Intervention de Michel Raison

Commission des affaires européennes — Réunion du 17 mai 2018 à 9h05
Agriculture et pêche — Double standard en matière alimentaire : communication de mm. yannick botrel et michel raison

Photo de Michel RaisonMichel Raison :

Avant tout, merci à M. le président de nous avoir confié ce travail intéressant et original.

Comme vous l'a indiqué Yannick Botrel, la question du « double standard » des produits alimentaires est assurément fort complexe. Dans l'immédiat, nous ne sommes pas en mesure de savoir s'il s'agit d'un « vrai faux problème » ou si les citoyens des nouveaux États membres de l'Union européenne sont bel et bien traités comme des consommateurs de « seconde zone ». Il n'est pas interdit d'avancer un autre facteur : peut-être ces consommateurs ont-ils été habitués, par le passé, à des produits de moindre qualité venant de l'Union soviétique.

Je poursuivrai ma communication en développant trois enjeux majeurs de ce dossier. Quels sont les contours des pratiques potentiellement illicites ? Quels sont les risques juridiques induits par la révision annoncée de la directive de 2005 sur les pratiques commerciales déloyales ? Enfin, les démarches de la Hongrie, de la Pologne et de la Slovaquie pourraient-elles in fine déboucher sur des obstacles non tarifaires, venant pénaliser les exportations des entreprises françaises ? C'est là une question importante.

De manière générale, la réglementation de l'Union européenne n'interdit pas aux industriels de modifier la composition des produits mis sur le marché dans certains États membres, sous réserve de se conformer à trois séries d'obligations.

En premier lieu, ces modifications doivent être compatibles avec la législation alimentaire sectorielle applicable à la denrée, comme, par exemple, l'interdiction d'utiliser tel ou tel additif.

En deuxième lieu, l'étiquetage doit rendre compte des variations dans la liste des ingrédients, ou dans la déclaration nutritionnelle du produit, conformément aux dispositions prévues par le règlement dit « INCO » de 2011, lequel porte sur l'information du consommateur relative aux denrées alimentaires.

En troisième et dernier lieu, il est interdit d'utiliser certaines mentions susceptibles d'induire le consommateur en erreur et de lui faire penser que le produit est identique partout dans l'Union. C'est précisément le reproche formulé par les pays considérés.

Le non-respect de ces dispositions est susceptible de caractériser le délit de tromperie, ou de pratique commerciale trompeuse. Dans ce contexte, des différences de composition peuvent exister entre les produits, sans volonté particulière des industriels de mettre sur le marché des produits de moins bonne qualité au sein de ces États. Il s'agit, tout d'abord, de prendre en compte des goûts des consommateurs - Yannick Botrel vient d'en parler : par exemple, les yaourts mis sur le marché au Royaume-Uni sont généralement plus sucrés que ceux mis sur le marché en France.

La disponibilité, la préférence pour un approvisionnement local en matières premières, ainsi que l'existence de réglementations nationales peuvent également expliquer des différences entre produits, pouvant aller jusqu'à des variations de texture et de goût. Ainsi, le Nutella est fabriqué à partir de poudres de lait de différents pays, lesquelles n'ont pas forcément toutes le même goût.

Bien que la législation alimentaire de l'Union soit très harmonisée, les États membres peuvent prendre, sous certaines conditions, des mesures nationales visant à limiter ou à interdire l'utilisation de certaines substances.

Au total, la réglementation actuelle ne constitue donc en rien un cadre permissif, ouvrant grande la porte au « double standard alimentaire ».

À la lumière de ce constat, il conviendra donc d'être vigilant, quant aux contours de la révision, annoncée par la commissaire Jourová, de la directive de 2005 sur les pratiques commerciales déloyales.

Selon l'expertise du ministère français de l'économie, consultée par vos rapporteurs, l'amélioration par rapport au droit existant paraît bien difficile à évaluer. Il ne faut pas non plus écarter les risques de « surréglementation » : pour une fois que les fonctionnaires français suggèrent implicitement une telle mise en garde, on pourrait leur adresser un courrier de félicitations, voire leur décerner une médaille !

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