La situation actuelle de notre système ferroviaire est très préoccupante. La dette du gestionnaire d'infrastructure, SNCF Réseau, a atteint 46,6 milliards d'euros fin 2017 et poursuit une trajectoire inquiétante.
L'écart entre les coûts de production du groupe public ferroviaire et les autres entreprises ferroviaires est estimé à 30 % minimum. Ce ne sera pas soutenable après l'ouverture à la concurrence ! En outre, la concurrence intermodale est forte, dès aujourd'hui. Et nous nous sommes engagés à verdir nos modes de transport.
L'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer) souligne que la part modale du transport ferroviaire de voyageurs a été réduite, de 10 % en 2011 à 9,2 % en 2016, alors qu'elle augmente chez nos voisins européens. Les chiffres sont encore plus préoccupants pour le fret : la part modale est passée de 15 % en 2001 à moins de 10 % aujourd'hui.
Le projet de loi est en partie dicté par les échéances inscrites dans le quatrième paquet ferroviaire européen, adopté en décembre 2016. Il impose une transposition avant la fin de cette année, pour une ouverture à la concurrence des services conventionnés - TER, Transilien ou Intercités - à partir du 3 décembre 2019 (avec des possibilités de dérogations), et une ouverture des services commerciaux en décembre 2020.
Le président Maurey et notre ancien collègue Louis Nègre avaient présenté une proposition de loi sur le sujet, adoptée par le Sénat le 29 mars dernier. Ce texte a été enrichi lors de son examen. Le rapporteur Jean-François Longeot a pris en compte les remarques du Conseil d'État, que le Président Larcher avait saisi. Le Sénat a donné l'alerte sur le risque de disparition des dessertes TGV des villes moyennes.
Mais le projet de loi ne se limite pas aux questions d'ouverture à la concurrence, il constitue une réforme plus globale de notre organisation ferroviaire. Il comportait initialement 8 articles, habilitant le Gouvernement à procéder à la réforme par voie d'ordonnance. Puis le Gouvernement a introduit, au fil de l'examen à l'Assemblée nationale, des dispositions définitives se substituant à ces habilitations. L'inconvénient, c'est que le Conseil d'État, de ce fait, n'a pas rendu d'avis, et que les parlementaires sont également privés d'étude d'impact. Ils ont eu peu de temps pour examiner les nouvelles mesures. Néanmoins, au Sénat, le Gouvernement a déposé la totalité de ses amendements avant le délai-limite, et nous avons eu des échanges constructifs avec la ministre. L'insertion de ces dispositions en cours d'examen permet effectivement d'associer le Parlement dès à présent aux grandes orientations retenues, ce qui est très positif. On a besoin du Sénat pour aboutir...
À l'issue de son examen à l'Assemblée nationale, le texte comporte 28 articles. En premier lieu, le projet de loi réforme l'organisation et la gouvernance du groupe public ferroviaire. Les députés ont voté à l'article 1er A le principe de la transformation des établissements publics du groupe public ferroviaire en sociétés anonymes à capitaux publics. Cela conférera aux sociétés du groupe public unifié une plus grande souplesse de gestion et impliquera une plus grande rigueur budgétaire, puisque ces sociétés ne pourront plus présenter durablement des capitaux propres négatifs.
Surtout, la Commission européenne considère que la garantie implicite illimitée de l'État permet aux EPIC d'obtenir des conditions de crédit plus favorables que les opérateurs privés, ce qui est incompatible avec les règles européennes de la concurrence sur le marché intérieur.
L'article 1er A prévoit que les capitaux de la future société nationale SNCF seront intégralement détenus par l'État et ceux de SNCF Réseau et SNCF Mobilités par la holding SNCF. Une telle formulation empêche que d'autres investisseurs puissent entrer au capital de ces sociétés et exclut donc toute possibilité de privatisation. Toutefois, pour apaiser certaines craintes, précisons dans la loi que les titres de ces sociétés seront incessibles.
Cet article prévoit également le rattachement de Gares et Connexions à SNCF Réseau. Dans le cadre de l'ouverture à la concurrence, il est nécessaire de séparer le gestionnaire de gares et SNCF Mobilités, afin de garantir un accès transparent et non discriminatoire des entreprises ferroviaires à ces installations.
La proposition de loi Maurey-Nègre transformait Gares et Connexions en filiale de la SNCF, par crainte qu'un rattachement à SNCF Réseau n'obère les capacités de Gares et Connexions à recourir à l'emprunt pour financer des investissements en gares, puisque le gestionnaire d'infrastructures est déjà très endetté. Le Gouvernement s'est engagé à reprendre une partie de la dette de SNCF Réseau. Le Premier ministre s'exprimera vendredi sur ce point. Un rattachement de Gares et Connexions au gestionnaire d'infrastructure peut donc s'envisager ; il simplifierait la gestion du patrimoine des gares, aujourd'hui éclatée entre SNCF Mobilités et SNCF Réseau. Il convient cependant de garantir à Gares et Connexions une autonomie suffisante pour continuer à investir. Ce sera l'objet d'un de mes amendements.
Pour le transport ferroviaire de voyageurs, le projet de loi privilégie le libre accès au réseau, l'open access, et donne la prééminence aux services commerciaux, appelés services librement organisés. Cela a des conséquences concrètes en matière d'aménagement du territoire. Aujourd'hui, les services de TGV assurés par SNCF Mobilités font l'objet d'une péréquation interne, assurant la desserte de 230 villes. Demain, l'opérateur historique ne pourra plus assumer les mêmes contraintes sans compensation. Le maintien des liaisons considérées comme peu ou non rentables (je songe à la desserte des villes moyennes sans correspondance) est directement menacé.
Le Gouvernement propose deux choses. Le premier mécanisme, prévu à l'article 1er bis, est une modulation des péages orientée vers l'aménagement du territoire, pour favoriser le maintien ou le développement des dessertes pertinentes. Cette évolution doit permettre de réduire le nombre de dessertes TGV non rentables. Aujourd'hui, 50 % des dessertes TGV seraient économiquement fragiles. La nouvelle modulation tarifaire diviserait ce nombre par trois. Autrement dit, une desserte TGV sur six resterait compromise et nécessiterait la conclusion d'un contrat de service public. L'ampleur exacte de cette modulation tarifaire dépendra toutefois des conditions de mise en oeuvre retenues par le gestionnaire d'infrastructure sous le contrôle de l'Arafer, ainsi que de l'évolution générale du niveau des péages.
Le projet de loi autorise donc l'État, comme les régions, à conclure des contrats de service public, y compris pour des services TGV, pour garantir les liaisons menacées. Ce conventionnement peut sauver des dessertes directes sans correspondance, ce qui est important au regard de la concurrence intermodale. Mais l'État s'engagera-t-il résolument dans cette voie, alors même qu'il vient de transférer aux régions une grande partie des trains Intercités ? Ce serait un comble que la responsabilité du maintien des dessertes TGV menacées revienne aux régions, surtout en l'absence de financements spécifiques... C'est la raison pour laquelle je vous proposerai de reprendre ici un dispositif de la proposition de loi prévoyant la conclusion, par l'État, de contrats de service public pouvant inclure des services à grande vitesse pour répondre aux besoins d'aménagement du territoire, notamment préserver des dessertes directes sans correspondance.
Je vous proposerai également que l'État soit systématiquement informé des modifications des dessertes commerciales envisagées par les entreprises ferroviaires, pour qu'il soit en mesure de réagir à la suppression d'un service librement organisé.
Quant à la tarification de l'infrastructure, je vous proposerai de la rendre pluriannuelle, afin de sécuriser le modèle économique des entreprises ferroviaires. Il s'agit d'une demande forte des opérateurs. Cela encouragera le transport ferroviaire de voyageurs et contribuera au maintien ou au développement de dessertes utiles à l'aménagement du territoire.
Je vous proposerai également un amendement modifiant la procédure de répartition des capacités d'infrastructure. Il s'agit d'un volet complémentaire à la tarification, pour définir des critères de priorité favorables à l'aménagement du territoire, lorsqu'une infrastructure sera saturée en raison des demandes concurrentes de sillons. C'est une réponse à la question de M. Revet !
Quant aux services aujourd'hui conventionnés - TER, Transilien et trains Intercités - le projet de loi reprend l'ensemble des dérogations prévues par le règlement européen, notamment celle qui permet aux autorités compétentes de choisir, entre décembre 2019 et 2023, entre mise en concurrence et attribution directe des contrats. Pour cela, il fixe le principe du monopole de SNCF Mobilités jusqu'à 2023, en autorisant l'État et les régions, par dérogation, à attribuer ces contrats par mise en concurrence. Je ne suis pas opposé à cette rédaction : l'ouverture à la concurrence requiert une certaine progressivité pour avoir les effets positifs escomptés. Un calendrier spécifique est en outre prévu pour la région Île-de-France, ce qui se justifie par l'ampleur des services ferroviaires et les répercussions qu'aurait une ouverture trop brutale.
Le volet social de la réforme porte sur deux aspects. D'abord, la fin du recrutement au statut des salariés SNCF. Le texte adopté par l'Assemblée nationale ne prévoyait pas de date d'entrée en vigueur. Le Gouvernement a, depuis, retenu le 1er janvier 2020 ; un amendement a été déposé en ce sens. À cette date, les partenaires sociaux devront avoir fini de négocier la convention collective de la branche ferroviaire. Les délais sont courts mais nous ne partons pas de rien : les négociations ont démarré en 2015 et quatre accords ont d'ores et déjà été conclus, notamment ceux relatifs à l'organisation du travail et à la formation professionnelle.
De même, un nouveau pacte social devra être négocié au sein de la SNCF pour les salariés qui seront recrutés à partir du 1er janvier 2020. Le transfert de personnel en cas de changement d'opérateur est une condition indispensable pour assurer la continuité du service public : seuls des salariés déjà formés peuvent exploiter le service transféré. Les cheminots sont très bien formés !
Après le passage du texte à l'Assemblée nationale, de nombreux aspects demeurent toutefois en suspens, s'agissant des conditions de transfert des salariés et des droits qui leurs seront garantis. Or le sujet suscite les préoccupations légitimes des salariés de SNCF Mobilités.
Il faut préciser et compléter le cadre de ce transfert afin que toutes les incertitudes soient levées d'ici l'adoption définitive de la loi. J'ai donc pris le parti de travailler avec le Gouvernement et avec les organisations syndicales forces de proposition. Plusieurs de mes amendements sont le reflet de nos discussions : l'élargissement de l'appel au volontariat des salariés à l'échelle de la région, la possibilité pour les salariés transférés de réintégrer le statut pendant une période donnée, ou encore le maintien de la garantie de l'emploi des salariés transférés en cas de défaillance du nouvel opérateur. Comme dans la proposition de loi Maurey-Nègre, je proposerai en outre de confier aux régions, et non aux opérateurs sortants, le soin de déterminer le nombre de salariés à transférer. En cas de conflit, l'Arafer pourra être saisie.
La transmission des informations aux autorités organisatrices conditionne la capacité de celles-ci à exercer pleinement leur rôle et définir correctement les appels d'offres. Or l'opérateur historique n'est pas toujours très enclin à communiquer les données requises. Le texte actuel se limite à la communication des informations nécessaires à la préparation des appels d'offres. Cela est trop restrictif : quid de la nécessaire communication de certaines informations aux candidats ? Je vous proposerai un amendement, inspiré de la proposition de loi, qui établit un équilibre entre la protection légitime du secret industriel et commercial et la nécessaire transmission de certaines informations à l'autorité organisatrice et aux candidats.
En ce qui concerne les matériels roulants et les ateliers de maintenance, la question devait initialement être traitée par voie d'ordonnance, mais je suis favorable à l'insertion dans le projet de loi des dispositions que nous avions adoptées dans la proposition de loi.
Sur l'accès au réseau, l'article 6 habilite le Gouvernement à modifier par ordonnance la procédure annuelle de fixation des péages : SNCF Réseau soumet un projet de tarification à l'Arafer, qui dispose alors d'un pouvoir d'avis conforme. L'habilitation autorisait le Gouvernement à atténuer la portée de cet avis : ce point a heureusement été corrigé à l'Assemblée nationale. L'an passé, le Gouvernement a contourné l'avis défavorable de l'Arafer sur le projet soumis par SNCF Réseau, fixant la tarification par décret et prenant pour référence l'évolution prévue par le contrat de performance signé avec l'Etat, auquel l'Arafer et notre commission s'étaient opposées en avril 2017. Je vous proposerai donc de confier un avis conforme à l'Arafer sur le volet tarifaire du contrat de performance. Un autre amendement précisera la procédure applicable en cas d'avis défavorable de l'Arafer sur le projet de tarification soumis par le gestionnaire d'infrastructure.
Ces ajouts résoudront les problèmes d'articulation observés entre le contrat et la tarification annuelle, en renforçant le rôle de l'Arafer. Seul un régulateur fort assurera le bon déroulement de l'ouverture à la concurrence.
Enfin, alors que le nombre d'acteurs va se multiplier, il est bon d'encourager la coordination des acteurs sur les questions de sécurité : je vous soumettrai un amendement à ce sujet.
Pour conclure, je soutiens la démarche de réforme engagée par le Gouvernement, mais vous proposerai des modifications substantielles poursuivant quatre objectifs : préserver le modèle français de desserte TGV, qui irrigue finement le territoire ; renforcer les garanties des salariés de SNCF Mobilités ; maintenir un haut niveau de sécurité et de sûreté du système ferroviaire ; et poser les conditions d'une ouverture réussie à la concurrence.
Pour résumer, les apports du Sénat concernent particulièrement le volet social, l'aménagement du territoire, la sécurité et la sûreté. C'est dans notre ADN ! Et si nous parvenons à sortir grâce au Sénat de l'impasse actuelle, nous pourrons être fiers de notre travail.