Intervention de Christian Cambon

Réunion du 22 mai 2018 à 14h30
Programmation militaire pour les années 2019 à 2025 — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Christian CambonChristian Cambon :

Chacun doit faire son devoir. Le Gouvernement a fait le sien en donnant à travers ce texte, dont vous venez de détailler les mesures, madame la ministre, les moyens à nos armées d’accomplir leur mission. Votre LPM est indiscutablement marquée par une remontée des crédits et des effectifs, et nous nous en réjouissons.

Faire son devoir, pour le Sénat, c’est évidemment soutenir l’inflexion positive que porte le Gouvernement, mais en contrôlant l’exécution de ce texte et le respect des engagements lourds que vous entendez prendre devant la représentation nationale aujourd’hui.

Permettez-moi de saluer le travail de la commission que j’ai l’honneur de présider et qui a systématiquement privilégié l’intérêt national aux dépens, parfois, des sensibilités de chacun – que ses membres en trouvent ici l’expression de ma profonde reconnaissance –, pour lui permettre de garder le rayonnement que mes augustes prédécesseurs ont su lui donner.

Après la « revue stratégique » qui a identifié les menaces, c’était avec impatience que la commission attendait ce projet de loi de programmation militaire. Nous en avions même fixé le cahier des charges, en mai 2017, dans le fameux rapport de Jean-Pierre Raffarin et Daniel Reiner, intitulé 2 % du PIB pour la défense nationale.

Ce projet de loi comporte à l’évidence de très nombreux aspects positifs. Enfin les moyens remontent ! Après des années d’attrition, de sous-investissement, de surengagement opérationnel, de fermetures de régiments, de suppressions de 50 000 – je dis bien 50 000 ! – postes militaires, nous changeons de registre.

Madame la ministre, vos priorités sont les nôtres : à « hauteur d’homme », régénération de nos moyens, favoriser l’innovation, mettre en avant la coopération… La commission de la défense partage vos ambitions : il faut préserver l’autonomie stratégique, garder un modèle complet d’armée qui maintient la capacité à entrer en premier sur le champ.

Nous approuvons aussi – même si nous aurions aimé davantage – les 6 000 créations de postes ou encore l’accélération sur certains équipements – les blindés médians de l’armée de terre, si utiles au Sahel, avec une meilleure sécurité pour nos soldats, les avions ravitailleurs et de transport, les patrouilleurs, notamment en outre-mer et, bien sûr, la rénovation programmée des deux composantes de nos forces de dissuasion nucléaire.

Mais les parlementaires que nous sommes se doivent aussi de pointer ce qui nous donne moins de satisfaction dans cette loi de programmation et vous dire notre inquiétude face à un certain nombre de fragilités, de lacunes et de paris.

La première fragilité, que nous avons tous perçue immédiatement, réside dans le calendrier des hausses des crédits. Le gros de l’effort interviendra après 2022, avec des hausses de 3 milliards d’euros qui nous paraissent à la limite de la soutenabilité. Madame la ministre, nous avons de sérieux doutes sur cette hausse brutale en fin de période. Les deux tiers des équipements seront mis en œuvre dans le dernier tiers de la LPM.

Le rapport que j’évoquais à l’instant recommandait d’étaler cet effort et de commencer dès 2018, année malheureusement « perdue » pour la défense, à la suite d’une décision dont tout le monde se souvient, en juillet dernier. Il eût été préférable de ne pas rater la première marche de ce difficile escalier.

La deuxième fragilité, au-delà de la clause de revoyure de 2021 sur laquelle vous avez donné votre sentiment, tient au caractère somme toute assez flou des engagements de la LPM.

Certes, il s’agit d’une loi de programmation, mais tout de même : nous manquons de visibilité sur le rythme des livraisons d’équipements ou sur les infrastructures, puisque nous devons nous contenter d’objectifs assez lointains – 2025 et 2030 –, sans les points de passage annuels.

Cette question est d’autant plus cruciale que la LPM ne couvre qu’une partie des besoins. Il manque 1, 5 milliard d’euros de crédits d’infrastructures. En 2025, 60 % des installations de la défense, nos casernes notamment, seront « dégradées ».

De même, les recrutements nous paraissent trop faibles et trop lents : 450 recrutements chaque année pour des besoins que nous estimons à 2 500 par an. On est encore loin du compte.

Je veux marquer ici notre inquiétude pour les services de soutien, et particulièrement le service de santé des armées, le SSA. Ils sont éreintés. Je rappelle que les personnels projetés du service de santé des armées sont à 200 % de leur contrat opérationnel. Il en va de même du commissariat aux armées, pourtant essentiel à la qualité de vie en régiment.

Certaines lacunes capacitaires ne seront pas résorbées en fin de programmation. L’« accélération » annoncée ne peut être mesurée précisément d’ici à 2022. Elle sera donc assez modeste.

En 2025, 58 % de nos antiques « VAB » – véhicules de l’avant blindé – seront encore en service, 80 hélicoptères Gazelle des années 1970 auront été prolongés… En 2025 toujours, le drone de la marine sera tout juste commandé. « L’effort sur les petits équipements » ne se concrétisera qu’en 2021.

Enfin, la trajectoire de livraison des avions de transport tactique est, selon nous, assez peu crédible : il faudrait passer de 1, 8 appareil par an en moyenne à 6 avions par an à partir de 2026 – voilà qui est assez ambitieux.

Les contrats opérationnels auraient dû être rehaussés, au regard de l’état des menaces. Le risque de surengagement existe donc toujours.

Votre programmation repose sur un autre pari, celui des coopérations capacitaires européennes. Vous avez bien évidemment raison, même si nous avons, ici encore, quelques observations à formuler.

Notre partenaire naturel, c’est le Royaume-Uni. Or il est affaibli à la fois par le manque de moyens et par le Brexit. Nous avons besoin de travailler avec nos amis anglais, mais les conditions sont encore assez difficiles.

Le partenariat avec l’Allemagne repose pour l’instant sur des affirmations politiques, certes volontaristes, qui butent sur une réalité industrielle et opérationnelle quelque peu différente. La coopération franco-allemande autour du futur avion de combat que vous avez évoquée, madame la ministre, devra préserver les intérêts industriels français et le sort des missions que chacun de nos pays exerce. Or les missions de la France ne sont pas toujours, c’est le moins que l’on puisse dire, celles de l’Allemagne…

De façon plus générale, que seront les coopérations européennes sans une préférence européenne pour l’achat des équipements ? Souvenons-nous de ce qui s’est passé en Pologne et aux Pays-Bas et qui se répétera peut-être demain dans des pays plus proches… Espérons que le bon sens l’emporte.

La commission a cherché à concilier ces deux aspects, positif et négatif; de votre texte. Je veux rendre ici hommage à mes dix rapporteurs budgétaires, toutes sensibilités confondues, qui ont énormément travaillé pour présenter des améliorations nous permettant de voter ce texte.

Les amendements apportés par la commission consolident la programmation, et renforcent le contrôle de son exécution, selon cinq axes.

Nous voulons tout d’abord sécuriser les moyens budgétaires. Une loi de programmation n’est pas un projet de loi de finances, nous l’avions tous compris.

La commission a donc voulu protéger les ressources de la LPM par rapport à l’éventuel service national universel. Vous avez pris des engagements solennels dont nous vous donnons acte pour que ce service national universel ne soit financé ni en crédits ni en personnels par les ressources de la programmation militaire. Faute de quoi, la LPM disparaîtrait de facto.

Le Président de la République l’a promis ; vous venez, madame la ministre, de renouveler cet engagement. Le Sénat, croyez-moi sur parole, vous y aidera. Nous serons très vigilants sur ce point, mais vous l’aviez compris depuis longtemps.

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