Est-ce que le tout-numérique génère vraiment des économies ? Oui ! Souvent, il ne suffit pas de numériser ; le plus important, c'est de repenser aussi une relation de service, une relation de guichet. Je pense à un très beau projet, la « bonne boîte », que nous avons monté avec Pôle emploi, et qui a coûté 300 000 euros, qui a pour objet de prévoir quelles entreprises vont recruter, afin de susciter des candidatures spontanées. Les trois quarts des agents de Pôle emploi s'en servent au moins une fois par semaine, et le taux de retour à l'emploi s'améliore de 20 % à six mois quand on conjugue cet outil numérique, cette relation guichet et cette démarche de recherche personnelle.
L'optimum de la dématérialisation, ce n'est peut-être pas de fermer des guichets. Le Gouvernement est également très attentif à l'inclusion numérique et la meilleure dématérialisation, c'est celle qui garde toujours un canal d'accès humain : on peut ne pas toujours comprendre le jargon administratif, par exemple. Quand le Président de la République promet de dématérialiser d'ici à la fin du quinquennat l'ensemble des démarches administratives, cela ne signifie pas que l'ensemble des guichets va fermer ; cela signifie qu'il y aura toujours un accès par la voie numérique.
Pour prendre l'exemple de l'échange automatique de données, on économise une photocopie, une enveloppe, l'opération d'ouverture de cette enveloppe et de nouvelle saisie de ces données. Chaque échange automatique d'une information permet de gagner quelques heures de travail d'un agent public. Il y a donc des économies considérables à faire.
Sur la question de l'infrastructure de données, nous avons poussé ce concept dans le rapport de l'administrateur général des données. On a un peu trop pensé la donnée jusqu'à présent à partir de l'open data, quelque chose qu'il fallait ouvrir et quelque chose de « gazeux ». Aujourd'hui, cela devient un socle essentiel de la puissance et de la souveraineté d'un pays. Sur quel système d'information asseoir la décision et le fonctionnement du pays ? À ce jour, 90 % des start-up françaises fournissent des services nécessitant une permission de Google Maps ou de PayPal, qui sera agréablement remplacé par PayFiP un de ces jours. Cette domination est majeure. Or les interfaces de programmation d'application (API) de Google Maps vont subir une très violente augmentation tarifaire le 11 juin prochain et coûteront 1 000 fois plus cher. Ceux qui ont assis leur business model sur ces données gratuites vont se faire rattraper.
La donnée nécessite une infrastructure aussi critique que les routes, les ponts en matière d'aménagement du territoire. Nous travaillons beaucoup sur cette vision de l'infrastructure, avec trois entrées principales.
Premièrement, le service public de la donnée, créé par la loi pour une République numérique. Ce sont les données dites « de référence », celles auxquelles tout le monde se réfère tout le temps : le cadastre, la base Siren, etc. L'État n'en garantit pas seulement l'accessibilité, il en garantit également la qualité. La Dinsic, via la mission Etalab, est chargée de garantir cette qualité d'accès à la donnée.
Deuxièmement, cette stratégie technologique que nous qualifions parfois d'« État plateforme » repose sur l'idée que nous créons des systèmes d'échange automatique de données entre administrations, des interfaces de programmation d'application (API). Cela oblige à repenser assez radicalement le système d'information de l'État, non plus comme des silos, mais comme des interfaces d'échange de données. Cela commence à produire ses fruits : l'API Entreprise permet ainsi de dématérialiser chaque mois 2 millions de pièces.
Troisièmement, un très gros travail est fait sur l'identité et l'authentification pour sécuriser les échanges automatiques de données. Il faut s'assurer qu'elles vont à la bonne personne, que le consentement est recueilli si cela est nécessaire, que celui qui demande la donnée est bien celui qu'il prétend être. FranceConnect permet ainsi l'authentification de l'usager d'un service public et connaîtra bientôt une déclinaison FranceConnect Agent, qui sera assortie des droits professionnels de l'agent public et de la certitude qu'il est habilité à connaître tel ou tel secret et donc à accéder à telle ou telle donnée.
Concernant nos effectifs, la Dinsic a trois grandes missions et emploie 140 personnes. Quarante d'entre elles gèrent le réseau d'échange de données de l'État entre 14 000 bâtiments. Nous prétendons être plus résilients qu'internet lui-même ; j'espère néanmoins qu'internet ne connaîtra jamais un collapsus total vous le prouvant !
Une quarantaine de vos agents gère les trajectoires budgétaires, les cadres technologiques, vérifie les grands projets informatiques avec une implication à la marge sur l'achat public.
Un même nombre d'agents, dont ceux de la mission Etalab, s'occupe davantage de transformation numérique, notamment de développer les méthodes agiles, la data, l'usage de la donnée, etc. Une réflexion est en cours sur une réorganisation globale de la fonction numérique dans l'État qui aboutirait à densifier la Dinsic. Il ne s'agit pas de faire à la place des ministères, qui doivent conserver leurs compétences. Mais vous avez noté que le rapport du député Cédric Villani suggère la création d'un laboratoire d'intelligence artificielle (IA) au service de la puissance publique, avec une trentaine de personnes.
Enfin, vous nous avez tous demandé pourquoi il était si compliqué et si long de documenter les algorithmes. On ne trouve pas toujours des systèmes très propres avec un algorithme bien logé dans une partie du code source. La lecture de notre rapport sur l'APB vous renseignera sur ce système, lancé il y a huit ans pour gérer les inscriptions au concours des écoles polytechniques, et qui s'est ensuite enrichi de règles de décision, pour finir par gérer l'ensemble des demandes d'entrée à l'université.