Intervention de Fabienne Keller

Commission des affaires européennes — Réunion du 24 mai 2018 à 8h30
Économie finances et fiscalité — Union bancaire : communication de mme fabienne keller et m. claude raynal

Photo de Fabienne KellerFabienne Keller :

Je relève, dans le contexte italien actuel, que les banques défaillantes sont en grande partie italiennes. Les mécanismes que nous évoquons peuvent être très utiles...

L'accord sur le mécanisme de résolution a été difficile, notamment en ce qui concerne le Fonds de résolution unique, qui a dû faire l'objet d'un accord intergouvernemental en marge du texte législatif. Ces difficultés préfiguraient celles qui se posent désormais concernant la finalisation de l'Union bancaire, qu'il s'agisse du Fonds de garantie des dépôts, mais aussi du financement de la recapitalisation bancaire. Il s'agit désormais de progresser sur le sujet le plus sensible : le financement commun de l'outil de gestion des crises bancaires.

En quoi consiste le troisième pilier présenté comme la finalisation de l'Union bancaire ? Le troisième pilier repose sur l'extension des attributions du Conseil de résolution unique à la gestion d'un fonds dédié d'assurance des dépôts. Il suscite l'opposition marquée de certains États, dont l'Allemagne. Les conclusions du Conseil du 17 juin 2016 ont été explicites à cet égard : les négociations politiques sont désormais conditionnées à l'adoption des mesures de réduction des risques et le Conseil a pris acte de ce que « les États membres entendent recourir à un accord inter-gouvernemental lorsque débuteront les négociations politiques sur un système européen d'assurance des dépôts ». Cette décision est liée à la forte contestation de la part de certains États membres, dont l'Allemagne et la Finlande, de la base juridique retenue (l'article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne), considérée comme inadaptée à un transfert de ressources nécessitant un vote à l'unanimité.

La proposition initiale de système européen de garantie des dépôts bancaires propre à la zone euro prévoyait trois phases successives : une phase de réassurance, durant laquelle les fonds nationaux pouvaient bénéficier de soutiens plafonnés du fonds européen, une phase de coassurance avec un soutien déplafonné, et une ultime phase de pleine assurance en 2024, où le fonds européen, totalement mutualisé, atteignait environ 44 milliards d'euros, soit 0,8 % des dépôts couverts.

Ce Fonds de garantie des dépôts aurait vocation à se substituer à terme aux systèmes nationaux d'assurance des dépôts en voie d'harmonisation au sein de l'Union européenne, avec notamment le relèvement uniforme à 100 000 euros du montant des dépôts garantis par déposant et par banque, un délai de remboursement ramené à sept jours ouvrables et le financement ex ante par les institutions financières d'un fonds de garantie représentant au moins 0,8 % des dépôts couverts. Le niveau cible de 0,8 % peut être réduit à 0,5 %, après approbation de la Commission européenne, lorsque les secteurs bancaires sont concentrés, comme en France.

Les discussions politiques sont suspendues sans perspective crédible de reprise, car les divergences paraissent trop marquées sur le principe de partage des risques et de mutualisation des moyens financiers. Face à ce constat, il ne peut s'agir ici de remettre en cause l'importance pour la stabilité financière d'un système d'assurance des dépôts. Toutefois, dans le nouveau contexte de généralisation du renflouement et de la constitution d'un fonds de résolution, la probabilité du recours effectif à un tel fonds est significativement réduite. En principe, les banques dites « importantes » seraient potentiellement pas ou peu utilisatrices de ce système de garantie qu'elles financeraient, mais qui, en réalité, bénéficierait aux plus petites des banques.

Dans l'espoir d'une adoption avant fin 2018, la Commission a néanmoins récemment présenté une communication réduisant les ambitions initiales du projet. Elle s'est aussi engagée dans des mesures de réduction des risques, contrepoids politique indissociable désormais à la mutualisation des moyens financiers. Il est proposé, entre autres, de revoir le traitement des prêts non performants. Au-delà des aspects politiques, il constitue une préoccupation réelle avec un encours global estimé à plus de 750 milliards d'euros et, dans certains États membres, un taux moyen de prêts non performants dépassant 10 % des créances. Il est également proposé d'intégrer certains éléments des travaux du comité de Bâle concernant notamment les risques de marché, d'articuler les exigences internationales en fonds propres applicables aux banques mondialement systémiques aux exigences minimales de dettes éligibles au renflouement interne applicables aux banques européennes...

Cet agenda de réduction des risques mérite sans conteste d'être soutenu, mais il faut rester vigilant sur le retard dommageable qu'il impose à la finalisation de l'Union bancaire. Nous devons aussi rester attentifs aux risques d'une dégradation des conditions d'une concurrence équitable entre les établissements bancaires européens et leurs homologues des pays tiers.

À la veille du Conseil européen de juin, les doutes se multiplient sur la probabilité d'un accord sur le Fonds européen de garantie des dépôts, qui semble focaliser toutes les attentions et permettrait de finaliser l'Union bancaire. L'ambition initiale de l'Union bancaire, formulée en 2012, était et reste de rompre le cercle vicieux entre dettes bancaires et dettes souveraines. Il s'agissait de mettre à disposition des outils communs de financement des crises bancaires.

Le recours à un financement que l'on pourrait qualifier de « privé », car issu des actionnaires, des créanciers ou des banques elles-mêmes, est désormais la norme, même si son application reste encore timide et qu'il est difficile de juger de sa pertinence en cas de grave crise systémique. Ce financement n'a en tout état de cause pas vocation à se substituer totalement au financement des États, qui reste une réalité, comme le démontre les cas récents en Italie. L'apport en liquidités de la BCE a été largement mobilisé pendant la crise, mais son utilisation ne peut que rester discrétionnaire, au risque de se transformer en soutien explicite permanent. Le financement véritablement mutualisé existe, certes, mais il reste limité en montant et fragmenté entre le Fonds de résolution, l'éventuel Fonds de garantie des dépôts et le Mécanisme européen de stabilité (MES).

Le Conseil Ecofin du 18 décembre 2013 s'était pourtant engagé à mettre en place un filet de sécurité commun de dernier recours, en complément du financement de la résolution bancaire. Le recours à l'outil de recapitalisation directe de 60 milliards d'euros du MES qui était mentionné explicitement à l'origine même du projet de l'Union bancaire a été rendu inopérant par la multiplication des conditions d'octroi. Rien ne permet pourtant d'affirmer qu'un tel outil ne serait pas nécessaire en cas de crise systémique de grande ampleur.

L'Union bancaire est non pas une fin en soi, mais un instrument essentiel de l'Union économique et monétaire pour consolider le système bancaire européen, assurer la stabilité des marchés, prémunir les États et les citoyens des conséquences des faillites bancaires et, partant, créer un environnement favorable à la croissance économique. Ce chantier ambitieux, qui a débuté comme un mariage de raison, sous la pression de la crise financière, doit être mené à son terme et doit permettre de favoriser l'émergence de véritables groupes bancaires à l'échelle de la zone euro.

Des décisions politiques doivent être prises pour atteindre les objectifs initiaux de stabilité du système financier, dans le respect de l'engagement, maintes fois réaffirmé, de développement d'un outil financier mutualisé de gestion de crise. La mise en place d'un véritable filet de sécurité est un dispositif tout aussi indispensable à la crédibilité de l'Union bancaire que le Fonds de garantie des dépôts. Force est de constater que l'asymétrie entre le substantiel transfert de souveraineté qui a été consenti dans l'Union bancaire et le financement, qui reste encore en grande partie national, ne peut perdurer sans mettre en péril la crédibilité de l'ensemble.

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