Mon intervention portera principalement sur les outre-mer, pour lesquels la révision constitutionnelle annoncée vient apporter quelques ajustements techniques utiles. En Guadeloupe et en Martinique notamment, la procédure d'adaptation des lois et règlements prévue en 2003 s'est révélée complexe et coûteuse pour un résultat peu satisfaisant. La modification proposée de l'article 73 de la Constitution, en allégeant cette procédure avec un recours au décret et en élargissant son champ - les collectivités territoriales régies par l'article 73, à l'exception de La Réunion, pourront demander à en bénéficier y compris en dehors de leur domaine de compétence - va dans le bon sens. Elle n'en demeure pas moins mineure, comparativement à la rupture épistémologique que constitua la révision de 2003. J'estime, en outre, incongru le sort particulier fait au département et à la région de La Réunion, que la lecture de l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle n'éclaire guère. Il y est fait mention du choix - déjà discutable à mon sens - arrêté en 2003 s'agissant de ce territoire, comme s'il était impossible d'en faire un autre aujourd'hui. Dans le projet de loi constitutionnelle, La Réunion se trouve ainsi placée dans une position identique à celle des départements et régions de l'Hexagone. Je souhaite que les débats parlementaires fassent évoluer cette disposition, d'autant que la révision constitutionnelle de 2003 n'a conduit ni à un effritement des outre-mer ni à la dérive de ces territoires, comme d'aucuns le craignaient.
La rupture politique et idéologique, s'agissant des relations entre l'État et les outre-mer, est, en réalité, antérieure à la révision constitutionnelle de 2003. Je la date de l'Accord de Nouméa en 1998, lorsqu'est apparue la nécessité d'établir un rapport différent entre l'État et les collectivités territoriales lointaines, et du discours prononcé par Jacques Chirac à Madiana en 2000.
Je souhaiterais enfin élargir brièvement mon intervention pour réagir aux propos de ma collègue Géraldine Chavrier. Les outre-mer ont-ils vocation à être un modèle pour l'Hexagone ? Autrement dit, la relation entre l'État et les collectivités outre-mer, admise politiquement en 1998 et en 2000 puis juridiquement en 2003, doit-elle être généralisée ? Au risque de vous décevoir, je ne le crois pas, bien que je conçoive que cette perspective puisse paraître séduisante. J'avoue soutenir une position plutôt jacobine pour la métropole et girondine pour les outre-mer !
Certes, il n'y aurait pas d'impossibilité juridique à offrir aux collectivités de l'Hexagone les mêmes possibilités d'adaptation du droit qu'aux collectivités d'outre-mer, comme l'a rappelé Mme Chavrier et l'a souligné le Conseil d'État. La seule limite est l'uniformité d'application des droits fondamentaux, conformément à une jurisprudence du Conseil constitutionnel datant de la loi dite Chevènement du 25 janvier 1985 et toujours réitérée depuis, notamment lors de la révision de la loi Falloux en 1994. En revanche, l'opportunité politique d'une telle réforme me semble très incertaine, bien qu'il appartienne au constituant d'en juger. Le droit à l'adaptation, même étendu comme prévu dans le projet de loi constitutionnelle, se justifie pour les outre-mer par leur insularité - sauf en Guyane, comme chacun sait... - et par des données économiques, sociales ou autres que chacun connaît. Je crains, en revanche, que son application en métropole ne conduise à une fragmentation du droit et à la création de ce que certains juristes nomment un « droit de broussaille ». À titre d'illustration, je me suis, il y a quelques années, essayé à la rédaction d'un code des entreprises agissant outre-mer, qui devait rassembler les dispositions fiscales et sociales applicables dans les différents territoires ultramarins en tenant compte des adaptations du droit national décidées à l'initiative du pouvoir central ou des collectivités territoriales elles-mêmes. Les chefs d'entreprise étaient désireux de disposer d'un tel outil. Laissez-moi vous dire combien l'exercice se révéla complexe ! Le fractionnement du droit applicable peut s'envisager au bénéfice de l'investissement économique et du développement des outre-mer, mais pourrait s'avérer dangereux sur le territoire hexagonal. Mon dernier argument, et non des moindres, pour m'opposer à une telle évolution réside dans ma crainte que les pouvoirs du Parlement, qui ne sortiront probablement pas grandis de cette révision constitutionnelle, se trouvent pris en étau entre les normes créées par les collectivités territoriales et celles d'origine européenne, qui représentent plus de 50 % du droit nouveau applicable sur le territoire national.