Intervention de André Laignel

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 22 mai 2018 à 16h45
Différenciation territoriale — Table ronde

André Laignel, premier vice-président de l'association des maires de France (AMF) :

Je vous remercie de m'avoir invité à m'exprimer sur un sujet aussi important que la révision constitutionnelle et ses implications sur les collectivités territoriales. Ont été précédemment évoquées la différenciation, l'adaptation, l'expérimentation et la dérogation, termes d'ailleurs linguistiquement non substituables les uns aux autres. À leur sujet, l'AMF, au nom de laquelle je m'exprime devant vous, est favorable à des évolutions destinées à conforter le pouvoir d'adaptation reconnu aux collectivités territoriales, tout en demeurant fermement attachée au respect de quatre principes : la libre administration, la subsidiarité, l'égalité et l'absence de tutelle d'une collectivité sur une autre. Or, réussir à les faire cohabiter harmonieusement ne constitue pas un exercice facile !

L'expérimentation, qui devait constituer la pierre angulaire de la révision constitutionnelle de 2003, se limita finalement à deux sujets : le revenu de solidarité active (RSA), généralisé par la loi avant même que l'expérimentation ait pu commencer, et la tarification de l'eau, qui fait encore l'objet d'âpres débats. Il existe, me semble-t-il, deux raisons à ce bilan décevant : l'obligation de généralisation et l'hésitation des élus locaux, enserrés dans un tel réseau de normes qu'ils y voient souvent un obstacle insurmontable à toute initiative de ce genre. Il existe, dans l'administration française, une habitude centralisatrice qui rend presque désespérée la volonté d'expérimenter. Les élus font preuve de faiblesse en n'osant pas s'attaquer à cet Himalaya. Il existe donc à la fois un problème juridique et un frein culturel au développement de l'expérimentation.

L'AMF estime que les dispositions constitutionnelles existantes sont suffisantes pour mener à bien les différenciations nécessaires. Le Conseil d'État ne dit d'ailleurs pas autre chose dans son avis de décembre dernier. Dès la loi de décentralisation de 1982, une procédure d'appel de responsabilités a été créée au profit des communes, afin qu'elles puissent demander aux départements de leur confier la gestion des collèges. C'est ce que j'ai fait à Issoudun - il semble que j'ai été le seul maire à faire usage de cette faculté. J'ai ainsi pu moderniser les deux collèges de ma ville puis je les ai remis à la disposition du département.

Lors de l'adoption des lois de décentralisation, certains craignaient pour la République. À mon avis, la décentralisation a plutôt aidé à la cohésion de la République.

Oui à la différenciation et à l'adaptation, mais à condition qu'elles soient encadrées. Nous sommes dans un État unitaire, qui n'interdit pas la souplesse, l'innovation et l'adaptation. Les collectivités concernées devront bien sûr consentir au cadre qui leur sera proposé et les droits fondamentaux et constitutionnels devront être garantis.

Permettez-moi d'aborder quelques sujets connexes qui me tiennent à coeur, comme à vous sans doute. Même si le cumul sévit aujourd'hui, beaucoup de sénateurs ont été à la tête d'exécutifs locaux, départementaux ou régionaux. Or, pour expérimenter, innover, adapter, différencier, encore faut-il en avoir les moyens. L'AMF a présenté diverses propositions en vue de la révision constitutionnelle, dont l'une a trait à l'autonomie financière et fiscale des collectivités. Une mission d'information de l'Assemblée nationale y réfléchit. La définition de l'autonomie financière dans la loi organique est totalement fallacieuse : aujourd'hui, il suffit que les ressources d'une collectivité soient constituées à 100 % par un transfert d'impôt national pour que les règles d'autonomie financière soient respectées !

Nous devons donc redéfinir l'autonomie financière pour aller vers l'autonomie fiscale. Nous souhaitons aussi que la Constitution reconnaisse la place spécifique de la commune en consacrant sa compétence générale.

Nous demandons une loi de finances spécifique pour les collectivités territoriales et que toute mesure les impactant y figure. La veille de son examen en conseil des ministres, le Gouvernement présente au Comité des finances locales - que je préside - le projet de loi de finances de l'année à venir, mais sans nous détailler les dispositions concernant les collectivités. Comme on dit dans le Berry, « le lièvre est dans le sac ».

L'argumentaire juridique très précis que nous avons rédigé devrait être pris en compte par le projet de révision constitutionnelle.

Pour paraphraser Albert Camus qui disait que si nous retirons le pain du travailleur, il ne lui reste pas de liberté, j'estime que si nous venons à étouffer les collectivités territoriales financièrement, il ne leur restera pas de capacité d'expérimentation ni d'adaptation.

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