Nous arrivons à une étape importante du projet de loi : la définition de la nature même de la sanction infligée.
Vous aurez compris que le cœur du dispositif de la riposte graduée est, en quelque sorte, une fusée à plusieurs étages : d’abord, une recommandation ; ensuite, grâce à un amendement que nous venons de voter, l’envoi par la HADOPI d’une lettre recommandée avec accusé de réception ; enfin, et c’est le point que nous abordons maintenant, la sanction.
L’amendement n° 75 rectifié n’a rien de révolutionnaire et préserve le caractère gradué de la riposte : il vise simplement à substituer à la coupure de l’accès à internet une amende, c’est-à-dire à modifier la nature de la sanction.
Cette amende, une fois créée, doit être modulée. Il apparaît en effet qu’elle doit être plus forte quand elle sanctionne l’utilisation illicite d’une œuvre que son auteur a fait l’effort de rendre accessible sur une plate-forme de téléchargement légal que lorsque l’œuvre piratée n’a pas été rendue légalement accessible. Ainsi se trouve réarticulé ce que tous les orateurs ont déploré hier soir : l’absence d’équilibre entre l’encouragement à l’offre légale et la désincitation de l’offre illégale.
Enfin, le produit de l’amende doit être réparti. Nous proposons de le réaffecter aux créateurs, à la filière, afin de compenser le préjudice économique.
Je voudrais revenir un instant sur ce qui nous a poussés à écarter la coupure de l’accès à internet et à y substituer l’amende.
J’ai déjà exposé, au cours de la discussion générale, le premier avantage que nous voyons à cette solution. Les Français sont de plus en plus nombreux à souscrire des offres composites, c’est-à-dire à recevoir par le même tuyau la télévision, le téléphone fixe et internet. Or nous avons la conviction, la certitude même, que la coupure de l’accès à internet ne pourra pas frapper tout le monde de la même façon, et divers organismes, notamment l’ARCEP, nous l’ont confirmé : dans les zones dégroupées – le plus souvent en milieu urbain –, la distinction des flux pourra être réalisée ; parfois, elle sera impossible dans les autres zones. Sont concernées 1, 150 million de lignes, ce qui signifie que la peine s’appliquerait différemment à au moins 3 millions de personnes. La coupure de l’accès à internet nous paraît donc discriminatoire, ce que n’est pas l’amende, laquelle n’a d’ailleurs rien à voir avec l’amende pénale autrefois créée par la loi DADVSI.
Le deuxième avantage que présente l’amende, à nos yeux, c’est qu’elle rend le fichier inutile. En effet, si l’on veut couper l’accès à internet, il faut pouvoir vérifier que l’abonné ne contourne pas la sanction en se réinscrivant auprès d’un autre opérateur : il devient donc nécessaire de constituer un fichier. Si l’on inflige une amende, le problème ne se pose plus, et les libertés publiques n’en sont que mieux respectées.
Le troisième avantage réside dans le caractère pédagogique de l’amende. D’abord, toucher au porte-monnaie, c’est toujours pédagogique. Surtout, comment influer sur les comportements et les rendre plus vertueux en les réorientant vers le téléchargement légal si l’accès à internet est coupé et, avec lui, l’accès aux œuvres qu’il est licite de télécharger ?
Enfin, un problème de cohérence se pose au sein même du Gouvernement. Éric Besson, parlant au nom du Président de la République à l’Élysée, a souligné, voilà quinze jours, que le haut débit internet devenait une « commodité essentielle ». Tous ici étions d’accord, en particulier lors de la discussion du projet de loi de modernisation de l’économie, pour estimer que demain le haut débit, donc internet, devait entrer dans le périmètre d’un nouveau service universel étendu et rénové. Il serait incohérent de vouloir intégrer le haut débit internet au service universel et, dans le même temps, d’envisager de couper le fil ! Internet permet de chercher un emploi, de se former, voire d’avoir une vie sociale : couper internet, c’est traumatiser toute une famille.
J’ai la conviction qu’une sanction prenant la forme d’une amende permettra de conserver l’efficacité de la riposte graduée et qu’elle sera beaucoup mieux ressentie qu’une coupure. J’ose espérer, madame le ministre, que mes arguments vous auront touchée.