Intervention de Hugues Saury

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 23 mai 2018 : 1ère réunion
« evaluation du rôle de la présence française à djibouti » — Communication

Photo de Hugues SauryHugues Saury, rapporteur :

Je vous présenterai quant à moi la dimension socioculturelle de la présence française à Djibouti. La vitalité de la langue française y est frappante, plus forte encore que dans bien des pays francophones d'Afrique. Or Djibouti est le seul point francophone dans cette région. Mais cette position commence à être remise en cause, avec l'arrivée massive de nouveaux acteurs, notamment américains et chinois, à un moment où ce n'est plus la France qui réalise les grands projets de développement.

En second lieu, la diminution du volume des FFDJ a un impact très important. En effet, parce que les militaires français qui sont en affectation longue (deux ans et plus) viennent parfois accompagnés de leurs familles, le groupe scolaire Kessel-Dolto dispose d'un vivier important d'enfants français (58 %), ce qui garantit un niveau élevé de langue française dans ces deux établissements. À ce titre, il convient de noter que le lycée Kessel est un des plus gros lycées français à l'étranger. La diminution des effectifs (de 10 000 hommes à l'indépendance du pays, les FFDJ sont passées à 2 000 au début de cette décennie, puis à 1 450 en 2015) a entraîné en quelques années la perte de 400 élèves français. De façon plus subtile, à l'occasion de réorganisations des FFDJ, certains postes de longue durée ont été convertis en postes tournants, notamment dans les fonctions support - la famille ne s'installe pas sur place. Du reste, le choix a été fait, pour des raisons d'économies, de privilégier les célibataires pour les postes longs à Djibouti. Cette logique aboutit à fragiliser l'école et le lycée français, et donc toute notre présence dans le pays.

Philippe Paul l'évoquait en introduction, il y a là un cercle vicieux : s'il y a moins d'enfants de militaires, le niveau du lycée, mais aussi son équilibre économique, se dégrade ; or la qualité des écoles et lycées joue beaucoup dans le choix des militaires d'emmener ou non leurs familles.

Par ailleurs, nous avons eu l'occasion de constater le niveau de délabrement avancé des locaux du lycée Kessel. Le groupe scolaire est installé dans des préfabriqués qui datent de 1994 et qui ont fait plus que leur temps. Un projet de construction en dur a été proposé, qui repose aussi sur l'octroi par les FFDJ d'une emprise sur un terrain limitrophe de la base. Ce projet est, à l'heure actuelle, ralenti par des problèmes de gouvernance, notamment au sein de l'association des parents d'élèves, gestionnaire du lycée. Il faut donc vivement souhaiter qu'il puisse aboutir rapidement, notre ambassade s'y emploie.

Le recrutement des enseignants est rendu difficile par les conditions peu attrayantes : contrairement aux militaires, ils n'ont pas la possibilité d'être imposés en France. Or le droit fiscal djiboutien ne reconnaît pas la notion de foyer fiscal, ce qui fait que les couples avec enfants sont désavantagés par rapport à une situation en France. En deuxième lieu, l'électricité, indispensable pour la climatisation, est très chère à Djibouti. Une enseignante rencontrée sur place nous indiquait payer entre 800 euros et 1 000 euros par mois d'électricité en n'utilisant la climatisation qu'avec parcimonie. Enfin, Djibouti n'ayant quasiment pas de production alimentaire propre, hormis pour la pêche, le coût de la vie y est élevé. Pour toutes ces raisons, beaucoup d'enseignants repartent après un an, ce qui fragilise le groupe scolaire.

Au total, la situation est paradoxale et assez fragile. Il existe certains atouts (comme le niveau important d'aide de l'AEFE), mais la situation peut basculer facilement, ce qui rend d'autant plus cruciale la question des familles de militaires. S'ajoute enfin à cet ensemble un institut français, qui constitue un lieu culturel majeur pour le pays.

Le Centre médico-chirurgical inter-armées (CMCIA) des FFDJ est l'établissement de référence à Djibouti. Naturellement, sa vocation est en premier lieu militaire. Il est également ouvert aux familles des soldats et à la communauté française. Mais le CMCIA accueille aussi un public djiboutien. L'excellence de ce centre, qui n'est menacé que par son succès, contraste avec la situation de l'hôpital construit par la Chine, dont l'activité est très limitée faute de personnel médical.

En conclusion, le pilier socio-éducatif et culturel est clairement un avantage comparatif de la France par rapport aux autres nations qui affluent à Djibouti, d'autant que les Français de Djibouti vivent en lien et en harmonie avec les Djiboutiens, notamment en les faisant travailler et en faisant fonctionner le commerce local, contrairement aux ressortissants des autres nationalités. Mais ce pilier demande à être conforté, notamment via l'amélioration de la situation du lycée.

En complément et pour terminer, mon regard personnel sur Djibouti n'est pas très optimiste. Se cumulent l'importance de la consommation de khat, les difficultés de la gouvernance économique, un niveau de chômage très important, un partage des richesses déséquilibré, une agriculture très limitée par le manque d'eau, une activité économique de production faible... La situation sécuritaire, qui semble aujourd'hui bien établie, pourrait se révéler précaire.

Djibouti, pays aujourd'hui calme, entouré de voisins instables, représente un enjeu géostratégique évident pour la France, mais c'est aussi une terre d'incertitudes pour laquelle nous devons peser nos engagements à l'aune de ces nombreuses menaces.

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