Intervention de Patricia Schillinger

Réunion du 17 mai 2018 à 14h30
Comment repenser la politique familiale en france — Débat organisé à la demande du groupe la république en marche

Photo de Patricia SchillingerPatricia Schillinger :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avant tout, je tiens à remercier mon groupe, en particulier son président, François Patriat, d’avoir inscrit ce débat sur la politique familiale à l’ordre du jour et de nous donner ainsi l’occasion de mettre en perspective les différentes réflexions conduites depuis plusieurs mois sur ce sujet.

En effet, depuis la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale et les échanges que nous avons eus au Sénat sur cette question, plusieurs travaux importants ont été engagés : la mission interministérielle sur la lutte contre la pauvreté des enfants et des jeunes, la mission d’information de l’Assemblée nationale sur les allocations familiales, la négociation en cours de la nouvelle convention d’objectifs et de gestion – la COG – avec la Caisse nationale des allocations familiales et, au niveau européen, la discussion de la proposition de la directive concernant la conciliation entre vie privée et vie professionnelle.

Le sujet est donc au cœur de l’actualité sans que, pour autant, le Parlement soit saisi d’un texte. C’est pourquoi le débat d’aujourd’hui est nécessaire pour éclairer la situation actuelle, partager certains constats et identifier des pistes potentielles d’amélioration de notre système.

Vous le savez, la politique familiale de notre pays vise aujourd’hui trois objectifs historiques : à sa refondation en 1945, la politique familiale française a eu pour premier objectif le soutien à la natalité par la compensation financière des charges de famille ; à partir des années soixante-dix, l’accent fut également mis sur le soutien aux familles les plus modestes ; depuis plus de vingt ans, enfin, la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle s’est imposée comme un nouvel axe majeur.

À ces trois objectifs, il faut bien entendu ajouter celui de la pérennité financière de la branche famille.

Pour atteindre ces objectifs, l’action de l’État s’exerce sur trois leviers : les prestations monétaires, les avantages fiscaux et des prestations en nature comme les services publics orientés vers les familles.

Le budget que notre pays consacre à la politique familiale est de 59 milliards d’euros par an, soit 2, 7 % du PIB. Selon le rapport de la Cour des comptes sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale, la France se situe en tête, au sein de l’OCDE, pour les aides fiscales, dépassée par l’Allemagne, et se classe dans la moyenne pour les prestations monétaires et en nature. Ainsi, nous faisons davantage que nos voisins Espagnols et Italiens, mais moins que les pays du nord de l’Europe, comme le Danemark.

Cette politique familiale forte a porté ses fruits, puisque notre pays connaît, au regard de ses voisins européens, une natalité qui reste soutenue – malgré une baisse depuis 2014 –, une participation élevée des femmes à l’activité économique et une redistribution importante au bénéfice des familles les plus vulnérables.

Ce bilan favorable laisse cependant apparaître des marges de progression que je voudrais rapidement évoquer.

Tout d’abord, nous devons lutter avec une efficacité accrue contre la pauvreté des familles, notamment monoparentales.

Selon l’INSEE, les familles représentaient, en août 2017, 66 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté, qui correspond à 60 % du niveau de vie médian et s’établit à environ 1 000 euros mensuels. En termes de répartition de la pauvreté selon l’âge, les moins de trente ans représentent 50 % de la population en situation de pauvreté, jeunes ménages compris. S’agissant des seuls enfants, la pauvreté frappe, en France, 19, 6 % d’entre eux et 39, 3 % de ceux appartenant à des familles monoparentales.

Devant ce constat, des mesures pour lutter contre la pauvreté des familles ont été prises dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 : majoration du montant maximal d’aide auquel les familles monoparentales peuvent prétendre au titre de la garde de leurs enfants par une garde à domicile ou une assistante maternelle, harmonisation des conditions de ressources, des montants de la prestation d’accueil du jeune enfant, la PAJE, et du complément familial.

Doit-on, peut-on s’en tenir là ? La pauvreté des enfants en France reste à un niveau préoccupant, alors que les moyens consacrés à la politique familiale sont considérables.

Il faut donc, à mon sens, revoir nos instruments de politique familiale pour les adapter à l’objectif prioritaire de lutte contre la pauvreté des familles. Madame la ministre, la discussion doit s’ouvrir sur l’opportunité de redéployer des dépenses et des avantages fiscaux. Cette question ne se réduit pas, tant s’en faut, à celle de l’universalité des allocations familiales, que par ailleurs je soutiens.

Nous devons, ensuite, améliorer encore la capacité d’accueil des jeunes enfants de moins de trois ans. En 2015, celle-ci s’élevait à 56, 6 places pour 100 enfants dans les modes de garde formels. Ce manque de solutions et les difficultés que cela implique affectent donc près d’un ménage sur deux.

Or le maintien ainsi que l’évolution des femmes dans la sphère professionnelle dépendent directement de la capacité de soulager celles-ci des charges familiales. On observe en effet qu’après l’arrivée du premier enfant, ce sont elles qui, au sein du ménage, passent à temps partiel ou cessent de travailler.

Ce bref état des lieux a pour but de nous conduire, madame la ministre, mes chers collègues, à des questionnements variés.

Comment aller plus loin ? Quelles pistes le Gouvernement explore-t-il ? Quelles mesures et orientations politiques prendre pour améliorer la situation et lutter plus efficacement contre la pauvreté des familles – une pauvreté notamment subie, je le rappelle, par les enfants et les jeunes ? Faut-il envisager l’attribution de l’allocation familiale dès le premier enfant ? Faut-il cibler les jeunes parents, voire attribuer une allocation fixe par enfant ?

Comment favoriser l’accès des familles modestes aux modes de garde des jeunes enfants ? Malgré un coût relativement modeste, les modes de garde profitent comparativement peu aux familles dont les revenus sont faibles et dont les difficultés d’insertion les plus fortes.

Quelle est la position du Gouvernement français dans la négociation sur la directive européenne, qui vise à favoriser la conciliation de la vie professionnelle et de la vie privée et à encourager un meilleur partage des responsabilités familiales entre les femmes et les hommes ?

Enfin, au regard des différences qui persistent en la matière entre les départements métropolitains et ceux d’outre-mer, toute prochaine réforme touchant à la politique familiale devra être l’occasion d’un rattrapage pour les outre-mer afin d’aller vers plus d’égalité réelle en termes d’accès aux droits familiaux, en tenant compte des particularités sociales, démographiques et économiques propres à chaque territoire.

Tels sont, mes chers collègues, l’état des lieux et les quelques questionnements introductifs au débat de ce jour que je souhaitais vous présenter.

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