Intervention de Michel Raison

Commission des affaires européennes — Réunion du 17 mai 2018 à 9h05
Agriculture et pêche — Proposition de résolution européenne de mme gisèle jourda sur les indemnités compensatoires de handicaps naturels ichn : rapport de mme gisèle jourda et m. michel raison

Photo de Michel RaisonMichel Raison :

Le 19 avril dernier, notre collègue Gisèle Jourda a déposé une proposition de résolution européenne. Celle-ci demande la renégociation du règlement constituant la « clé de voûte » du mécanisme des indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN), un des plus beaux acquis de la politique agricole commune. L'ICHN vise à éviter les distorsions de concurrence dues aux conditions naturelles. Trois autres dispositifs s'adressent aux agriculteurs débutant leur activité : l'aide à l'installation des jeunes agriculteurs, les taux d'intérêt préférentiels des prêts et les aides complémentaires à l'élevage.

Les ICHN jouent un rôle majeur dans le développement rural et le maintien de l'activité économique agricole, elles font partie de second pilier de la PAC et son financées à hauteur de 25 % par l'État, 75 % par l'Union européenne, ce qui représente, pour la France, 1 milliard d'euros par an.

Dans ces conditions, la réforme en cours du zonage de l'ICHN constitue, logiquement, un sujet d'inquiétude majeur pour nos territoires et nos agriculteurs. Il était, dès lors, opportun que le Sénat s'y intéresse.

Je laisserai le soin à notre collègue Gisèle Jourda de présenter les grandes lignes de sa résolution. Mon propos consistera à vous fournir un point sur cette réforme du zonage de l'ICHN, complété par un éclairage sur la nature du conflit qui oppose la France et la Commission européenne.

Faisant suite à des observations de la Cour des comptes européenne datant de 2003, la Commission européenne a ouvert, à partir de 2009, des discussions techniques, sur un nouveau zonage de l'ICHN. L'Union européenne a ensuite engagé, en 2013, un processus de modification des critères d'éligibilité de ces zones.

La réforme en cours ne concernera pas les zones de montagne, pour lesquelles le critère de l'altitude est indiscutable - ce qui ne veut pas dire qu'il soit entièrement juste, car la situation n'est pas la même dans les Alpes, où il faut aller faucher avec une motofaucheuse et les plateaux du Haut-Jura. Elle affectera, en revanche, les deux autres catégories référencées de territoire : c'est-à-dire, en premier lieu, les zones défavorisées simples, appelées désormais « zones soumises à contraintes naturelles », et, en second lieu, les zones affectées de handicaps spécifiques, devenues « zones soumises à contraintes spécifiques ».

Cette réforme portera exclusivement sur des paramètres techniques, sans modification, de la réglementation européenne, soit les articles 31 et 32, ainsi que l'annexe III du règlement du 17 décembre 2013.

L'adoption récente du règlement dit « Omnibus » a, fort opportunément, repoussé d'un an l'échéance du dossier, jusqu'en 2019.

Sur le fond, l'ICHN est un sujet conflictuel entre Paris et Bruxelles.

L'origine de cette divergence est désormais ancienne. Se fondant sur les règles du Gatt, puis de l'OMC, la Commission considère que l'ICHN, telle qu'elle existe en France est, de facto, au-delà de la politique en faveur de la montagne qui a présidé à sa naissance, une aide couplée déguisée à l'élevage. Elle fait valoir, a contrario, depuis une vingtaine d'années, la nécessité d'une réforme, pour que ces aides figurent, à l'avenir, dans la « boîte verte ». D'où l'insistance de la Commission à ouvrir le bénéfice de l'ICHN aux productions végétales.

Cette position de principe n'a pu être qu'infléchie par les autorités françaises, car notre pays se trouvait relativement isolé en Europe, en ne bénéficiant que du soutien actif de l'Espagne, de l'Italie et de l'Autriche.

Dans ce contexte, depuis les années 2000, la stratégie des autorités françaises a consisté à accepter des aménagements successifs, pour maintenir l'économie générale de l'ICHN, tout en gagnant du temps.

Je conclurai mon propos en m'interrogeant - en l'état actuel du droit - sur les latitudes d'action des autorités françaises.

S'agissant, en premier lieu, des zones « défavorisées simples », la Commission européenne, a remis en cause le travail de l'INRA, l'Institut national pour la recherche agronomique, portant sur l'application des critères biophysiques au territoire français, pour imposer sa propre grille d'analyse - ce qui peut toutefois se comprendre, afin que les critères soient identiques dans toute l'Europe.

Cela revient, par ricochet, à déclasser bon nombre de communes dans toute la France, pour une superficie totale atteignant, selon les estimations, 5 % voire 7 % du territoire national.

Les communes exclues des zones dites « simples » sont heureusement susceptibles d'être rattrapées au titre des zones spécifiques. Les États membres peuvent, en effet, y reclasser, de la sorte, jusqu'à 10 % de leur territoire national, grâce à de réelles marges de souplesse juridique : les « adaptations régionales ».

Pour les communes menacées de sortie du dispositif, tout dépendra des contours de la nouvelle carte nationale en cours d'élaboration, en fonction des critères retenus par la France, pour le cadrage national. C'est au ministre de l'Agriculture qu'il appartiendra d'arbitrer entre les multiples demandes provenant des territoires. Mais, c'est à la Commission européenne qu'il appartiendra de valider in fine lesdits critères techniques.

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