Mes chers collègues, sur cette question essentielle, il est naturel que des points de vue différents s’expriment dans notre assemblée. Il nous faut en débattre sereinement.
Monsieur le rapporteur, il est fort différent de couper l’accès à internet quand l’abonnement n’est pas payé, parce qu’il existe une obligation contractuelle entre les deux co-contractants, et de le faire au nom d’un défaut de sécurisation de l’accès préjudiciable à la filière culturelle. Car celui qui a la responsabilité de l’accès n’est pas nécessairement celui qui pirate.
Plusieurs de nos collègues ont évoqué l’inégalité de l’amende. Mais, comme par hasard, cette question n’a dérangé personne quand il s’est agi, par exemple, de prévoir les amendes en cas d’infractions au code de la route ! L’amende prévue dans le cas présent n’a rien à voir avec l’amende pénale de 3 750 euros prévue par la loi DADVSI ; j’aurais bien aimé, d’ailleurs, que l’on en réduise le montant.
Depuis quand, dans notre pays, veut-on moduler les amendes en fonction des revenus ? Si cet argument est fondé dans le cas qui nous occupe, pourquoi ne le serait-il pas dans tous les autres cas – et ils sont nombreux, je vous l’assure ! – où des amendes sont prévues ?
J’ai rencontré un membre de l’OFCOM, au Royaume-Uni. Pour avoir suivi l’expérimentation qui y est menée depuis trois mois, je puis vous dire, mes chers collègues, qu’il est prévu d’envoyer des notices d’information, mais, en aucun cas, de suspendre l’accès à internet. Il n’est donc pas possible de s’appuyer sur cette expérimentation internationale pour justifier notre choix.
Par ailleurs, j’ai bien compris, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, qu’il n’avait pas été facile de parvenir aux accords de l’Elysée, qui sont le résultat de tout un processus et qui nous sont présentés comme un paquet cadeau.
Nous ne remettons pas en cause le principe de la riposte graduée. Mais depuis quand le Parlement doit-il se conformer à un accord préalable entre professionnels ? Mes chers collègues, nous sommes l’expression de la volonté générale ! Si nous n’avons le droit que de déplacer les virgules dans les projets de loi qui nous sont soumis, qu’on nous le dise ! On passera moins de temps à débattre et peut-être même fera-t-on réaliser des économies à la République !
Quant à la faisabilité d’une coupure d’internet préservant l’accès au téléphone, elle n’est prouvée ni par le Conseil général des technologies de l’information ni par l’ARCEP. On nous proposera tout à l'heure de réduire la bande passante quand il n’y a pas dégroupage total. Mais on affectera alors les flux qui transportent la voix sur le canal internet et la qualité du téléphone sera altérée. Or l’article L. 35-1 du code des postes et communications électroniques impose le maintien, même en cas de défaut de paiement, d’un service téléphonique, ne serait-ce que pour l’accès aux services d’urgence. On ne peut donc pas dégrader la qualité de la ligne.
Mes chers collègues, personne parmi vous, parce que ce serait nier la technologie actuelle, ne peut dire que les opérateurs peuvent aujourd'hui donner la priorité au flux de la ligne du téléphone sur IP par rapport à d’autres flux. On est même assuré du contraire.
Enfin, selon certains, l’amende ne serait pas convenable. À cet égard, je veux vous lire, mes chers collègues, une circulaire de la Chancellerie, qui date de 2007 : « des peines de nature exclusivement pécuniaire apparaissent parfaitement adaptées et proportionnées à la répression de ce type de faits, qui sont essentiellement motivés par un souci d’économie – éviter l’achat du CD, DVD, CD-Rom de jeux…. » Je n’invente rien !
Par ailleurs, l’idée selon laquelle le produit de l’amende doit être restitué aux artistes est juste. Cette loi va s’appliquer à ce que l’on appelle la « Net-génération ». Une étude récente a en effet montré qu’il existe une formidable rupture de génération. Or le consentement à la sanction me semble très important et constitue un signal fort. Comment imaginer priver de connexion internet pendant un an des personnes qui sont toujours – parfois trop ?– branchées ? Une amende serait mieux comprise des internautes.
Puisque l’on parle de pédagogie, voulons-nous nous adresser à cette Net-génération ou bien préférons-nous nous en tenir à nos certitudes et ne pas intervenir sur le processus qui a fait l’objet d’un accord ? Tel est le choix, fort simple – je le dis sans illusion –, que vous avez à faire, mes chers collègues.