Intervention de Laurence Harribey

Commission des affaires européennes — Réunion du 19 avril 2018 à 8h30
Questions sociales et santé — Convergence sociale dans l'union européenne : proposition de résolution européenne avis politique et rapport d'information de mmes pascale gruny et laurence harribey

Photo de Laurence HarribeyLaurence Harribey :

Le socle européen des droits sociaux a été proclamé par le Parlement européen, le Conseil et la Commission européenne au sommet social de Göteborg du 17 novembre 2017. Annoncé par la Commission depuis la fin 2015, il doit participer d'une action en faveur d'un marché du travail équitable et paneuropéen, formulation qui indique que les avancées sociales se feront davantage par un rapprochement des politiques menées par les États membres que par l'obligation d'appliquer un modèle unique. Il s'agit, en quelque sorte, de redonner corps à la métaphore des deux jambes, l'une économique et l'autre sociale, sur lesquelles marcherait l'Union européenne, utilisée par Jacques Delors en 1989 et déjà inscrite dans le traité de Rome s'agissant du développement harmonieux des territoires.

Le socle détaille vingt principes, répartis en trois chapitres : égalité des chances et accès au marché du travail, équité des conditions de travail et protection sociale. Il s'apparente davantage à une grille de lecture qu'à un texte contraignant, ce qui interroge sur sa portée réelle, qui ne pourra être évaluée qu'à la lumière des suites législatives qui lui seront données. La Commission entend en effet dérouler un agenda social - j'y reviendrai - et prendre en compte le socle et ses objectifs sociaux dans l'élaboration des recommandations adressées aux États membres dans le cadre du semestre européen.

Reste l'inconnue du Conseil, même s'il convient de se garder d'une vision manichéenne des équilibres en son sein. Les minorités de blocage varient en effet fonction des sujets. Si les pays d'Europe centrale et orientale tendent à s'opposer à toute disposition susceptible d'affaiblir leurs avantages comparatifs, ils ne forment pas pour autant un bloc homogène comme l'ont montré les votes sur la révision de la directive sur le détachement des travailleurs, où la République tchèque et la Slovaquie se sont opposées au rejet du texte formulé par la Pologne. La prudence des pays du Nord de l'Europe est connue, considérant que les initiatives européennes pourraient remettre en cause leurs modèles sociaux, jugés plus protecteurs. On observera, en outre, une réserve de l'Allemagne sur les questions familiales. La France n'est pas, elle-même, toujours en phase avec l'approche de la Commission européenne, comme en témoignent ses observations sur le temps de travail des forces de l'ordre ou sur les propositions récentes de la Commission européenne en matière de congé parental

Les obstacles observés au Conseil dans le domaine législatif peuvent conduire la Commission, pour les contourner, à inventer de nouveaux dispositifs au risque de remettre en cause l'équilibre des traités. La création annoncée d'une autorité européenne du travail est ainsi révélatrice... Le recours à une agence est fréquent lorsque la coopération entre États est jugée insuffisante et dans les domaines où l'Union européenne n'exerce qu'une compétence d'appui. Or, tendance regrettable, le champ de compétence des agences tend à croître au détriment des États membres.

Pour en revenir au socle européen des droits sociaux, comment financer les objectifs de convergence qu'il contient ? La Commission a déjà indiqué qu'il constituerait une « référence pour la conception du cadre financier pluriannuel ». La Commission européenne préconise notamment la création d'un fonds « parapluie », regroupant la majorité des fonds européens à vocation sociale, afin de simplifier les règles d'attribution et de cofinancement. Les fonds seraient désormais utilisés via une approche contractuelle dite de « conditionnalité positive », liant leur versement à la mise en oeuvre des réformes prévues par les recommandations adressées aux pays dans le cadre du semestre européen. Cette démarche rappelle le modèle des critères politiques dits de Copenhague pour intégrer l'Union européenne. Cette approche mérite d'être saluée en ce qu'elle pourrait indirectement renforcer la valeur du socle en obligeant les recommandations du Conseil à en tenir compte. Elle n'est d'ailleurs pas sans rappeler le mécanisme d'incitation à la convergence sociale proposé par le groupe de suivi du Sénat, qui s'était également prononcé en faveur d'un socle doté d'une véritable valeur juridique. La proposition de résolution s'en fait l'écho. Le groupe avait, en outre, souhaité que soit lancée une réflexion sur un salaire minimum européen, qui constituerait une mise en oeuvre concrète des objectifs du socle.

S'agissant du financement, nous appelons de nos voeux la réorientation du fonds européen d'ajustement à la mondialisation, afin qu'il puisse bénéficier aux salariés perdant leur emploi en raison de la transition énergétique ou de la digitalisation de l'économie. Vous trouverez, dans le rapport, quelques chiffres révélateurs sur l'utilisation de ce fonds.

Plusieurs textes ont été présentés à l'issue de la proclamation du socle. S'agissant du congé parental, la Commission européenne propose que les parents puissent en disposer jusqu'aux douze ans de l'enfant et qu'il soit calculé sur la base de l'indemnité journalière. Pour la France, ce changement impliquerait un surcoût annuel de 2 milliards d'euros difficilement supportable pour nos finances publiques. Les injonctions de progrès social et de réduction de la dépense publique paraissent contradictoires ! En ce qui concerne le temps de travail, la Commission européenne ne prend guère en considération l'impact de la lutte contre le terrorisme sur le temps de travail des forces de sécurité. La France résiste, là encore, à cette injonction contradictoire. Enfin, sur les contrats de travail, le texte présenté par la Commission mérite d'être précisé : la période d'essai pourrait atteindre six mois en droit européen, ce qui induit quelques résistances.

En conclusion, il apparaît que l'harmonisation au nom du marché unique ne conduit pas nécessairement à l'affirmation d'un modèle social européen. Le Président de la République l'appelle certes de ses voeux, mais encore faudrait-il cesser les injonctions contradictoires ! Le socle européen des droits sociaux n'a, il est vrai, nulle valeur juridique. Pourtant, des progrès, modestes, sont réalisés, même si nos concitoyens manquent encore d'une vision d'ensemble des politiques sociales menées par l'Union européenne.

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