Intervention de Gilbert-Luc Devinaz

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 23 mai 2018 : 1ère réunion
« evaluation du rôle de la présence française à djibouti » — Communication

Photo de Gilbert-Luc DevinazGilbert-Luc Devinaz, rapporteur :

Djibouti renvoie souvent, dans l'imaginaire des Français, à la seule présence militaire. Or la première chose que l'on remarque lors d'une visite sur place, ce n'est pas la dimension militaire, mais les investissements massifs dans les infrastructures portuaires.

Il y a à cela une très bonne raison. Djibouti dispose déjà d'un port en eaux profondes et il est au carrefour de l'Éthiopie, de la Somalie et de l'Érythrée, idéalement situé pour contrôler le détroit du Bab-el-Mandeb. Cet atout géographique est d'ailleurs la raison de l'arrivée initiale des Français dans la seconde moitié du XIX e siècle !

Or on assiste à la conjonction de plusieurs facteurs qui créent une situation nouvelle à Djibouti. Tout d'abord, l'Éthiopie se développe rapidement. Ce pays de 100 millions d'habitants devrait atteindre le statut de pays à revenu intermédiaire et donc sortir du sous-développement dès 2025. Du reste, sa compagnie aérienne cherche à s'imposer comme le leader du marché pour toute l'Afrique de l'Est.

Deuxième facteur favorable, l'Éthiopie n'a pas de débouché maritime et Djibouti constitue, en quelque sorte, son port naturel. Les Français en avaient bien conscience lorsqu'ils ont construit, il y a plus d'un siècle, le chemin de fer entre Addis-Abeba et Djibouti. Malheureusement, nous avons perdu cette vision stratégique. Cette ligne de chemin de fer a vieilli et lorsque les Djiboutiens se sont tournés vers la France pour la rénover, au début des années 2000, nous n'avons pas donné suite, l'opération étant jugée peu rentable. Entre temps, le trafic routier a crû très fortement : on compte environ un millier de poids lourds par jour entre Addis-Abeba et Djibouti. Les Djiboutiens se sont alors tournés vers d'autres pays dans leur projet de développement.

Troisième facteur qui a favorisé le projet djiboutien de devenir un nouveau hub logistique pour toute l'Afrique de l'Est, la région des Grands Lacs, les Soudan et l'Égypte, et même pour l'océan Indien et la péninsule arabique : l'intérêt très vif des nouveaux acteurs. Il s'agit premièrement des pays du Golfe. Rappelons que Djibouti est à la fois un pays africain et un pays arabe (l'arabe étant la deuxième langue officielle), séparé du Yémen par une quinzaine de kilomètres seulement. C'est ainsi que les Dubaïotes se sont vu confier l'exploitation du premier terminal de containers après que les Français eurent, là encore, marqué leur peu d'intérêt. Deuxième nouvel acteur majeur : la Chine, qui a obtenu à la fois de remplacer les Dubaïotes pour l'exploitation d'un port et d'en construire un second. Les Chinois ont également construit la nouvelle ligne de chemin de fer Addis-Djibouti, qu'ils ont symboliquement inaugurée un siècle quasiment jour pour jour après l'inauguration de la première ligne par les Français. Ils ont également construit le nouveau réseau de télécoms, qu'ils maîtrisent entièrement, et un hôpital, même si celui-ci n'est pas vraiment pourvu de médecins. Ils ont enfin obtenu le droit de construire une immense base militaire, bien protégée, que nous avons survolée. Les intérêts de la Chine pour l'Afrique sont connus. À Djibouti, ils s'illustrent clairement et de manière massive.

Philippe Paul l'a rappelé fort justement, les différents domaines s'entrecroisent. La présence chinoise est forte, car elle est à la fois militaire et civile. Si quelqu'un doutait du lien entre le militaire et le civil, les réactions très vives des Américains à la perspective de mainmise chinoise sur toute l'activité portuaire de Djibouti ont été explicites. Les Américains, qui entretiennent une base de 4 000 hommes ont exprimé très clairement qu'il n'était pas question que les approvisionnements de leur base soient dépendants du bon vouloir chinois, si ceux-ci devaient finir par gérer toutes les infrastructures portuaires.

C'est pourquoi, alors même que la France a, pendant une quinzaine d'années, un peu délaissé Djibouti sur le plan économique, il existe aujourd'hui une vraie fenêtre de tir pour réinvestir dans ce pays. Il faut aider Djibouti à éviter de se retrouver dans un face-à-face exclusif avec la Chine, qui pourrait vite devenir étouffant.

De fait, les réalisations chinoises ont été largement financées par des prêts chinois à Djibouti. Or, dès 2019, Djibouti va devoir commencer à rembourser ces prêts, alors même que le pays produit peu, en lui-même.

Dans ces conditions, le risque est grand que le créancier chinois se paye en nature, en récupérant tout ou partie de la propriété des infrastructures. Il y a quelques semaines, le Fonds monétaire international (FMI) a exprimé, en la personne de Mme Lagarde, sa préoccupation par rapport à la stratégie chinoise consistant à prêter sans limitation à des pays financièrement fragiles, qui auront les plus grandes difficultés à rembourser. Cette stratégie, loin d'être imprudente, est peut-être le retour délibéré vers une forme d'impérialisme que les puissances européennes ont elles-mêmes pratiqué au XIXe siècle, et qui permet de prendre le contrôle d'un pays par ses infrastructures. Nos collègues du groupe de travail sur les nouvelles routes de la Soie, présidé par Pascal Allizard, nous en diront sans doute plus.

Dernier point enfin, le potentiel touristique, aujourd'hui inexploité, d'un pays qui allie un ensoleillement quasi permanent, un patrimoine naturel significatif et une population francophone. Un des responsables que j'ai rencontrés là-bas m'a dit : je parle français, je pense en français et je rêve en français. Cet acquis est un bien inestimable pour la France !

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