que par le Gouvernement.

Pour analyser plus précisément ce qui relève des relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, je crois qu’il faut se référer au contenu du texte lui-même et éviter les procès d’intention.

Je comprends, évidemment, la part de passion que soulèvent toujours les débats institutionnels, surtout lorsque ces débats sont menés par les premiers acteurs du jeu institutionnel. Je mesure bien les considérations politiques, jamais absentes des échanges d’arguments que nous aurons l’occasion d’avoir – et cela est bien naturel. Mais vous me permettrez, juste un instant, de revenir à des considérations très concrètes, qui figurent dans le texte proposé par le Gouvernement.

Le projet de loi constitutionnelle s’inscrit dans la perspective tracée par la révision constitutionnelle de 2008. M. le sénateur Charon en a rappelé l’économie, en évoquant, à propos du Parlement, le pari de la maturité et de la responsabilité. Mais, tout en creusant le sillon de cette révision constitutionnelle, notre réforme se propose de corriger certaines mesures qui, à l’expérience, ont montré leurs limites. De nombreux rapports, souvent d’origine parlementaire, avaient d’ailleurs souligné ces points et évoqué les corrections nécessaires.

Le travail très important accompli par votre assemblée, qui s’est traduit par le rapport remis par votre collègue François Pillet, sous l’autorité du président Gérard Larcher, et intitulé 40 propositions pour une révision de la Constitution utile à la France, montre bien que nous partageons une préoccupation, qui nous est commune.

Le président du Sénat, dans son avant-propos, juge nécessaire de « rénover le travail parlementaire au service de la qualité de la loi et de la lutte contre l’inflation normative » et de « renforcer la fonction de contrôle et d’évaluation du Parlement au service d’une démocratie plus exigeante ». Nous ne disons pas autre chose !

Bien sûr, des discussions auront lieu sur les meilleures manières d’atteindre cet objectif. Le pouvoir constituant en débattra, mais l’essentiel, me semble-t-il, réside déjà dans ce diagnostic commun. Je suis d’ailleurs certaine que nos discussions seront de haute tenue, car je crois à la bonne foi de chacun, ainsi qu’à la conjonction des bonnes volontés.

Je voudrais, à ce stade, souligner deux points essentiels à mes yeux : la réforme institutionnelle que nous proposons n’entend ni remettre en cause le bicamérisme à la française ni porter atteinte aux droits du Parlement. Ce projet n’a nullement pour objet ou pour effet de remettre en cause le bicamérisme, tel qu’il a été voulu par le constituant de 1958.

Dans le bicamérisme, madame la sénatrice Gatel, vous voyez un obstacle à l’omnipotence et à l’impétuosité de l’Assemblée nationale. Je n’irai probablement pas jusqu’à reprendre vos termes à mon compte, mais ce fonctionnement m’apparaît à même d’assurer non seulement la représentation des territoires, mais également la représentation des populations.

Pour inégalitaire qu’il soit dans le texte même de la Constitution de 1958, le bicamérisme constitue l’un des piliers de notre régime constitutionnel, et nul ne songe à ébranler ces piliers.

Il n’est pas davantage question de mettre à mal les droits du Parlement. Il s’agit, je l’ai déjà dit et je le répète, de parfaire la révision constitutionnelle de 2008 sur plusieurs points et de corriger l’un de ses mécanismes, aux résultats insatisfaisants.

Le projet de révision constitutionnelle a tout d’abord pour objet d’assurer une meilleure qualité de la loi et une plus grande clarté des débats. À cette fin, vous avez été très nombreux à y faire allusion, le texte prévoit que tout amendement parlementaire et gouvernemental – j’insiste sur cette origine gouvernementale – de nature réglementaire, non normatif ou sans lien avec le texte discuté, autrement dit tout cavalier législatif, soit systématiquement déclaré irrecevable. On n’attendrait donc pas l’intervention du Conseil constitutionnel, qui, comme M. le sénateur Alain Richard l’a rappelé, finit toujours par écarter de telles dispositions.

De la sorte, nous proposons de renforcer au plan constitutionnel un mouvement que le Sénat a déjà engagé depuis 2015, sous l’impulsion du président Larcher, en cherchant à effectuer, de manière plus systématique, un contrôle des amendements via les présidents de commission.

L’exigence de symétrie que M. le sénateur Requier a appelée de ses vœux serait satisfaite par cette proposition.

On ne peut pas prétendre qu’une telle mesure porterait définitivement atteinte au droit d’amendement – vous avez parlé, madame Gatel, d’une incontinence d’amendements. Il est simplement question de faire respecter les règles constitutionnelles.

Qui pourrait soutenir qu’écarter des amendements de portée réglementaire ou sans incidence sur le fond du droit – je pense aux fameuses demandes de rapport qui fleurissent quasiment à chaque article de loi –, ou encore des amendements sans lien avec le texte en discussion, constitue une manière de restreindre les droits du Parlement ? Cet argument me semble d’autant plus infondé que, pour la première fois, j’y insiste, le Gouvernement devra lui-même se soumettre à cette discipline rigoureuse, mais nécessaire pour atteindre l’objectif que nous partageons, celui d’une meilleure qualité de la loi.

Toujours dans l’esprit de 2008, le projet s’inspire du dispositif que le Sénat a pérennisé dans son règlement de décembre dernier, en prévoyant, sur certains textes, la concentration des débats en séance publique sur les questions les plus essentielles, après un travail approfondi en commission. Cette meilleure articulation, également nécessaire, entre travail en commission et travail en séance avait été l’un des objectifs majeurs de la révision de 2008. Il nous a semblé souhaitable de pousser la logique plus loin.

Toujours dans la ligne de ladite révision, il est proposé de réduire le nombre de discussions. Je rappelle qu’il peut y en avoir jusqu’à treize par texte, si l’on compte l’examen en commission et l’examen en séance dans chaque chambre.

Après l’échec d’une CMP – c’est-à-dire quand les deux assemblées ont des positions irréconciliables –, et seulement dans ce cas, il est proposé de fusionner la nouvelle lecture et la lecture définitive à l’Assemblée nationale, selon une procédure plus resserrée. La nouvelle lecture au Sénat sera maintenue, comme aujourd’hui ; l’Assemblée nationale ne pourra reprendre en dernière lecture que les amendements adoptés par le Sénat, comme aujourd’hui, auxquels s’ajouteront – et c’est la nouveauté – ceux qui auront été déposés devant votre assemblée.

J’ai lu et entendu, bien sûr, que ce dispositif suscitait de vives réactions. Ces dernières me semblent excessives. Ces mesures tendent simplement à tirer les conséquences de la révision de 2008 et à répondre à la nécessité de désengorger l’ordre du jour de la séance.

Le temps, monsieur le sénateur Bonhomme – le temps parlementaire, qui n’est pas nécessairement festonné des apparences du débat, pour reprendre vos propos –, est trop précieux pour que nous n’en prenions pas le plus grand soin. C’est l’objectif visé par la mesure que je viens de vous présenter. Comme l’a rappelé M. le sénateur Malhuret, nous recherchons à la fois une plus grande efficacité et une plus grande célérité.

Soulager l’ordre du jour de la séance, disais-je à l’instant, c’est l’une des ambitions du projet de loi constitutionnelle, car les ordres du jour surchargés posent des difficultés, que nous souhaiterions corriger. À cette fin, nous proposons une procédure prioritaire pour l’adoption de textes considérés par le Gouvernement comme particulièrement importants. L’idée est simple : l’ordre du jour, tel qu’il a été imaginé en 2008, est d’une rare complexité et soumet la navette parlementaire à une arythmie très préjudiciable au bon fonctionnement du Parlement. Le Sénat, en 2008, avait d’ailleurs relevé les problèmes qui pourraient naître de ce mécanisme complexe, et votre commission des lois, à l’époque, avait proposé un système plus simple.

Le Gouvernement cherche une voie pour surmonter la difficulté. Ainsi que l’a montré le sénateur Alain Richard, dans tous les pays, on relève la force de l’exécutif pour préparer la loi, et ce de manière universelle.

Comment y parvenir ? Je suis certaine que nous trouverons, ensemble, cette voie ; je suis certaine que nous trouverons, ensemble, le moyen de répondre à la question.

S’il est indispensable de rendre plus fluide le travail législatif et, en quelque sorte, de le muscler, il est tout autant nécessaire – c’est une contrepartie absolue – de renforcer puissamment la capacité de contrôle et d’évaluation des assemblées. C’est ainsi que les parlements modernes pèsent véritablement sur le cours des choses.

Nous ne nous sommes pas approprié l’ensemble des moyens institutionnels à notre disposition, notamment en matière de contrôle. Je crois que cette remarque, formulée par M. le sénateur Malhuret, est exacte. Pour cette raison, le Gouvernement propose de reconfigurer la répartition entre l’examen de la loi de finances initiale et celui de la loi de règlement. Il s’agit, non pas de restreindre les droits du Parlement lors du débat initial, mais, au contraire, de conforter son pouvoir de contrôle au moment de l’examen de la loi de règlement. C’est à ce moment-là, en effet, que l’on vérifie et contrôle réellement l’action conduite par le pouvoir exécutif. Les ministres seraient alors mis en situation de répondre concrètement, devant le Parlement, des politiques qu’ils mènent et des fonds publics qu’ils gèrent.

Dans ce même esprit, le projet de révision constitutionnelle tend à donner plus de densité aux semaines de contrôle, en prévoyant que, à l’issue d’une évaluation systématique et méthodique des lois, des textes correctifs puissent être inscrits à l’ordre du jour, sur l’initiative exclusive des assemblées. Je peine à voir en quoi une telle proposition réduirait les pouvoirs du Parlement. C’est, me semble-t-il, exactement le contraire ! Sans doute y a-t-il là, dans la certitude de la nécessité de ce contrôle effectif, quelque audace, quelque ambition, quelque modernité que M. le sénateur Savoldelli appelait de ses vœux…

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce n’est pas une révolution qui nous attend.

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