Intervention de Bertrand Martinot

Commission des affaires sociales — Réunion du 23 mai 2018 à 9h00
Projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel — Audition de M. Bertrand Martinot directeur général adjoint des services de la région ile-de-france chargé du développement économique de l'emploi et de la formation et de Mme Anne-Valérie Aujames et M. Alain Bao représentants de la fédération nationale des associations régionales de directeurs de centres de formation d'apprentis fnadir

Bertrand Martinot, directeur général adjoint des services de la région Ile-de-France chargé du développement économique, de l'emploi et de la formation :

Le paritarisme au niveau national me semble dans un état de coma dépassé depuis de nombreuses années. Les partenaires sociaux ont parfois été capables de conduire des réformes importantes, en matière de droit du travail, de protection sociale et d'apprentissage, voire d'assurance chômage. Mais les seules véritables avancées ont été possibles, en matière de droit du travail en 2008, lorsque l'État s'est montré insistant. La faible représentativité au niveau national des organisations syndicales, dont la plupart ne sont pas réformistes, et la division du patronat obèrent l'avenir du dialogue social interprofessionnel. Le dialogue social est très riche et fondamental, mais il doit se conduire au niveau des entreprises et, subsidiairement, au niveau des branches. L'État est ainsi voué à reprendre la main au niveau national : la législation est la source du droit du travail. L'assurance chômage est un sujet qui ne concerne pas que les salariés et s'étendra désormais aux indépendants. Les chômeurs et les salariés du secteur privé sont sous-représentés dans les organisations syndicales. Les autorités publiques, comme le Parlement, doivent se saisir des grands principes du droit du travail, quitte à renvoyer à la négociation, dans les branches et les entreprises, le soin de fixer les détails. Il n'y a pas de droit du travail sans dialogue social ; celui-ci ne pouvant plus se développer à l'échelle nationale, en raison de la diversité économique de nos territoires. On a laissé se développer une bureaucratie sociale plus poussée encore que celle de l'Etat ! L'accord national interprofessionnel du 22 février dernier sur la formation professionnelle illustre le caractère technocratique de cette administration sociale sans équivalent ! L'Etat n'y est pour rien, puisque ce sont les technocrates des branches et les apparatchiks des organismes sociaux qui l'ont produit.

L'intérêt du volet « formation professionnelle » de la loi est de donner plus de pouvoirs aux branches et aux individus qui savent ce qui leur est bénéfique. Le CPF est aujourd'hui fixé par les commissions administratives des branches ! Ainsi, la monétisation du compte personnel formation est plus politique que technique, puisque les branches régulent actuellement par les prix un système de formation professionnelle totalement administré. Le Gouvernement me paraît bien inspiré d'avoir remis en cause cette pratique.

La question du rôle des régions me semble différer de celle du paritarisme. Si l'idée du Gouvernement est d'écraser tous les intermédiaires, le résultat peut s'avérer risqué. Je distinguerai entre les régions, collectivités territoriales, et les partenaires sociaux. Je ne pense pas que les régions soient des corps malades, à l'instar des organisations patronales et syndicales au niveau national. Leurs prérogatives, en termes de développement économique, de stratégie et d'ensemblier des politiques publiques, les rendent légitimes à s'occuper de l'apprentissage. Qui fera dialoguer les CFA et les acteurs au contact des jeunes, qui se trouvent dans les lycées professionnels, les missions locales et les différents organismes financées par les régions ? A l'inverse des 400 branches, les régions ont vocation à piloter des campagnes d'apprentissage au niveau d'un territoire, du fait de leur compétence générale en matière d'insertion et de développement économique.

S'agissant du financement au contrat, la loi va vers le rapprochement entre le contrat de professionnalisation et le contrat d'apprentissage. Cependant, les contrats d'apprentissage ne prépareront pas aux certifications de qualification professionnelle des branches. L'apprentissage restera dédié à la formation relativement longue et structurante. Il ne vise donc pas à répondre aux besoins immédiats du marché du travail, à l'instar d'un certificat de qualification professionnelle (CQP) de 150 heures. Débuter un apprentissage à 14 ans est une farce, les entreprises éprouvant déjà des difficultés à trouver des apprentis âgés de 16 ans ! La question de la maturité se pose déjà à cet âge et les adolescents de 14 ans sont aujourd'hui radicalement différents de ce qu'ils pouvaient être lors de l'adoption de la loi Astier...

La région est l'autorité chargée de réguler la carte des formations initiales et d'arbitrer entre les lycées professionnels et les CFA. Le projet de loi remet en cause ce principe.

En matière d'orientation, ce texte prévoit le transfert des délégations régionales de l'office national d'information sur les enseignements et les professions (Dronisep) aux régions, soit une vingtaine d'agents qui sont chargés de la rédaction de plaquettes d'information, mais qui ne vont pas au contact des jeunes. Or, l'orientation se fait aussi au niveau du lycée. La logique d'un proviseur est de maximiser la dotation de son lycée et de conserver le plus grand nombre d'élèves possibles dans la filière générale ou professionnelle. Dans de telles conditions, l'apprentissage ne peut se développer.

Je pense qu'il serait bénéfique d'introduire enfin, dans le code du travail, les écoles de production.

Les règles de création et de fermeture des CFA résultent d'échanges annuels avec la région, qui reste décisionnaire. Ce mécanisme est appelé à disparaître ; les CFA devenant, sur cette question, autonomes. J'aurais préféré que soit instauré un mécanisme de codécision entre la région et les secteurs professionnels concernés, à l'instar de ce qui prévaut en Ile-de-France. L'apprentissage ne pourra réussir sans la concertation entre les régions et les branches professionnelles. Tout système monopolistique en la matière - comme celui proposé par le projet de loi - est voué à l'échec.

Enfin, malgré son caractère bureaucratique, la procédure d'enregistrement aujourd'hui sécurise l'entrepreneur. Avec le dépôt se pose la question du devenir de l'apprenti, en cas de défaillance de l'entreprise d'accueil.

Les 250 millions d'euros, qui doivent être consacrés à la péréquation régionale, sont à comparer à l'enveloppe d'un milliard deux cent millions d'euros dont disposent aujourd'hui les régions pour subventionner les CFA. Une telle somme ne permettra pas de soutenir l'ensemble des CFA potentiellement en faillite du fait de cette réforme. Au-delà de l'insuffisance des moyens se pose une question de principe : pourquoi les régions mettraient-elles de l'argent dans l'apprentissage, alors qu'elles n'auraient plus de compétence en la matière ? La compétence obligatoire induit une responsabilité. Les régions seront amenées à financer en priorité les politiques publiques relevant de leurs compétences obligatoires.

France Compétences sera un établissement public de l'État qui fera de la péréquation entre branches et attribuera des subventions aux régions, sans que le projet de loi n'en fournisse d'ailleurs les critères. Les Crefop demeureront consultatifs et n'auront pas de rôle en matière d'apprentissage. Quel organisme centralisera désormais les statistiques ?

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