Le bureau de notre commission avait décidé à l'automne dernier un déplacement de quatre jours à Djibouti, qui a eu lieu en mars dernier, en préparation de la LPM. Djibouti est en effet la première base française de forces prépositionnées ; c'est aussi la conjoncture géostratégique dans cette région qui nous intéressait.
Avec nos trois collègues, nous nous sommes donc attachés aux deux aspects de la présence française à Djibouti : la dimension militaire évidente, mais aussi la présence non militaire, à travers l'économie, le rôle du français comme langue officielle ou la place de la France dans le système éducatif et de santé à Djibouti.
Après avoir tâché d'évaluer la présence française dans ce pays aujourd'hui, nous nous sommes finalement posé une question simple : faut-il maintenir cette présence, faut-il la renforcer ou envisager au contraire d'autres priorités ?
La France est à l'origine de la création de ce petit État de la Corne de l'Afrique, alors dénommé territoire des Afars et des Issa, ce qui explique la relation forte et complexe qui unit la France et Djibouti. Cette relation se manifeste par l'importance du français, langue officielle avec l'arabe, dans une région anglophone.
À l'indépendance, en 1977, la France a conclu avec Djibouti un accord de défense renouvelé en 2011.
Aujourd'hui, la présence de la France à Djibouti repose sur quatre piliers, qui sont liés entre eux : la langue française et l'histoire commune ; la présence économique ; la présence militaire des forces françaises stationnées à Djibouti (FFDJ), dans un dispositif interarmes complet ; et la présence des familles de militaires français. Souhaitons-nous enclencher une dynamique ou demeurer dans un statu quo peu porteur d'avenir ?
L'intérêt d'une mission comme celle-ci est de confronter l'idée que nous pouvons avoir de la situation à la réalité du terrain, en faisant un certain nombre de constats.
Premier constat : tout le monde semble affluer dans cette région stratégique, dans un contexte où la présence française, longtemps déclinante, est aujourd'hui au mieux stabilisée. C'est le cas des Américains, qui ont ouvert dans les années 2000 une très importante base militaire dans la région qui compte maintenant 4 000 hommes et de très importants moyens, notamment aériens. C'est de Djibouti que décollent tous les drones américains qui sont en action en Somalie ou au Yémen. Par ailleurs, deux écoles anglophones ont ouvert récemment à Djibouti, ce qui témoigne d'un début d'évolution.
C'est aussi le cas des Chinois, qui ont ouvert leur première base militaire hors de Chine à Djibouti. Si le nombre de soldats stationnés dans cette base n'est pas communiqué, il est indéniablement en augmentation progressive. Surtout, cette base importante aurait la capacité d'accueillir des troupes bien plus nombreuses. La Chine est par ailleurs très active dans les infrastructures, portuaires, ferroviaires, de télécommunications, etc.
Les pays du Golfe sont également très intéressés par Djibouti. Dubaï y gérait jusqu'à récemment un port, transféré d'autorité à la Chine par les autorités djiboutiennes. L'Arabie Saoudite envisagerait d'y ouvrir une base et elle serait prête à financer la modernisation de l'armée djiboutienne. Le Japon dispose également d'une installation à Djibouti, dans le cadre des opérations de lutte contre la piraterie. Enfin, certains pays européens comme l'Allemagne ou l'Espagne sont représentés au travers de leurs contingents engagés dans les opérations en Somalie.
Deuxième constat : la présence militaire française à Djibouti est un élément très fort d'influence. Naturellement, cet atout est aujourd'hui mis en concurrence par l'arrivée massive d'autres puissances. Mais il reste des acquis, notamment dans l'insertion des militaires français et de leurs familles dans le pays, qui nous distingue de façon spectaculaire des Américains ou des Chinois.
Troisième constat : après une période d'incompréhensions, voire de désamour, la relation entre la France et Djibouti reprend des couleurs. Cela tient aussi, paradoxalement, à l'arrivée d'autres acteurs, les Djiboutiens mesurant l'intérêt à ne pas dépendre d'une seule relation, en l'espèce avec la Chine. De plus, la langue et la culture française sont si prégnantes dans le pays, notamment dans l'élite politique et économique, qu'elles font aussi partie de son identité. Une partie des Djiboutiens sont aussi inquiets du risque de dilution de leur identité qui repose sur cette spécificité francophone au sein d'une région anglophone.
Il y a donc aujourd'hui une véritable opportunité pour que la France repense sa présence à Djibouti, dans tous les domaines et non sous le seul angle militaire, comme vont le montrer nos collègues à qui je cède la parole, avant, si vous en êtes d'accord, monsieur le président, de la reprendre brièvement en conclusion.