Madame la présidente, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord avoir une pensée pour les femmes et les hommes engagés dans les missions qui leur sont confiées en France et dans le monde pour assurer notre sécurité, saluer l’ensemble de nos forces armées, rendre hommage aux blessés et à ceux qui ont perdu la vie au service de notre pays. J’ai une pensée particulière pour toutes les femmes qui font de notre armée la plus féminisée d’Europe après l’armée norvégienne.
Cette LPM s’inscrit malheureusement dans un contexte sécuritaire sous tensions : tensions internes, puisque la France reste sous une menace terroriste constante – les événements du 12 mai dernier dans le quartier de l’Opéra, à Paris, l’ont une nouvelle fois montré ; tensions externes liées à cette menace terroriste, mais également à beaucoup d’autres : la piraterie, le retour des États-puissances, l’effondrement de certains États, les conséquences du réchauffement climatique.
Devant ces menaces, les moyens des forces armées doivent non seulement être consolidés, mais également relevés. Les différentes opérations militaires en cours appellent une progression du budget, afin de permettre à nos soldats de réaliser leurs missions dans les meilleures conditions de sécurité possible.
Ainsi, il faut renforcer et moderniser les équipements et les installations de nos armées. Cela sera réalisable grâce à la présence sur nos territoires d’un tissu de dix grands groupes industriels et de près de 4 000 PME.
Cette industrie de défense est un fleuron national qui tire l’ensemble de notre économie vers le haut, notamment par les emplois créés qui ne sont pas délocalisables. Maintenir notre puissance et nos capacités d’action, c’est aussi garantir que notre industrie de défense continue d’être un secteur clé de notre économie.
Le volontarisme affiché par le Gouvernement devrait permettre aux industriels de la défense de produire davantage. Mais il ne faudrait pas que la planification 2019–2025, dont la part la plus importante des dépenses interviendra après 2022, reste modeste en début de programmation et nous mette en position d’infériorité dans le paysage de la Base industrielle et technologique de défense en cours de composition.
La Direction générale de l’armement pourrait être tentée d’être précautionneuse lors de la phase transitoire de relèvement du niveau des autorisations d’engagement, grippant ainsi le système, et notamment les carnets de commandes des industriels.
Cette LPM présente des perspectives positives pour les forces armées, avec la confirmation d’une hausse des crédits et la volonté d’accélérer certains programmes pour chacune des trois armées : Scorpion pour l’armée de terre, MRTT pour l’armée de l’air, le renouvellement des patrouilleurs pour la Marine nationale, programmes qui ont déjà connu, malheureusement, quelques reports.
L’enjeu essentiel de ce projet de loi réside aussi dans la confirmation de l’intention politique de consolider notre autonomie stratégique tout en renforçant nos partenariats au sein du continent européen. C’est un des fils rouges du rapport annexé. Si l’intention est louable, il nous faudra demeurer prudents et réalistes sur la capacité collective des Européens à cheminer ensemble. Nos cultures militaires sont différentes et les analyses stratégiques, souvent divergentes, ce qui n’exclut évidemment pas des convergences.
La prise de conscience est là – la coopération structurée permanente et la mise en place du Fonds européen en témoignent –, mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres, en matière de réalisations.
Passé les annonces et l’excellente communication qui les entoure, je souhaite revenir sur un certain nombre de points qui sont, à ce stade, autant d’interrogations.
Le premier est un constat : cette loi de programmation militaire est la treizième, et ses orientations s’inscrivent dans une forme de continuité avec ce qui a été décidé par le président Hollande en 2015, quand avait été annoncée une remontée en puissance de notre défense par le gel de la baisse des effectifs et par la stabilisation des crédits.
Le deuxième point concerne la trajectoire financière. Lors des nombreuses auditions menées au sein de notre commission, les militaires et les industriels ont unanimement salué l’augmentation des budgets et des effectifs inscrite dans la LPM 2019–2025.
Cependant, derrière cette augmentation, les premiers doutes se font jour. Comme pour les ressources financières – cela a été dit avant moi –, sur les 6 000 emplois promis, trois sur quatre sont envisagés pour le prochain quinquennat. Et si leur fléchage vers les secteurs du renseignement et de la cyberdéfense ou vers la protection des points sensibles nous semble pertinent, ceux qui sont dédiés aux exportations nous interpellent.
Par exemple, nous nous interrogeons sur les 400 postes fléchés prioritairement sur les exportations, alors que les moyens consacrés au recrutement, à la formation, à la santé, ne sont pas suffisants et mériteraient d’être renforcés.
En outre, madame la ministre, il serait utile que vous nous précisiez le reste des affectations prévues, et que vous nous disiez pourquoi la montée en puissance de ces effectifs ne se fait pas de manière continue à partir de l’an prochain – nous proposons d’ailleurs que tel soit le cas.
Nous comptons sur vous pour la mise en œuvre d’une gestion exemplaire des ressources humaines de nos armées.
Troisième point d’inquiétude : cette LPM abrite en son sein de réelles fragilités, liées à une trajectoire budgétaire surprenante.
Pour répondre aux ambitions affichées par le Gouvernement, l’effort reposera sur une trajectoire budgétaire dont la moitié sera réalisée après les élections de 2022. Or le budget alloué dépendra de la croissance future et de la situation des finances publiques. Néanmoins, les investissements militaires ne peuvent se faire au détriment d’autres domaines régaliens.
Autre lacune : les infrastructures sont fragilisées par une répartition des crédits peu opportune. Il aurait fallu, là aussi, un effort plus régulier ; en l’état, comme l’a rappelé le président Cambon, à l’horizon 2025, 60 % des infrastructures de la défense seront dégradées, voire inutilisables.
Concernant les équipements, les lacunes capacitaires ne seront pas résorbées d’ici à la fin de la programmation, et nombre d’entre eux n’auront pas pu être rénovés.
Cette loi de programmation militaire, au budget important, contient donc plusieurs faiblesses que nous ne pouvons occulter et auxquelles nous serons attentifs chaque année lors du vote du budget.
La commission a adopté la LPM en raison de la remontée en puissance des moyens annoncés pour sécuriser les ressources de nos armées. L’enjeu, pour nous, parlementaires, sera de nous assurer de la réalité de ces moyens et de contrôler la bonne application des dispositions de ce texte.
Grâce aux nombreux amendements portés notamment par les commissaires de la commission des affaires étrangères et par mes collègues du groupe socialiste et républicain, nous avons sanctuarisé les crédits de la LPM, affirmé le rôle du Parlement, renforcé le volet immobilier, simplifié les processus d’acquisition, préservé les droits des pensionnés et invalides de guerre, précisé les dispositions relatives aux incompatibilités liées à l’éligibilité des militaires en activité.
La triste réalité est qu’aujourd’hui seule la moitié du matériel militaire est utilisable. De nombreux parcs d’équipements souffrent d’une faible disponibilité – je pense aux hélicoptères de type Gazelle ou aux véhicules terrestres de type VAB – en raison d’une maintenance déficiente, d’une usure accélérée engendrée par la multiplicité des engagements, ou, simplement, parce qu’ils sont trop vieux.
En conséquence, nous avons adopté en commission des amendements visant à la modernisation des équipements de nos forces.
Concernant l’innovation, la commission a permis un assouplissement du cadre juridique des achats d’équipements, pour permettre une diffusion plus rapide et moins coûteuse de l’innovation.
Dans le domaine du renseignement, le texte issu de la commission nous semble garantir une meilleure association du Parlement dans son rôle de contrôle, pour un partage efficace des informations.
Parallèlement, pour ce qui est de la cyberdéfense, la commission a adopté à l’unanimité des amendements relatifs au contrôle parlementaire des communications électroniques et au durcissement des amendes en cas de non-transmission des données à l’ANSSI, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, par les opérateurs.
Nous avons aussi obtenu que soit garantie la constitutionnalité des mesures de la LPM en matière de cyberdéfense.
Autre sujet d’importance : la question de l’immobilier. Les commissaires socialistes ont fait adopter un amendement tendant à garantir un effort financier important en faveur de la politique immobilière jusqu’en 2023. Cela permettra l’amélioration des conditions d’exercice du métier, via celle du logement des militaires et de leurs familles.
Nous souhaitons désormais, dans le cadre du débat en séance publique, renforcer encore la priorité affichée par votre gouvernement, madame la ministre, à savoir faire de cette LPM une loi à hauteur de femmes et d’hommes pour maintenir un modèle d’armée complet.
Enfin, je défendrai à titre personnel, avec certaines et certains de mes collègues, des amendements en faveur de la lutte contre les discriminations et pour la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes dans nos armées. Je présenterai également des amendements visant à consolider le service militaire volontaire et son ouverture à l’ensemble des jeunes Français, y compris ceux qui résident à l’étranger, ainsi que des amendements visant à accompagner nos PME.
Nous avons abordé la LPM non pas comme un exercice purement comptable, mais comme un texte ayant vocation à protéger les Françaises et les Français. Embrassant les défis stratégiques et technologiques qui s’imposent à nous, les effets induits par les progrès technologiques qui y sont dessinés pourront se traduire par des applications civiles – il est ici important de le rappeler, dans la mesure où l’effort financier de cette programmation militaire repose sur les contribuables.
Contrairement à ce qui s’était passé pour la revue stratégique, nous sommes associés à l’élaboration de ce texte, ce qui nous permettra de jouer notre rôle de parlementaires.
Nous soutenons l’augmentation des crédits et des effectifs contenue dans cette LPM.
Nous saluons également l’ambition européenne de ce texte. Nous restons favorables à une réelle coopération militaire européenne jetant les bases d’une véritable autonomie stratégique.
Nous serons donc à vos côtés, madame la ministre, pour faire en sorte que cette trajectoire budgétaire soit respectée et que les avancées européennes se concrétisent.