Il l'était quand même un peu. Ce n'est pas le pire projet dans l'histoire informatique de l'État. Réalisé pour un coût peu élevé par quatre ou cinq personnes, il s'est montré efficace. Ils avaient conscience aussi que certaines décisions appartenaient au législateur, mais qu'il fallait bien que quelqu'un les prenne. C'est pour cette raison qu'ils ont bien pris soin de mentionner que, faute d'instruction, ils prévoyaient un tirage au sort.
J'ai rejoint les services de l'État il y a cinq ans, après avoir créé des start-up et travaillé dans un grand groupe du CAC 40. Cette conversion numérique, c'est aussi une conversion culturelle profonde et difficile. L'État est confronté à des difficultés, qui ne sont pas forcément pires que celle que rencontrent les grandes entreprises du CAC 40. Nos gouvernances, nos régulations n'étaient pas conçues dans cette optique. Avec l'informatique de l'État, jusqu'en 1986, chacun faisait ce qu'il voulait. En 1986, sous le gouvernement d'Édouard Balladur, chaque ministre était responsable du système d'information de son ministère. Ce n'est qu'en 2011 qu'on a envisagé une fonction centrale et ce n'est qu'en 2014 qu'est apparue la notion d'un système d'information de l'État. Aujourd'hui, par exemple, on a un mal fou à construire la carrière d'un grand chef de projet informatique ; pour le récompenser, on le nomme préfet, inspecteur des finances ou ambassadeur, faute de trajectoire professionnelle d'informaticien d'État, en tout cas pour les grands chefs de projet. Rien n'a été pensé pour faire face à cette métamorphose incroyable. Le travail de la Dinsic depuis trois ou quatre ans consiste aussi à pousser des choses qui semblent parfois saugrenues : les méthodes Agile pour le pilotage et la réalisation de projet, la culture du Devops (développement logiciel et administration des infrastructures informatiques), des modes de relation avec les fournisseurs historiques de l'État, qui n'ont pas tous parfaitement réussi leur conversion numérique et de gestion des ressources humaines. Nous avons besoin de professionnels aguerris et il va falloir penser autrement la question des contractuels. Faute de réussir cette conversion, tout sera bloqué.
Tout ce dont nous venons de parler ne comporte pas de difficultés majeures. On peut faire un OpenFisca avec trois ou quatre développeurs. La Nouvelle-Zélande devrait nous rejoindre pour enrichir de leurs propres règles OpenFisca. Un ancien d'Etalab a travaillé trois semaines avec eux. C'est l'irruption dans l'État de gens, de communautés, d'écosystèmes, de technologies, de cultures, de méthodes autour desquels nous n'avons pas été construits. Il va falloir sans doute un temps de transition pour organiser cette porosité.
Le Sénat et l'Assemblée nationale devraient avoir leurs propres outils informatiques et de simulation, mais aussi la Cnil, la Cada, la Cour des comptes. C'est possible avec cinq ou six bons développeurs et data scientists. La Cnil fait des choses extraordinaires !